Premier succès de thérapie génique chez des enfants atteints d'un déficit immunitaire

Publié le 03/01/2001
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L E bruit courait dès la fin de l'année 1999. Mais c'est le 28 avril 2000 que les résultats concernant deux enfants atteints de déficit immunitaire combiné sévère lié à l'X (SCID-X1) ont été officiellement publiés dans « Science » par une équipe dirigée par le Pr Alain Fischer, et comportant des chercheurs de l'INSERM (U429 et 277) et de l'hôpital Necker (1).

L'affection est liée au déficit d'une sous-unité, dite gamma-c, commune aux récepteurs des interleukines 2, 4, 7, 9 et 15. Ces cytokines sont impliquées dans la prolifération et dans la différenciation des progéniteurs lymphoïdes. La non-fonctionnalité des récepteurs a pour conséquence le blocage de la différenciation des cellules T et NK ; blocage responsable d'un déficit immunitaire profond, létal en l'absence de traitement.
En principe, le traitement est la greffe de moelle. Pour les deux enfants traités à l'hôpital Necker, toutefois, aucun donneur compatible n'a pu être trouvé. La thérapie génique - qui avait naturellement fait l'objet de travaux préliminaires approfondis - a donc été tentée, alors que les enfants étaient âgés de 8 et 11 mois.
Le transfert de gène dans des cellules sanguines peut s'effectuer ex vivo : il s'agit donc de l'approche la plus simple. Les toutes premières expérimentations d'une thérapie génique, conduites aux Etats-Unis au début des années quatre-vingt-dix, concernaient d'ailleurs le déficit congénital en adénosine déaminase (ADA), déficit enzymatique compromettant lui-aussi l'immunité, et dont la correction avait été tentée dans les cellules sanguines.

Un vecteur rétroviral

Le transfert de gène, donc, a été effectué ex vivo, grâce à un vecteur viral - ici le rétrovirus Moloney -, sur les cellules immatures CD34+ recueillies chez l'enfant. Après quelques jours de culture, les cellules traitées ont été réinjectées à « leur patient d'origine ».
Les résultats obtenus dans le SCID-X1 par transfert du gène de la sous-unité gamma-, ont été spectaculaires puisque les deux enfants ont regagné leur domicile après trois mois d'isolement. De un à deux mois après le traitement, les premières cellules T ont pu être détectées dans le sang. Après quatre à six mois, leur taux était normal par rapport à des enfants du même âge, non malades, de même que les taux de cellules NK. Avec un recul de un an et demi, ces taux restent normaux. Fonctionnellement, ces cellules se sont montré capables de répondre à un agent viral ou bactérien. Les deux enfants ont d'ailleurs été vaccinés non seulement par les anatoxines diphtérique et tétanique, mais aussi contre le poliovirus, avec des réponses immunitaires normales. Aujourd'hui, ils poursuivent à domicile, et sans traitement, un développement que rien ne distingue de celui des enfants du même âge.
Il faut encore ajouter que trois autres enfants ont été traités suivant le même protocole par l'équipe de l'hôpital Necker. Les résultats n'ont pas encore été publiés. Mais dans deux cas, les résultats paraissent aussi favorables, avec un recul toutefois un peu moindre, de l'ordre de un an. Quant à l'échec, il est attribué à un état clinique critique de l'enfant au moment du traitement.
Ces résultats soulèvent deux ordres de question. D'abord, sont-ils durables ? Ensuite, pourquoi la thérapie génique du SCID-X1 a-t-elle permis un tel rétablissement des enfants, quand des thérapies a priori très comparables, telles les tentatives effectuées dans le déficit en ADA, n'ont apporté aucun bénéfice mesurable ?
En ce qui concerne la persistance du bénéfice, il est pour le moment impossible de se prononcer : tout dépend en fait des types cellulaires qui ont été transfectés ex vivo. S'il s'agit des progéniteurs médullaires les plus primitifs, le bénéfice peut en principe se prolonger à vie. S'il s'agit de progéniteurs intermédiaires, le stock de cellules transfectées, descendance incluse, pourrait à la longue finir par s'éteindre, dans un délai de cinq à dix ans. La seconde hypothèse est en fait la plus vraisemblable. Mais il faut souligner que rien, a priori, n'interdit le renouvellement de la thérapie si besoin est.

Les raisons du succès

L'autre question est celle des raisons du succès ; question évidemment cruciale dans la perspective d'une extension à d'autres indications. On sait que les deux difficultés majeures de la thérapie génique sont, d'une part, le ciblage des cellules à traiter, d'autre part, le rendement de la transfection. Concernant la spécificité cellulaire du transfert de gène, le problème est résolu d'emblée dans le cas d'une thérapie effectuée ex vivo sur des cellules sanguines : quel que soit le vecteur, on ne risque pas de transfecter d'autres types cellulaires. Concernant le rendement des vecteurs, c'est-à-dire le taux de cellules effectivement transfectées et exprimant le transgène, il est probable que l'on a bénéficié dans le cas du SCID d'une configuration tout à fait particulière, où le problème s'est lui aussi trouvé résolu de facto.
D'une manière générale, ce rendement reste pour le moment trop faible pour espérer un retentissement fonctionnel appréciable. C'est vraisemblablement la raison pour laquelle les traitements expérimentaux du déficit en ADA, c'est-à-dire d'un déficit enzymatique, n'ont pas donné lieu à des résultats : la proportion de cellules circulantes modifiées, « rétablies métaboliquement », est resté trop faible par rapport à des cellules non modifiées, survivant grâce à une supplémentation en ADA qui n'a jamais été interrompue chez les patients traités par thérapie génique. En somme, les cellules modifiées génétiquement par transfert du gène de l'ADA ont simplement bénéficié d'une autonomie métabolique par rapport à la supplémentation, mais pas d'un avantage sélectif par rapport aux cellules non modifiées.

Rétablir le récepteur manquant

Dans le cas du SCID, au contraire, la thérapie génique aboutissant au rétablissement d'un récepteur nécessaire aux signaux prolifératifs, quelque faible qu'ait été l'effectif initial de cellules modifiées, leur proportion par rapport à l'ensemble des cellules circulantes n'a pu que croître sous l'effet des cytokines, dont elles étaient les bénéficiaires exclusifs. De par la physiopathologie propre au SCID, les cellules modifiées ont donc été sélectionnées positivement. Et c'est sans doute l'une, au moins, des raisons pour lesquelles la thérapie génique tentée à l'hôpital Necker a réussi, là où d'autres, a priori très comparables, se sont montrées insuffisantes.
Si cette explication devait se confirmer, il s'agirait d'une nouvelle plutôt défavorable. Car rares sont les indications où la thérapie génique conférerait aux cellules transfectées un avantage prolifératif aussi net que dans le SCID. De ce point de vue, le spectaculaire succès enregistré dans le SCID pourrait avoir une signification plus ambiguë qu'il n'y paraît quant à l'avenir, du moins l'avenir proche, de la thérapie génique.

Améliorer le rendement des vecteurs

On travaille aujourd'hui beaucoup à améliorer le rendement des vecteurs. Mais toute amélioration sur ce plan renvoie au problème de la spécificité cellulaire du transfert de gène, lorsqu'il ne peut s'agir d'un transfert ex vivo, et qu'il s'agit par ailleurs d'un gène dont on doit éviter l'expression constitutionnelle dans n'importe quel type cellulaire.
En fait, la véritable avancée effectuée à l'hôpital Necker est moins d'avoir « fait marcher » la thérapie génique, que d'avoir découvert une indication, ou un type d'indication qui, de par ses particularités même, supplée aux limitations techniques actuelles. La preuve est faite de la validité du concept ; une alternative thérapeutique est offerte à la greffe de moelle dans le SCID : c'est déjà beaucoup. Mais le succès dans une indication, justement parce que c'est cette indication, souligne en filigrane combien il pourrait être difficile d'aboutir dans toutes sortes d'affections qui ne reproduisent pas l'effet de levier dont on a bénéficié dans le SCID.

M. Cavazzana-Calvo et coll. « Science », 28 avril 2000, vol. 288, pp. 669-672

Vincent BARGOIN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6828