Cécile Ventola, docteure en santé publique et sociologue, chercheuse à l'INED

« Les femmes expriment moins un rejet du médical, qu'une aspiration à un meilleur échange avec les médecins »

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Publié le 02/10/2017
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LE QUOTIDIEN : Comment la pilule, de symbole de libération pour les femmes, est devenue objet de toutes les critiques ?

CÉCILE VENTOLA : Plusieurs tendances jouent. Lorsque la pilule est arrivée en France dans les années 1970, les moyens pour contrôler la fécondité manquaient. La pilule est apparue comme une manière de renforcer l'autonomie des femmes en matière de sexualité. Il y avait acceptation, car les femmes n'avaient pas le choix. Aujourd'hui, plusieurs méthodes existent. En outre, d'autres normes et priorités s'expriment. Il y a une plus grande méfiance à l'égard de la prise d'hormones et plus largement, des médicaments. Enfin, la parole des femmes s'est libérée. L'information circule davantage grâce aux nouveaux modes de communication. Elles partagent leur expérience, en particulier sur les effets secondaires, alors qu'avant, l'impact sur la libido était renvoyé à une dimension psychologique individuelle (les études scientifiques n'ont abordé la question qu'en 2005 !). Les femmes se sentent davantage légitimes à contester l'autorité médicale, à s'insurger, ou au moins à exprimer leur avis et besoin propres. Elles veulent avoir le choix de leur méthode de contraception.

Comment a évolué la relation entre les femmes et leur médecin ?

D'une manière générale et non spécifique à la gynécologie, l'idée s'est imposée ces dernières années que le patient doit consentir à ce qui lui est proposé.

Ensuite, la crise des pilules en 2012, puis la polémique sur les touchers vaginaux ont entamé la relation de confiance entre les femmes et leurs médecins. Les questions ont surgi autour de la légitimité de certaines pratiques (comme la nudité complète lors de l'examen). Le refus de certains gynécologues de poser des DIU à des nullipares devient incompréhensible, quand les recommandations de bonnes pratiques l'incluent dans l'arsenal contraceptif, et que les politiques publiques mettent l'accent sur le choix des femmes.

Mais les actes gynécologiques ne relèvent pas tous de la maltraitance ou de la « violence obstétricale » ? N'y a-t-il pas un emballement médiatique qui risque de diaboliser les méthodes contraceptives les unes après les autres ?

Le problème, ce ne sont pas forcément les actes. C'est l'absence d'explication, le défaut du consentement. Certes, les situations d'urgence sont nombreuses en obstétrique, mais elles peuvent être évoquées au préalable entre la femme et le soignant. De même pour la contraception. Les méthodes ne sont pas problématiques en soi, c'est la manière dont elles sont prescrites qui peut donner lieu à de la colère, lorsque la patiente a le sentiment d'être mal entendue et mal informée. C'est - me semble-t-il - ce qui s'est passé pour le DIU Mirena en mai 2017. Les femmes constataient un impact sur leur humeur, mais on l'attribuait à des problèmes psychologiques individuels. La colère naît de cette lassitude de n'être pas entendue. Il y a moins un rejet des méthodes médicales en général, qu'une demande d'une meilleure qualité d'échange, de partenariat, entre les femmes et les médecins.

Comment comprendre l'aspiration de certaines femmes à accoucher de manière plus « naturelle » ? (accouchement physiologique, maisons de naissance, etc).

C'est encore une demande d'alternative et de choix. Beaucoup de femmes continuent à souhaiter une péridurale et un encadrement médical. D'autres ont l'impression qu'elles seront plus capables de s'écouter et respecter leur corps, hors du milieu médical. Les femmes n'ont plus envie de vivre leur accouchement comme un événement traumatique à oublier. Elles souhaitent investir ce moment, accueillir l'enfant. Mais encore une fois, il faut permettre à chaque femme de faire le choix qui lui convient. Tout ce qui relève d'une norme imposée (allaitement maternel, accouchement systématiquement en mater) est culpabilisant.

Propos recueillis par Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9606