Les victimes civiles de la guerre

Publié le 02/04/2003
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Les médias, et plus particulièrement les radios et les chaînes de télévision confrontées à une guerre longue qui commence à leur coûter très cher, ne savent plus comment rentabiliser leur investissement, à supposer que le public français continue à s'y intéresser.
Quand on pense à la logorrhée inspirée par la fameuse « pause » dans les combats, qui n'aura pas duré vingt-quatre heures et a été suivie par les combats au sol les plus acharnés, on se demande si beaucoup de correspondants ne parlent pas pour ne rien dire et si leurs rédacteurs en chef n'exagèrent pas l'importance d'un certain nombre de thèmes.

Dans le brouillard

Comme l'humanisme et la morale ont été définitivement cooptés par la presse, il importe de stigmatiser l'agresseur (oui, c'est vrai, il s'agit bien d'une guerre d'agression) coûte que coûte. Et si on est dans le brouillard quant à l'évolution de la bataille, on peut toujours développer les à-côtés. On a donc présenté les attentats-suicides comme une méthode de légitime défense à laquelle les Irakiens assiégés et envahis par une troupe barbare doivent nécessairement recourir. Il y a eu effectivement un attentat-suicide, quasiment considéré comme un tournant dans la stratégie de Saddam. Mais, pour le moment, il n'y en a eu qu'un. Cela ne fait pas une horde de « martyrs » qui terrorisent la soldatesque anglo-américaine. Heureusement, on a trouvé quelques bidasses américains qui ont exprimé leur peur. Il serait curieux qu'ils n'eussent aucun instinct de conservation et qu'il y eût des hommes capables de se battre dans la sérénité. Comme on n'a pas vu les cohortes de « martyrs » prendre à revers les forces de la coalition, on est allé chercher en Jordanie des Irakiens qui, après avoir choisi l'exil tant Saddam les épouvantait, ont manifesté des sentiments patriotiques et leur volonté d'aller combattre l'envahisseur. Cela ne fait pas sens, mais ça meuble les programmes.
D'autant que les « martyrs » ne peuvent pénétrer que par les frontières syrienne et jordanienne, bouclées par les troupes anglo-américaines, lesquelles ont arrêté notamment une bande de va-t-en-guerre qui arrivait tranquillement dans un bus : l'ouest de l'Irak est complètement aux mains des forces spéciales.
Bien entendu, la technique du kamikaze a produit son ignoble effet, qui est de rendre suspect tout civil irakien : les Américains ont donc mitraillé une voiture qui forçait un barrage et ont tué des femmes et des enfants. Dans cette région du monde, on ne meurt pas pour la patrie, mais pour la propagande du dictateur. D'ailleurs, toutes les bavures ne sont pas anglo-américaines, puisqu'il semble prouvé que la bombe du marché de Bagdad, qui a tué beaucoup de civils était en fait un missile irakien qui a fait long feu. Ce qui n'excuse en rien les victimes innocentes d'une guerre dont on aurait pu faire l'économie.
A toutes les contre-vérités qui forment la toile de fond de la guerre s'ajoute la désinformation systématique à laquelle se livre le régime irakien. Il n'y a aucune raison de faire confiance aux informations en provenance de la coalition, mais il n'y en a pas davantage pour s'en remettre à celles des Irakiens. Bref, on s'agite beaucoup pour couvrir de honte les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, mais on n'est pas vraiment crédible quand on passe son temps à utiliser le conditionnel et à répéter que tout ce qu'on dit doit être pris avec des pincettes. Le silence est d'or.
Pourtant, on pourrait consacrer un peu de temps au comportement des baassistes qui tirent sur les Irakiens fuyant Bassorah ou au déminage - risqué - du port d'Oum Qasr qui a précédé la livraison tant attendue d'eau et de nourriture pour les civils du sud irakien. On n'a pas beaucoup enquêté sur des tirs irakiens en provenance d'une ambulance (technique déjà éprouvée ailleurs), sur ce marine dont le cadavre a été pendu en place publique de Chatra, ni sur les exécutions sommaires de soldats américains faits prisonniers au début du conflit.

Le bémol du gouvernement

Mais peu importe : une immense manifestation pacifiste est convoquée pour le 12 avril. On y condamnera le « Grand Satan », à la manière iranienne, et on y brandira les portraits de ce héros qui, acculé dans un souterrain de Bagdad, continue à faire tuer des Irakiens pour gagner une heure de pouvoir. Nous voilà identifiés à ceux qui, s'ils en ont l'occasion, n'éprouveront pour nous aucune pitié. Une forme, parmi d'autres, de masochisme national.
Heureusement, Jacques Chirac commence à penser qu'on en fait un peu trop. Mieux informé et moins exalté que ses concitoyens, qu'il a pourtant guidés sur la voie empoisonnée de l'antiaméricanisme, il voit d'abord clairement que, tôt ou tard, Saddam, en dépit de tous ses coups tordus, sera vaincu ; et que, lorsqu'il aura disparu, il faudra bien, d'une façon ou d'une autre, renouer avec les Etats-Unis. C'est pourquoi Jean-Pierre Raffarin a condamné les attitudes intolérantes qui accompagnent les manifestations. Sans doute le Premier ministre, comme d'ailleurs un bon nombre d'élus de l'UMP (qui n'osent pas s'opposer à la politique du gouvernement) juge-t-il, comme nous le faisons depuis au moins trois semaines, qu'un consensus qui rassemble la droite et la gauche, l'extrême droite et l'extrême gauche ne peut être fondé que sur un quiproquo ou, pis, sur une mode passagère, mais dont les conséquences risquent d'être lourdes. Notre tout récent triomphe à l'ONU aura été une fête à crédit dont nous paierons la facture après la guerre, quand sera revenue l'heure de la diplomatie. Les Américains compteront alors leurs vrais amis.
Ni M. Chirac ni M. Raffarin ne sont coupables de s'être déclarés hostiles à la guerre et, sur ce point, nous-mêmes les avons toujours approuvés. Mais ils ont ouvert une boîte de Pandore. De sorte qu'une partie violente de la population a mêlé ses voix à celles du pacifisme. Le chef de l'Etat peut bien répéter à l'envi qu'il n'est ni pacifiste ni antiaméricain : on n'est pas ce qu'on prétend être, mais ce qu'on fait. Et en bonne justice, c'est toujours sur les actes, pas sur les intentions, qu'on est jugé.
En même temps, beaucoup d'intellectuels, de Pascal Bruckner à Bernard Kouchner, de Maurice Dantec à Philippe Sollers, ainsi que des lecteurs du « Monde » et du « Figaro », ont exprimé la plupart des idées que nous exposons ici. Ils ne suffisent pas à atténuer les résultats des sondages qui montrent un peuple français soudé par l'antiaméricanisme.
Une chose est sûre : à la fin de la guerre, quand sera retombé l'énorme de nuage de poussière qui nous a tant aveuglés, le pacifisme et son cortège secondaire d'extrémistes et de fanatiques auront vécu. C'est alors qu'il faudra regarder en face la réalité.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7308