Cher confrère,
J'ai 64 ans et suis en retraite depuis deux ans, ayant exercé au Centre Hospitalier Avranches-Granville dans la Manche pendant une trentaine d'années en tant que praticien-hospitalier temps plein en anesthésie-réanimation.
J'ai pu, dès 1986, avec l'ensemble de mes confrères faire progresser notre structure, en étant, en plus de ma spécialité, investi en tant responsable et initiateur au sein de plusieurs instances concernant la prise en charge de la douleur, des soins palliatifs, de la tarification à l'activité, ainsi que de nombreuses activités en relation avec les hôpitaux environnants dans le cadre du réseau Douleur de Basse Normandie dont je fus un des fondateurs.
Notre Centre Hospitalier pilote en matière de fusion, entre celui d'Avranches et de Granville, a su progresser dans l'intérêt de l'amélioration de la prise en charge des soins dans le Sud Manche. Je ne pus accepter l'idée de ne pas continuer à soigner des malades, au même titre qu'un musicien de métier ne cesse de jouer de son instrument sous prétexte qu'il a atteint l'âge de la retraite. Je me suis donc inscrit à une agence d'intérim, exerçant, depuis, une semaine par mois.
Traité de «mercenaires» après tant d'années au service des patients...
En juillet 2018 notre ministre de la Santé et consoeur, Madame le Dr Buzyn a, devant l'ensemble des députés, traité les intérimaires de «mercenaires», responsables de par leur activité du déficit des petits hôpitaux ; et que la mise en place d'une baisse plafonnée de leur rémunération les inciterait à postuler sur les nombreux postes de praticiens vacants. Et de mettre en avant un argument financier calomnieux, nous reléguant à de vils personnages, avides de gagner des émoluments démesurés traduisant notre seul intérêt financier.
Après plus de 38 années dévouées au service hospitalier exclusif, après avoir exercé, sans compter mes heures, de jour comme de nuit, par passion, par altruisme, pour soigner, soulager, sauver des vies humaines, je ne peux que m'indigner avec force contre cette insulte proférée à l'Assemblée Nationale contre nous et devant la France entière.
Dès lors, comment le Conseil National de l’Ordre a-t-il pu accepter d'être le bras armé de Madame Cécile Courrèges (DGOS) qui, en ordonnant une plainte ordinale contre trois médecins du Syndicat National des Médecins Remplaçants des Hôpitaux (SNMRH) porte atteinte à l'image de la médecine en affirmant qu'ils mettent en danger les activités de soins nécessaires à la population. (Quotidien du médecin du 22 novembre 2018)
Je rappelle qu’un «mercenaire» est un soldat professionnel prenant part à un conflit militaire dont la seule considération est l'appât du gain. Je suis donc un praticien assassin, tueur à gage, mué par la seule motivation de piller les caisses de l'État en portant intentionnellement atteinte à la santé des patients dont je m'occupe ! ? Et parce que, par amour de mon métier, je remplace, notre ministre me traite en plus de mercenaire ! Mais que suis-je devenu à 64 ans, après tant d'années dévouées aux patients du Sud-Manche.
Que nous reproche-t-on ?
Madame Courreges affirme dans le Quotidien du Médecin que nous mettons en danger la santé dans notre pays en réaction à notre prise de position de ne pas travailler pendant les fêtes, et de publier la liste hôpitaux qui appliquent la nouvelle réglementation. Je vous rappelle, Monsieur le Président, que statutairement, les praticiens hospitaliers et leur directeur sont entièrement responsables de la continuité des soins ; et les médecins intérimaires ne sont pas tenus légalement de pallier aux défections du système hospitalier. Ils sont, au contraire, présents à tout moment pour permettre à nos confrères de souffler un peu et leur laisser profiter de leurs congés, formations continues et week-ends. Il s'agit d'un mode de gestion des ressources médicales laissé au libre choix des conseils d’administrations hospitaliers, acté au travers des instances consultatives et décisionnaires, d'une année sur l'autre, dans le cadre de la gestion des budgets.
La soi-disant mise en danger reste du ressort des hôpitaux. Il ne peut y avoir de glissement des responsabilités vers les intérimaires si une direction hospitalière n'est pas en mesure de combler les vides dans les listes de gardes alors que les plannings sont établis au moins deux mois à l'avance.
Comment l'Ordre peut-il rester sans aucune réaction alors que Madame le Dr Buzyn, notre ministre, ose nous qualifier de médecins mercenaires ! Et vous, Monsieur le Président, n'êtes-vous pas indigné que l'on calomnie de la sorte des médecins remplaçants ? Votre seul soutien se traduit par la transmission de plaintes d'ordres déontologiques, issues du ministère de la santé, plaintes douteuses traduites par un cabinet d'avocat soumis aux directives du cabinet de Madame Courrèges, envoyées aux Chambres disciplinaires des Conseils Régionaux de l'Ordre, contre trois de nos confrères membres du bureau du SNMRH.
Et qui sont les intérimaires ?
Le gouvernement imagine qu'après une dizaine d'années d'études nous aspirons à devenir itinérants de la médecine hospitalière, médecins remplaçants professionnels allant par monts et par vaux effectuer des missions précaires au sein d'équipes affaiblies, inconnues, pour aider à prendre en charge des patients à la volée, sans suivi, sans pouvoir établir de réelles relations médecin-malades-familles ? Alors qu'envisager une carrière complète dans un Centre Hospitalier Général est une aventure humaine formidable.
Non, les intérimaires sont de jeunes praticiens qui souhaitent conforter leur formation, en découvrant le monde hospitalier espérant trouver de bonnes conditions d’exercice pour l’avenir. Ce sont aussi des retraités comme moi ne voulant pas rompre brutalement avec une belle profession qui a procuré tant de soulagement pour les autres. Ce sont aussi des praticiens hospitaliers qui ont la curiosité d'exercer en dehors de leur établissement pour aider d'autres confrères à la peine devant des postes vacants soumis à la dure pression des gardes. Ce sont aussi des femmes qui, pour allier vie personnelle et familiale, ne peuvent pas occuper un poste à temps plein, voire à temps partiel.
Effectivement, il existe quelques confrères qui abusent de la faiblesse des établissements pris à la gorge, mais ils sont l'exception et je le dénonce avec force. Ce n'est pas parce que d'anciens membres d'autres gouvernements précédents se sont retrouvés aux prises avec la justice que l'ensemble de nos élus sont tous corrompus, bien au contraire.
Et pour conclure, pensez-vous que la disparition de l'intérim puisse améliorer la situation de l'attractivité des postes de praticiens hospitaliers ? Pourquoi y a-t-il tant de postes à pourvoir ? A la vue de mes écrits cela peut se comprendre.
Je vous demande confraternellement de revoir votre position, de nous soutenir contre les propos malveillants et déplacés proférés par Madame Buzyn. Cette plainte auprès de nos confrères ne mérite pas qu'elle soit instruite. Madame Buzyn se trompe de cible. Pour la première fois je me sens trahi par mes pairs et notre ministre.
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