Il est beaucoup trop tôt pour dire si le comportement de l'électorat américain est en train de changer, à gauche sous la pression des démagogues, à droite sous celle d'inégalités croissantes. Mais les candidats aiment gagner dans l'Iowa parce que la victoire dans cet État pourtant minuscule peut être considérée comme l'acte fondateur de leur campagne, le démarrage d'une longue marche vers l'investiture. Mme Clinton n'a pas perdu l'Iowa, mais elle a eu chaud et M. Sanders, qui arrive de nulle part, a démontré sa crédibilité en tant que candidat.
De son côté, Donald Trump vient de recevoir une leçon : en s'appuyant sur des sondages mirifiques, il n'avait cessé d'annoncer des triomphes à venir. Il commence mal, parce que Ted Cruz le devance de 3,4 points et qu'à un point derrière lui, on trouve le sénateur de Floride, Marco Rubio qui, en tant que conservateur modéré, représente l'espoir du parti républicain, terrorisé à l'idée que M. Trump poursuive la course en tête jusqu'au moment où il serait fatalement battu par Hillary Clinton (si toutefois elle obtient l'investiture). Le même parti républicain est sans doute soulagé d'assister à l'ascension de Bernie Sanders, qui n'aurait aucune chance face à M. Rubio. Mais nous n'en sommes pas là.
L'Iowa et les sondages d'opinion qui l'ont précédé montrent une Amérique fébrile. Donald Trump a dépassé le Tea Party dans l'outrance et propose une présidence anti-système, anti-gouvernement fédéral, anti-fiscale. Un programme tellement simplificateur qu'il est inapplicable. S'il est vrai que le Tea Pary a remporté un succès grâce à un Cruz qui le représente bien, il reste à droite un élément ultra-populiste vigoureux qui va peser pendant tout le cours de la campagne. Dans le camp démocrate, le score d'un sénateur du Vermont de 74 ans qui se déclare socialiste, terme banni du langage américain, est en soi une révolution. Il montre à Hillary Clinton qu'elle ne peut pas continuer à faire campagne au centre, qu'elle ne peut pas fonder tous ses arguments sur le seul respect des institutions et qu'elle doit trouver autre chose à dire aux masses qui souffrent moins du chômage que du creusement croissant des inégalités.
D'autant que le réveil social des Américains est principalement dû à la jeunesse, séduite par le vieillard du Vermont parce que ce qu'il dit sur les lobbies, sur Wall Street, sur le financement des campagnes électorales, sur le poids que le monde des affaires exerce sur la politique est rigoureusement exact. La question historique que Bernie Sanders pose au peuple américain est la suivante : le contenu de la Constitution n'est-il pas dévoyé tous les jours par les agissements de quelques minorités fortunées ? Une partie de l'Iowa a répondu oui. Pas de chance pour Hillary, considérée comme la candidate naturelle du parti démocrate, et qui pouvait croire que cette fois-ci, c'était enfin son tour. En 2008, elle n'avait pas vu venir un jeune sénateur noir de l'Illinois qui, déjà tenait un langage neuf. Elle mesure aujourd'hui le danger que « Bernie » représente pour elle et pour le plan de conquête du pouvoir qui mûrit chez elle depuis huit ans.
Une gauche américaine ?
Mais M. Sanders ne doit pas vendre la peau de l'ours. La route est longue jusqu'à l'investiture ; il peut gagner dans le New Hampshire, car c'est un État de la Nouvelle-Angleterre, proche du Vermont. Il aura beaucoup plus de mal le 1er mars quand 21 États voteront le même jour (le fameux super-Tuesday). Des États divers, dont quelques-uns du Sud, où les Noirs devraient massivement donner leurs suffrages à Hillary Clinton. Il ne faut pas exclure un retour général à la normale dans les deux camps avec un match final entre le conservateur Marco Rubio et la modérée Mme Clinton. Mais, si un scrutin a un sens, celui de l'Iowa indique un changement, peut-être un bouleversement des règles, susceptible de conduire à des phénomènes politiques inattendus, par exemple la création d'une gauche à l'européenne, ce qui était impensable il y a encore quelques semaines.
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