Marathon : ce qu'il faut savoir sur le risque musculo-squelettique

Publié le 03/04/2003
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PRATIQUE

Joggeur d'agrément, coureur sérieux, marathonien vrai, marathonien d'élite

La course à pied soumet l'appareil locomoteur à différents degrés de surmenage (éventuellement générateur de lésions) suivant la catégorie d'entraînement dans laquelle se situe le patient ou la patiente.
De façon ultraschématique, on distingue ainsi le « joggeur d'agrément » qui couvre une distance comprise entre une dizaine et une trentaine de kilomètres par semaine, en deux ou trois séances, et à un rythme moyen lui permettant de parcourir un kilomètre entre cinq et dix minutes ; le « coureur sérieux » parcourt, quant à lui, entre une quarantaine et une soixantaine de kilomètres par semaine en trois ou quatre séances, et participe de loin en loin à des pseudocompétitions d'amateurs (semi-marathons) ; le « coureur de fond ou marathonien vrai » maintient un régime d'entraînement régulier se situant à un niveau cumulé hebdomadaire compris entre une cinquantaine et une centaine de kilomètres, au prix de trois à cinq séances par semaine ; la vitesse moyenne observée dans cette catégorie permet d'effectuer un kilomètre dans une durée comprise entre trois et sept minutes ; enfin, le « marathonien d'élite, ou supermarathonien », s'entraîne à raison d'une distance hebdomadaire comprise entre une centaine et deux centaines de kilomètres, et est susceptible de participer non seulement à des marathons, mais également à des supermarathons (courses de cent kilomètres).

Un surmenage polymorphe

Toutes les structures tissulaires constitutives de l'appareil locomoteur sont susceptibles de payer le prix des contraintes accrues générées lors de la course.
Au niveau squelettique proprement dit, c'est soit le tissu osseux lui-même (fracture de fatigue...), soit le tissu cartilagineux (chondropathie, chondromalacie, ulcération, etc.) qui se trouve menacé. Pour ce qui est des parties molles, les muscles (élongation, rupture, congestion, etc.), les tendons (tendinites, ruptures...) peuvent être le terrain électif de la survenue de dégâts que ce régime fonctionnel supraphysiologique est susceptible de produire.
En fonction de la topographie, le surmenage peut prendre la forme de diverses entités cliniques.

Les dommages du membre inférieur distal

Il n'est pas question de dresser un catalogue exhaustif de tous les tableaux cliniques susceptibles de survenir au décours d'un marathon. On se contentera de survoler quelques situations fréquentes volontiers observées en pratique quotidienne.
Le complexe pied-cheville est tout particulièrement soumis à contribution et on peut y trouver :
- une tendinite achiléenne, l'inflammation du tendon revêtant diverses formes : gonflement, nodule... Cette tendinite, chronicisée et/ou délibérément ignorée, peut faire le lit d'une rupture ;
- une bursite rétro-calcanéenne, rappelant la maladie de Hagelund de l'adolescent, ou une fasciite ou aponévrosite plantaire sont d'autres types d'atteintes observées sur le pied proprement dit, sans même s'attarder sur les si fréquents et banals durillons ou ampoules signalés par de très nombreux coureurs ;
- une tendinite des releveurs du pied et/ou des extenseurs des orteils est également volontiers notée après un marathon ;
- une fracture de fatigue d'un métatarsien, compromettant l'appui plusieurs jours après la course, nécessitant une démarche diagnostique et thérapeutique opiniâtre ;
- un syndrome de la loge (ou compartimental) se manifestant par une douleur en amont et réalisant une entité autocompressive musculaire, susceptible exceptionnellement d'imposer une chirurgie libératrice ;
- enfin, des « shin splints » qui réalisent des douleurs antérieures des deux tiers distaux de la jambe et relevant d'une étiopathogénie polymorphe.

La souffrance du segment intermédiaire

Elle réalise des entités pathologiques très diversifiées :
- les chondropathies rotuliennes sont plus ou moins sévères, avec leur cortège de douleurs antérieures du genou accompagnées ou non d'épanchement articulaire ;
- la tendinite rotulienne ressemble à la précédente, mais s'en distingue aisément lors d'un examen clinique attentif ;
- les tendinopathies des ischio-jambiers ou du poplité doivent être recherchées lorsque la symptomatologie est à dominante postérieure, et plutôt juxta-articulaire ;
- les lésions méniscales ne sont pas exceptionnelles et doivent faire discuter leur préexistence à l'accomplissement du dernier marathon ;
- le syndrome de la bandelette ilio-tibiale se présente comme une douleur de la face externe du genou et de la portion distale de la cuisse ; il est aisément identifié par un examen clinique soigneux.

Les atteintes proximales et du rachis

Bien qu'un peu moins fréquemment touchés que le bloc cheville-pied ou le genou, la racine du membre inférieur et le rachis font quelquefois les frais d'un marathon difficile.
On retrouve pêle-mêle dans ce groupe lésionnel parfois déroutant des tendinites du moyen fessier (pas toujours facilement séparables d'une bursite trochantérienne), des tendinites proximales des ischio-jambiers (pas toujours distinctes d'une bursite ischiatique), des sciatalgies discogéniques ou non - quelquefois difficiles à distinguer d'un syndrome du pyramidal et imposant des explorations d'imagerie approfondies -, des pubalgies, des fractures de fatigue de la ceinture pelvienne...

Une prévention acharnée

L'extrême polymorphisme des lésions évoquées susceptibles d'être observées après un marathon, et amenant le patient à réclamer l'attention de son médecin, ne doit pas faire perdre de vue sa relative bénignité dans la plupart des cas. Cette pathologie représente cependant, pour l'intéressé, une importante source de préoccupation, dans la mesure où elle diffère la reprise de l'entraînement, avec un vécu proche d'un handicap sérieux. En effet, il n'est pas question d'autoriser la reprise de l'entraînement dans ce groupe de sportifs avant guérison complète de l'entité lésionnelle. C'est pourquoi l'un des tout premiers objectifs du praticien dans cette population sportive est, par un suivi régulier de l'entraînement, de prévenir la survenue de telles lésions. Ces lésions sont, la plupart du temps, rattachables à des erreurs d'entraînement : insuffisance de graduation dans la préparation, chaussage défectueux (dans son choix ou dans son entretien anti-usure), inadéquation des surfaces d'entraînement (macadam, sols instables ou accidentés...), hygiène de course défectueuse (échauffements et stretching pré- et postentraînement bâclés...).

Au total

La pratique du marathon a, par sa popularité, mis en lumière tout un spectre pathologique de l'appareil locomoteur, auparavant moins étudié. La compréhension globale des impératifs d'entraînement de cette population doit rendre le médecin vigilant dans son suivi diagnostique et préventif de cet entraînement, afin de réduire le risque lésionnel d'une telle pratique sportive, par ailleurs extrêmement recommandable sur le plan médical.

Pr Charles MSIKA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7309