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Personnes âgées : attention à l'ordonnance

Publié le 31/03/2003
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Aujourd'hui en France, 10 % des hospitalisations de personnes âgées de plus de 65 ans sont liées à une intoxication médicamenteuse. Chez les plus de 80 ans, la proportion passe à 20 %. Principal accusé : les ordonnances à rallonge.

« Une vieille dame standard a en moyenne 5 maladies pour lesquelles elle prend 6 ou 7 médicaments », explique le Dr Jean-Marie Vetel, chef de service gériatrie au centre hospitalier du Mans et président du Syndicat national de gérontologie clinique (SNGC). Une moyenne. Car certains vont jusqu'à suivre 15 traitements différents quotidiennement.
Or la médication des personnes âgées est particulièrement délicate. On oublie que le vieillissement de l'organisme s'accompagne d'un affaiblissement des capacités d'absorption, de distribution et d'excrétion des molécules chimiques. Chez les personnes âgées, les fonctions rénales et hépatiques sont ralenties, la masse musculaire est plus faible, la dénutrition et la déshydratation fréquentes. En résulte une concentration plus élevée des produits hydrosolubles dans le sang et des liposolubles dans les graisses, et un temps d'élimination nettement plus long. Un dosage trop élevé ou des prises trop rapprochées provoquent une accumulation dans l'organisme et une intoxication. En fait, comme en pédiatrie, les posologies doivent être adaptées et sans cesse réévaluées au regard de nombreux paramètres : âge, poids, fonction rénale, état nutritionnel, etc.

Précautions sur ordonnance

Par ailleurs, afin d'éviter les interactions médicamenteuses, une simplification de l'ordonnance s'impose. Il s'agit de cibler les principales pathologies pour limiter le nombre de médicaments ( « trois au maximum », recommande le SNGC). Mais aussi de privilégier les produits à élimination rapide. Différentes études de l'assurance-maladie révèlent, en outre, une importante prescription d'hypnotiques et d'anxiolytiques chez les plus de 70 ans, et cela avec des posologies supérieures à celles recommandées par les AMM. De même, les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont utilisés à des posologies inadaptées dans plus de 20 % des cas, tandis que la fonction rénale n'est surveillée que chez 6,1 % des patients traités.
Selon le Dr Vetel, d'autres thérapeutiques posent problème : anticoagulants, antihypertenseurs, ou encore les médicaments utilisés dans le traitement de l'épilepsie, de l'asthme, du diabète et de la douleur.
La galénique est également au cœur du problème. Les modes d'administration sont souvent inadaptés aux personnes âgées. Gélules ou comprimés trop gros sont vidés, écrasés, mélangés à des aliments, ce qui altère leurs propriétés et leur efficacité. Les gouttes sont mal utilisées. Sans oublier qu'avec une vue et une mémoire altérées, les personnes âgées sont susceptibles de se tromper dans les horaires et les doses. A tout cela peut s'ajouter une part d'automédication.
Même en établissement, la complexité de dispensation des médicaments est source d'erreurs. Depuis l'ordonnance jusqu'au patient, le médicament parcourt de nombreuses étapes. Une étude pilote, consacrée à l'estimation du risque iatrogène dans les établissements de santé en France, réalisée en région Aquitaine en 1999, révélait que sur 778 patients hospitalisés, 174 avaient été victimes d'un événement iatrogène grave (50 % étant évitables, 40 % résultant d'un acte de chirurgie).
On estime pourtant qu'au moins un tiers de ces accidents iatrogènes pourraient être évités. Une bonne part pourrait l'être si les médicaments étaient enfin testés chez les personnes âgées avant leur commercialisation, à l'instar de ce qui se fait en pédiatrie. Quand des médicaments sont retirés du commerce en catastrophe, on en compte beaucoup qui ont des effets indésirables chez les seniors. « Il est inacceptable de devoir extrapoler les données issues des essais cliniques effectués chez des sujets jeunes, au mieux chez des vieillards en bonne santé, aux vieillards pris en charge en maison de retraite, service de long séjour ou à domicile », s'insurge le Dr Vetel, qui estime que de telles études devraient être obligatoires.
Les statistiques parlent d'elles-mêmes.

« En gériatrie, no data ! »

Chef de service gériatrie au centre hospitalier du Mans et président du Syndicat national de gérontologie clinique, le Dr Jean-Marie Vetel plaide sans relâche depuis près de quinze ans pour les « orphelins pharmaceutiques » que sont, selon lui, les personnes âgées.
« Les autorités de régulation doivent rendre obligatoire - et non plus seulement recommander - l'essai avant commercialisation des médicaments chez les personnes très âgées. Il ne faut pas limiter le problème des médicaments et des personnes âgées à la pharmacocinétique. Il faut aussi s'intéresser à la pharmacodynamique. Les effets d'un médicament peuvent varier avec l'âge parce que les récepteurs aux médicaments vont vieillir. Prenons l'exemple des inhibiteurs de recapture de la sérotonine. Les personnes âgées de 80 à 90 ans ont-elles encore des sécrétions de sérotonine cérébrale ? Ce n'est qu'en incluant des personnes de 85 ans dans les cohortes d'essais thérapeutiques que l'on pourra le savoir . »
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"En gériatrie, no data !", ajoute le Dr Vetel. En effet, en gériatrie, nous ne disposons pas de données sur lesquelles nous appuyer. C'est un problème de fond. Pourquoi les autorités de régulation ne rendent-elles pas obligatoire quelque chose qui apparaît comme une évidence ? Je m'interroge... Cela fait dix à quinze ans que je répète le même discours partout. Tout le monde est d'accord, mais rien ne change. »

H. G.

Hélène GRILLON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7306