Au colloque sur la résilience

Les petits vieux aussi peuvent rebondir

Publié le 07/04/2003
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De notre correspondante

Pourquoi certains enfants battus, enfants abandonnés, enfants des rues, enfants de la guerre parviennent-ils malgré tout à devenir des adultes ayant une vie sociale et affective équilibrée ? Plusieurs études, colloques et ouvrages, de Boris Cyrulnik, notamment, évoquent l'importance des développements biologiques, psychologiques et surtout sociaux autour de ces enfants traumatisés. Le colloque de Salon-de-Provence l'a de nouveau répété, avec de nombreux exemples à l'appui : il suffit souvent d'une main tendue, de personnes-relais pour les aider à se relever et à trouver en eux la force de s'en sortir.
Plus nouvelle est la notion de résilience chez les personnes âgées. Vieillissement de la population aidant, ce thème devrait connaître le même succès que celui de la résilience chez les enfants. Les études qui commencent à être menées sur le sujet montrent en effet un processus comparable, et remettent en question les certitudes scientifiques : le pire n'est jamais sûr.
Le Dr Antoine Lejeune, neuropsychiatre à Aix-en-Provence, a remarqué que, bien que l'évolution naturelle de la maladie d'Alzheimer, par exemple, soit théoriquement de huit à dix ans, elle était accélérée chez certains de ses patients (deux à trois ans) et ralentie chez d'autres (plus de douze ans). « Les lésions n'expliquent pas les différents tableaux cliniques », souligne-t-il. Pour aller au-delà de ce constat, il a créé un groupe de travail « Vieillissement et résilience » qui va organiser à Aix un congrès sur ce thème en octobre prochain.

Le « triangle de l'espoir »

Pour lui, il faut établir un « triangle de l'espoir », composé du patient, du soignant principal, qui peut être un médecin, une infirmière, un psychologue, et d'un « aidant principal », qui peut être le conjoint ou, souvent, une fille (les fils, généralement en difficulté, car ils nient le vieillissement - pathologique ou non - du père ou de la mère, ont tendance, selon son expérience, à « se défiler » sous le prétexte du travail). Le soignant, « qui n'a pas besoin de faire face à une famille encombrante », doit établir des liens avec cet aidant principal. C'est par lui (par elle) qu'il connaîtra les facteurs déterminants de la résilience : la personnalité du patient, son histoire, son environnement, ce qui permet de rétablir le malade dans son identité. Il sera aussi « le réceptacle du non-dit », de l'agressivité, des frustrations, il permettra de reformuler tout ce mal-être et d'apporter une aide à la décision (maintien à domicile ou entrée en institution). Entre les trois partenaires du triangle se noue ainsi une continuité de communication, de soins... et d'humour, que le Dr Lejeune appelle « la complicité du "ensemble" ».
Pour ce spécialiste, même dans les maladies dégénératives lentes, le cerveau peut se reconstruire : « Il y a aussi une résilience biologique. » Quel que soit son état, le patient doit donc pouvoir s'exprimer : même s'il perd la mémoire immédiate, même si ses fonctions cognitives sont altérées et ses projets réduits, son monde intérieur est encore riche. L'aphasie, qui aggrave les signes cliniques de la maladie, est souvent produite par une carence sociale et affective, mais il garde une mémoire à long terme dans laquelle il peut puiser la force de son identité.
Pour sa part, le Dr Cyrulnik, qui participe aussi à ce groupe de travail, note qu'il existe toujours une mémoire musicale. Ravel en témoigne : « Passez-leur le tango de leurs 20 ans, et vous toucherez une partie de leur mémoire non altérée », constate-t-il. A l'entourage d'encourager cette résilience.

Le patient est toujours là

Dans les situations extrêmes, le triangle de l'espoir peut toutefois devenir le triangle du désespoir : si le patient s'enferme de plus en plus en lui-même en refusant de se soigner et de s'alimenter, si l'aidant craque et qu'aucun relais n'a été prévu, si le soignant se contente de procéder à une prescription rationnelle des soins. Mais le triangle lui-même est résilient et le désespoir peut encore être réversible : le soignant qui travaille en équipe cherche dans les dossiers ce qu'il peut encore faire pour ouvrir une porte sur la liberté de parole, car le patient « est toujours là ». Même s'il ne peut parler, il peut écouter et échanger avec le regard de l'autre (l'interaction des voix, des regards et des sens semble jouer tout au long de la vie). La communication avec l'aidant défaillant peut être remplacée par le contact avec une aide-ménagère, un voisin ou une voisine de chambre... « et le petit vieux commence à rebondir », affirme le Dr Lejeune. Il cite ainsi le cas de l'un de ses patients entré en institution pour perte d'autonomie majeure après huit ans d'évolution d'une maladie neurodégénérative suivie à domicile, grâce à la présence de sa fille. « Je l'ai revu trois mois après, il s'était redressé, marchait mieux, m'a reconnu sans hésiter et m'a raconté combien était gentille la dame avec qui il jouait aux cartes et avec laquelle il redécouvrait amour et joie de vivre. »

Une marge de surprise

Comme le souligne Boris Cyrulnik, « on ne peut pas tout prédire, même dans la maladie d'Alzheimer », et cette marge de « surprise » que réservent certains malades est éthique car elle est « garante du respect ». Elle tranche avec le « prédicat scientifique » qui tend à « mathématiser l'homme » et à conclure : « Je ne peux plus rien pour lui. » Il y a en chacun « une part de liberté intérieure non mathématisable, des braises de résilience sur lesquelles on peut souffler pour les ranimer et rendre la maladie plus supportable... ou laisser s'éteindre ».

Françoise CORDIER

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7311