Questions éthiques

Publié le 29/10/2012
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« LA RÉFLEXION éthique, souligne en préambule le Pr Didier Sicard, doit être de l’ordre de l’indépendance d’esprit, de la résistance et de la crainte d’une instrumentalisation par la science, par le politique ou par l’économie. Si l’éthique se plie à cette instrumentalisation, elle perd son âme. »

L’imagerie a pris une place de premier plan dans la pratique médicale ; autrefois, examen secondaire, complémentaire, elle est devenue un examen central ; le radiologue n’a pas seulement un statut d’expertise, mais de découvreur. L’imagerie s’est malheureusement substituée à l’examen clinique qui est aujourd’hui considéré comme inutile,- pourquoi perdre du temps à poser la main sur un abdomen douloureux alors que l’échographie est tellement performante- et qui a quasiment disparu, regrette le Pr Sicard. « Les médecins ne rendent pratiquement plus d’avis sans imagerie. Et les patients, de leur côté, n’ont pas l’impression d’être soignés s’ils n’ont pas accumulé un certain nombre de radios. Cette place prépondérante de l’imagerie et la quasi-disparition de l’examen clinique conduisent à reconstruire une pathologie ou une souffrance à partir d’images. Même s’il n’existe aucun rapport entre ce que montre la radio et le symptôme, par exemple une arthrose cervicale, présente chez chacun à partir d’un certain âge, et des vertiges, ce sont les résultats de l’imagerie qui priment. Cette médecine n’est en rien scientifique ».

Le recours excessif à l’imagerie touche toutes les pathologies y compris les plus courantes. « On ne fait plus de diagnostic d’appendicite sans scanner, au prix parfois de péritonites lorsque le délai d’attente du scanner conduit à repousser l’intervention. Tout cela induit un coût faramineux et inutile. »

Cette part excessive accordée à l’imagerie est particulièrement nette dans certains domaines, celui notamment du diagnostic prénatal. « L’excès de dépistage, avec des techniques de plus en plus sophistiquées, crée ou révèle des images qui sont absolument ininterprétables. Or ces images sont toujours traitées selon le principe de précaution sécuritaire. En vertu de ce principe un certain nombre de personnalités, porteuses de pathologies, Einstein, Rachmaninov, Toulouse-Lautrec, Petrucciani et bien d’autres ne naîtraient plus aujourd’hui ! Il finit ainsi par se créer une confusion entre l’essence de l’être et son image. »

Résister.

À partir du moment où les radiologues sont des acteurs centraux de la médecine et non plus seulement des spécialistes techniques, ils devraient pouvoir opposer davantage de résistance aux demandes d’examens qui leur sont faites par les médecins, estime Didier Sicard. « C’est bien entendu une démarche difficile parce qu’il y a toujours la crainte de se voir imputer, à tort, une responsabilité en cas de découverte ultérieure d’une pathologie. Mais il serait important que les radiologues ne soient plus contraints d’exécuter systématiquement les prescriptions, qu’ils puissent avoir une certaine autonomie dans leur pratique, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui. Le transfert majeur, excessif, sur l’imagerie que l’on constate actuellement tient d’ailleurs également pour une part à une certaine résignation des radiologues qui ne remettent pas suffisamment en cause les prescriptions d’examens. »

Pour le Pr Sicard, cette résistance devrait s’exercer également à l’encontre de certaines demandes de la société, celles faites notamment par la justice à l’imagerie fonctionnelle d’établir la responsabilité d’un criminel ou d’un suspect.

Enfin, dans un pays qui pratique le dépistage plus qu’aucun autre, (49 % des Françaises font un dépistage systématique du cancer du sein), il revient aux radiologues, estime Didier Sicard, d’exiger de l’Assurance-maladie les données qu’elle détient sur les résultats de ce dépistage, de connaître également le rapport bénéfice/risque des examens d’imagerie comparé à celui de l’examen clinique pour un certain nombre de pathologies.

« Les problèmes éthiques que pose l’imagerie sont très particuliers, très différents de ceux de la réanimation, par exemple. L’imagerie en elle-même est fondamentalement éthique dans son rapport à l’homme, elle est consubstantielle à l’éthique. »

 Dr HÉLÈNE COLLIGNON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9182