Les députés autorisent le pharmacien « prescripteur », la profession exaspérée

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Publié le 14/03/2019
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Crédit photo : S. Toubon

Les esprits s'échauffent autour du pharmacien prescripteur. Les députés réunis en commission des Affaires sociales ont décidé d'autoriser les pharmaciens à délivrer – dans certaines conditions protocolisées – des médicaments normalement sous ordonnance pour des pathologies bénignes comme des cystites aiguës ou des angines, dans le cadre de l'examen du projet de loi santé. L'amendement controversé du rapporteur Thomas Mesnier (LREM) a été adopté en ce sens.

Ce texte « vise à permettre aux pharmaciens (...) de délivrer selon (un) protocole mis en place par la Haute autorité de santé des médicaments dont la liste serait fixée par arrêté dans le cadre de pathologies bénignes du quotidien », a précisé le député macroniste devant la commission des Affaires sociales.

Cela se ferait « dans le cadre d'un exercice coordonné, qu'il s'agisse d'équipes de soins primaires, de maisons de santé pluriprofessionnelles, de centres de santé ou de communautés professionnelles territoriales de santé » et « sous réserve d'une formation ad hoc des pharmaciens sur ces dits protocoles et d'un lien obligatoire réalisé auprès du médecin traitant », a-t-il précisé.

Buzyn calme le jeu mais…

Embarrassée, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a jugé « important de réussir à avancer sur le sujet », mais exprimé ses « réserves » et plaidé pour donner du temps à la négociation avec les syndicats de médecins, opposés à la mesure, « pour trouver une voie de sortie par le haut ».

« Il me semble important de réussir à avancer sur ce sujet, soit par le biais d’une expérimentation, d’un article 51, soit de travailler aujourd’hui avec les professions médicales pour aboutir à une forme d’accord », a-t-elle plaidé, très prudente. La ministre a semblé consciente que le vote de cet amendement risquait de mettre le feu aux poudres. « Le passage en force peut nous mettre en difficulté et je souhaiterais avoir la semaine qui vient pour trouver une voie de passage avec les syndicats médicaux », a-t-elle jugé.

Le Dr Olivier Véran (LREM, Isère) a appuyé l'initiative de son collègue en essayant lui aussi de rassurer les médecins. « On ne va pas demain "shunter" le médecin au profit du pharmacien. Il s’agit de simplifier le quotidien d’un certain nombre de Français et de normaliser certaines pratiques qui ont déjà lieu », a plaidé le député, neurologue hospitalier.

Remplacer le médecin par le pharmacien ?

Ces propos n'ont nullement apaisé les syndicats de médecins libéraux.

MG France a exprimé son exaspération dès jeudi matin. « Les pouvoirs publics, après avoir mis en danger la population en sous-estimant depuis des années les effets démographiques du manque d'attractivité de la profession généraliste, proposent de remplacer les médecins généralistes par les pharmaciens », dénonce le syndicat de généralistes. Il refuse qu'au prétexte d'aider les patients, ceux-ci se voient prescrire des médicaments « sans examen clinique, sans diagnostic et sans connaissance des éléments médicaux de leur dossier ». Pas question pour le syndicat de se lancer dans la rédaction des protocoles en question.

Comme il l'avait annoncé, « parce que l'exercice coordonné ne peut être imposé par la loi », MG France « très en colère » a annoncé qu'il boycottait la négociation sur l'exercice coordonné, ce jeudi après-midi à la CNAM. « Cet amendement, vous le sortez par la porte, il rentre par la fenêtre, se désole le Dr Margot Bayart, vice-présidente de MG France. C’est un contournement de la négociation sur la coordination, qui vise à organiser un dispositif où chacun a des missions. La sécurité des patients est aussi en jeu, et ce n’est pas acceptable ! On ne peut pas résumer une réponse à un symptôme par un médicament, pour diagnostiquer une cystite il faut d’abord une démarche clinique et ensuite, on oriente le patient vers un spécialiste, vers les urgences ou on fait une prescription. »

Trop c'est trop

Le Syndicat des médecins libéraux (SML) regrette « l’obstination du rapporteur à vouloir doter les pharmaciens d’officine de compétences diagnostiques qu’ils n’ont pas, car leur profession n’est pas une profession clinique ». Pour le syndicat cela témoigne « d’une très mauvaise connaissance de la réalité de la pratique médicale »« La dissémination du droit de prescription est une grave erreur », assène la structure, qui déplore « le double discours » de la ministre dans ce dossier.

Pour la FMF, « trop c'est trop ». Cet amendement donne « un droit de prescription aux pharmaciens qui vont cumuler les fonctions de diagnostic, délivrance, et de vente des médicaments, sans que cela ne choque les parlementaires », s'insurge la cellule juridique du syndicat. « Nos collègues pharmaciens ont-ils pris la mesure du risque médico-légal et de l'évolution de leur responsabilité civile professionnelle pour ce nouveau risque ? », interroge le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp, qui pointe un risque de faire « exploser » la convention, en pleines négociations sur l'exercice coordonné.


Source : lequotidiendumedecin.fr