Réforme de la Sécu : le gouvernement s'apprête à ouvrir la boîte de Pandore

Publié le 07/04/2003
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La réforme de l'assurance-maladie se fera, dixit le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, sur France 3, avant la fin de 2003, sans que, dans l'intervalle, la CSG ne soit augmentée d'un iota. Elle sera précédée - et, là, c'est le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, qui parle - d'un « débat » public qui pourrait s'ouvrir en mai.

Les choses se précisent, donc, pour ce grand ménage annoncé de la prise en charge des dépenses de santé des Français. Le rideau commence à se lever et on comprend que le gouvernement choisit, de fait, de continuer à laisser se creuser pendant plusieurs mois encore des déficits déjà abyssaux (le trou de l'assurance-maladie approche les 8 milliards d'euros en 2002 et dépassera les 10 milliards à la fin de l'année, du jamais vu !).

Le débat s'ouvre le 15 mai

Alors que Bruxelles vient de lui remonter les bretelles, c'est ailleurs que, à court terme, Jean-Pierre Raffarin fera les fonds de tiroir. En restreignant le train de vie de l'Etat (1,4 milliard d'euros de crédits votés dans le budget de l'Etat pour 2003 ont été annulés). Pour le reste, il a précisé sur France 3 qu'il avait « le temps ».
Mais, dans un contexte économique déplorable (les recettes de l'assurance-maladie n'entrent pas et les dépenses flambent), le dicton ne peut pas être plus vrai : « Le temps, c'est de l'argent », et on ne peut que constater que les pouvoirs publics vont jouer la pièce de leur réforme dans un décor bien obscur.
Le calendrier paraît en tout cas arrêté. Pour trancher dans le vif de l'avenir de la Sécurité sociale, Jean-François Mattei a, il l'a annoncé la semaine dernière à l'Assemblée nationale, « envoyé le 15 mars à l'ensemble des partenaires sociaux et des représentants des professions de santé une demande pour qu'ils (lui) adressent avant la fin d'avril leurs propositions. (...) Ensuite, le débat sera ouvert ». Les discussions pourront se baser sur les tout frais résultats de l'assurance-maladie que la commission des comptes de la Sécurité sociale doit rendre publics le 15 mai. Elles prendront aussi appui sur les rapports qui s'accumulent depuis quelques mois sur le bureau du ministre. En particulier, celui de Rolande Ruellan, qui fait un état des lieux sur les relations entre l'Etat et l'assurance-maladie (« le Quotidien » du 7 janvier) ; celui qu'Alain Coulomb doit rendre très prochainement sur les moyens de médicaliser l'Objectif national d'assurance-maladie (ONDAM) ; et puis, gros morceau, le travail que Jean-François Chadelat remet aujourd'hui à Jean-François Mattei à propos de la redéfinition de la place de la solidarité nationale (« le Quotidien » des 10 et 24 mars).

Le « hors-sujet » de Chadelat

« Gros morceau », parce que, dans l'optique de départ du gouvernement - qui considère que, la hausse des dépenses de santé étant inéluctable, il faut d'une part en redistribuer la prise en charge entre l'Etat, les mutuelles et les ménages, et d'autre part dissocier dépenses de santé et dépenses de soins -, ce document devait tracer des pistes de répartitions nouvelles et permettre à l'Etat de se désengager de ce qui, dans le contexte contraint des critères de Maastricht, ne peut être qu'un « bourbier » économique.
Problème : le rapport Chadelat a beau revoir de fond en comble l'architecture de la protection maladie des Français (refondue au sein d'une CMG - couverture maladie généralisée - alliant le régime obligatoire avec les régimes complémentaires dits « de base »), il ne règle pas la question centrale d'un éventuel transfert des uns vers les autres. Ses solutions, écrivaient dans nos colonnes Claude Le Pen, de l'université Paris-Dauphine, le 3 avril, reposent « essentiellement sur le mode de la redistribution financière entre acteurs institutionnels et sociaux, et non sur celui de la définition des contours respectifs de la solidarité nationale et du choix individuel ». En outre, le rapport Chadelat se garde bien de mettre sous le nez des pouvoirs publics une vérité pas forcément bonne à énoncer par les temps qui courent et que rappelle un expert de l'assurance-maladie : « Un pour cent d'économie sur les dépenses d'assurance-maladie, c'est 40 % d'augmentation pour les cotisations des mutuelles. » Autrement dit, il n'y a pas de mystère. Si l'Etat se désengage (et l'Europe ne lui laisse pas vraiment le choix de faire autrement), ce sont les complémentaires et leurs adhérents qui payent - et qui payent très cher. Un pavé dans la mare qui peut torpiller stratégies et alliances politiques. « Je doute qu'augmenter la part financée par les ménages et par les mutuelles soit possible, analyse Jean de Kervasdoué, spécialiste en économie de la santé au Conservatoire national des arts et métiers, car si le gouvernement prenait cette voie, son dernier allié - la CFDT - lui claquerait entre les doigts. »
Et, en effet, les bribes que le gouvernement communique quant au fond de ses intentions prouvent que, pour l'heure, il bâtit (ou tente de bâtir) ses plans sur un autre terrain : celui de la recherche de l'économie (en témoignent ses tractations difficiles sur les tarifs des cliniques), de la maîtrise raisonnée et médicalisée des dépenses. En médecine de ville, le projet patine, mais, à l'hôpital, il est de plus en plus clair. Tous les rapports - et ils sont, là aussi, nombreux - qui ont été remis à Jean-François Mattei sur la réforme de l'institution convergent : ils ne demandent pas de moyens supplémentaires, mais prônent la responsabilisation des acteurs, ainsi qu'une restructuration du paysage motivée, certes, par la sécurité sanitaire, mais source d'économie.
Taxé de mensonge par les socialistes - pour le premier secrétaire du PS, François Hollande, Jean-Pierre Raffarin « n'a pas dit la vérité (sur la) faible croissance » et sur « la rigueur budgétaire »-, suspecté d'abuser de « la méthode Coué » jusque dans son propre camp (la formule est du président de l'UDF, François Bayrou), le gouvernement s'apprête à ouvrir la boîte de Pandore avec l'assurance-maladie. Nul doute qu'il en fera sauter les verrous avec mille précautions. A l'intérieur de l'UMP, certains prédisent déjà que la réforme se fera très doucement, sur le très long terme. Et avec une très longue addition ?

Karine PIGANEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7311