Grève du 4 juillet

Rachel Bocher (INPH) : « Des pans entiers de services s’effondrent »

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Publié le 22/06/2023
Rachel Bocher

Rachel Bocher
Crédit photo : DR

Avez-vous des nouvelles du ministère de la Santé et de la Prévention depuis l’arrêt des négociations ?

Non, strictement rien depuis le 12 mai dernier. Le moral des professionnels n’est pas au beau fixe. Nous sommes dans l’incompréhension totale des objectifs poursuivis par les pouvoirs publics. Dans le même temps, les difficultés au quotidien s’accroissent. Et asphyxient le quotidien. Nous ne sommes pourtant pas des radicaux. Alors que le ministre évoquait il y a peu d’ouvrir une nouvelle page, elle est désespérément blanche.

La gravité de la situation est toutefois bien perçue par le gouvernement. Il n’y a pas de déni.

Certes. Mais les paroles ne suffiront pas. Les dossiers sont ouverts. Mais ils sont classés sans suite. C’est inacceptable. Les causes de cette situation sont multifactorielles. La prise de conscience est en fait partielle. Citons un exemple de notre quotidien. Les soignants partent dès que possible à la retraite ou en cessation progressive d’activité. C’est un coup dur pour l’hôpital public. C’est la fierté même d’exercer au sein de l’hôpital public qui est désormais en cause. On travaillait pour gagner sa vie mais aussi pour faire du bien. Cette fierté n’existe plus du fait de la multiplication de situations de stress, d’un déficit de moyens, de matériels, de tensions entre collègues, avec la hiérarchie. La seule question soulevée par les politiques est de savoir si l’hôpital va tenir cet été. Nous sommes dans le court terme. Pourtant, on ne peut réaliser des recrutements massifs juste avant l’été. Exemple, je ne sais pas comment fonctionneront les urgences psychiatriques cet été alors que nous sommes fin juin. Résultat, nos gardes devraient débuter à 13h30 au lieu de 18h30. La désorganisation dans les services sera majeure pour les consultations, la prise en charge des patients hospitalisés. Nous sommes dans un état de pénurie de soignants gravissime. S’il n’y a pas de signal fort avant l’été, l’hôpital risque de craquer, en dépit des affirmations d’Arnaud Robinet, le président de la FHF. Des pans entiers de services s’effondrent. Alors, même si la prise de conscience est collective, partagée par les pouvoirs publics et les professionnels. Au final, il ne se passe rien. C’est encore plus rageant.

Cet abandon favorise-t-il l’hospitalisation privée ?

La question peut être posée. Pour autant, le système libéral n’est pas au meilleur de sa forme. En fait domine la problématique de l’Ondam qui doit être soulevée au niveau de la représentation nationale, de la population avec une périodicité pluriannuelle. Ce qui garantit la pérennité de certains projets. En vérité, les cliniques privées ne sont pas en mesure d’assurer les différentes missions prises en charge par l’hôpital public. La santé n’est ni de droite, ni de gauche. En fait, nous sommes toujours dans le temps de la logique comptable, mise en œuvre par Nicolas Sarkozy avec pour objectif la réduction de dépenses de santé. Nous n’en sommes jamais revenus. Or inéluctablement, cette politique génère des coûts supplémentaires avec les retards de diagnostic et les comorbidités.

Au regard de cette situation, un jour de grève est-il suffisant ?

Sûrement pas. Mais celui qui ne fait pas de bruit n’est pas entendu. On verra après. Il n’y a rien de plus difficile pour un médecin de se mettre en grève. Il ne sait pas ne pas soigner ! Dès aujourd’hui, la souffrance des soignants se traduit par une réduction du temps de travail. Et c’est redoutable. A partir d’un moment, on ne pourra plus effectuer le chemin inverse. Dans mon service, sur douze médecins, seuls deux sont à temps plein. Tout ne va pas être remplacé par la télémédecine. On n’avait pas imaginé cette situation.

Vous exprimez un désarroi.

En effet, je crains qu’il ne soit trop tard. Il y a toujours des vocations, des passions. Simplement, on les aménage avec une autre façon de vivre son métier. Au final quelle priorité assigne-t-on aujourd’hui au système de santé ? Quelles perspectives se donne-t-on ? J’aime bien citer la phrase de Bernanos, « l’avenir, on ne le subit pas, on le fait ». C’est pourquoi nous avons lancé ce préavis de grève. Cette action ne sera pas isolée. D’autres suivront. Ce ne sera pas une grève sans suite.


Source : lequotidiendumedecin.fr