Dans une guerre où se succèdent les coups de théâtre et où le commentaire instantané est démenti dans l'heure qui suit, les prévisions à six mois sont impossibles.
En revanche, on peut tenir compte des faits tels qu'ils se sont produits et semblent irréfutables.
1) On a affirmé que la stratégie adoptée par Donald Rumsfeld, le secrétaire américain à la Défense, était erronée. Nous nous sommes associés à ce jugement et nous continuons à penser que d'un point de vue purement stratégique, l'incapacité des Américains à ouvrir le front nord, l'insuffisance des effectifs anglo-américains, l'extension des lignes logistiques ont retardé les succès militaires de la coalition.
La victoire à portée de la main
Il demeure que les forces américaines ont encerclé Bagdad après avoir pris son aéroport et y ont pénétré à plusieurs reprises. Que les forces anglaises, au bout de deux semaines, sont entrées à Bassorah qu'elles sont sur le point de contrôler. Que les villes de Karbala et de Nassiriyah ont été prises. En d'autres termes, qu'Américains et Britanniques sont en train de gagner cette guerre.
2) La victoire à portée de la main n'aura pas été obtenue sans mal ni sans sans pertes humaines. Que ce soit par conviction ou parce que Saddam Hussein ne leur en donnait pas le choix, les forces irakiennes se sont fort bien battues, alors que la coalition attendait des redditions répétées. Mais on ne peut ignorer que, contraints de livrer une bataille extrêmement dure, les Anglo-Américains y sont allés sans états d'âme. C'est au moins une leçon pour tous les réseaux de terroristes qui prétendent qu'ils ont une supériorité sur les Occidentaux, lesquels auraient peur de mourir, alors qu'ils s'en font une joie.
3) Dans la confusion et le chaos des combats, il est difficile de faire la part des victimes militaires et des morts ou blessés civils. Il n'est ni excessif ni partisan d'admettre que la coalition avait des instructions formelles pour épargner les civils et qu'elle s'est efforcée de les respecter. Il n'est pas excessif de constater que les Irakiens, de leur côté, se sont servis des civils pour gagner la bataille médiatique, qu'ils ont largement remportée, si l'on en juge par les accusations qui sont encore portées en Europe par diverses personnalités politiques ou morales.
Il demeure que des roquettes irakiennes sont tombées sur des civils irakiens, qu'il s'agisse de bavures ou d'une autre des cruautés de Saddam ; que les fedayin ont tiré sur des civils de Bassorah qui tentaient de quitter la ville, qu'ils ont établi des postes de combat dans des écoles (à Bagdad, une école entière était piégée par des explosifs), dans des hôpitaux et dans d'autres lieux civils, qu'ils ont utilisé une femme enceinte pour l'un de leurs attentats-suicides.
Toujours au même chapitre, en plusieurs endroits, y compris à Bagdad, la foule a commencé à faire des signes amicaux aux forces d'invasion. Ce qui semble prouver que les Irakiens, chiites ou sunnites, attendaient d'avoir la certitude de la chute de Saddam avant d'exprimer leur opinion.
4) Les forces de la coalition ont commis d'énormes bavures, dont le bombardement d'une colonne kurde, où des Américains ont été blessés, et l'attaque d'un convoi de diplomates russes fuyant la capitale dans l'ouest de l'Irak. Mais Américains et Anglais sont les premières victimes de ces bavures qui ne sont pas intentionnelles et font partie de toutes les batailles.
5) La guerre devait donc être évitée à cause des souffrances et des deuils qu'elle a causés. Mais une fois qu'elle avait commencé, l'opposition, sous forme diplomatique ou sous forme de manifestation pacifiste, ne servait plus à rien : il était impensable que la coalition recule pour des raisons morales, alors qu'elle a déclenché la guerre sans provocation de l'Irak. Il serait de plus inacceptable que tant de pertes dans les deux camps ne soient pas suivies de la disparition d'une dictature dont les méthodes politiques et militaires sont particulièrement répugnantes.
6) On peut penser ce qu'on veut de George W. Bush, il serait naïf ou enfantin de croire qu'il ne tirera pas une leçon strictement égoïste de la victoire anglo-américaine, une fois qu'elle aura eu lieu. Avec sa phraséologie coutumière, à peine moins onctueuse que celle de Saddam, il posera une question simple : qui a libéré l'Irak ? Qui est mort en Irak ? Ni les Belges, ni les Allemands, ni les Français.
La reconstruction politique et économique de l'Irak se fera donc sous la direction des Américains et peut-être des Anglais. Jean-Pierre Chevènement, qui publie dans « le Monde », daté de mardi, un article violemment opposé à la perspective de « protectorat » américain sait pourtant que les Etats-Unis ne sont pas un empire colonial et que Franklin D. Roosevelt a obligé Churchill à renoncer aux colonies britanniques (et de Gaulle aux siennes). La Maison-Blanche parle d'une présence de « six mois ou plus » en Irak. Le seul maintien de l'ordre exige la présence d'une puissance militaire.
Car la guerre ne va pas finir du jour au lendemain, surtout si Saddam n'est pas capturé. Elle va se transformer en guérilla.
Bien entendu, on peut toujours prendre ses désirs pour des réalités. Nous préférerions qu'une force de l'ONU imposante remplace la coalition, assure l'ordre et instaure un système démocratique et parlementaire à Bagdad. Mais qui peut, sérieusement, faire confiance à l'ONU, sauf à mettre des casques bleus sur les têtes anglo-américaines ?
Nausée française
Certains commentateurs français ont affirmé avoir eu la « nausée » quand ils ont appris que des contrats irakiens avaient été consentis par l'administration américaine à Halliburton, une société américaine de services pétroliers que dirigeait naguère le vice-président lui-même, Dick Cheney. Ils n'ont pas eu la nausée quand la France construisait Osirak. Ils n'ont pas eu la nausée quand nous passions des contrats avec Saddam Hussein. Les Américains, surtout le clan de M. Bush, ne sont pas des anges. Mais l'angélisme n'a pas cours dans le monde où nous sommes. Et qu'on ne nous dise pas que, dans l'attitude diplomatique de la France, il n'y avait que de la morale : il y avait aussi nos intérêts commerciaux dans le monde arabe, la crainte du terrorisme et la prise en compte de l'opinion de quelques millions de Français musulmans.
Un tout petit peu d'objectivité aurait été salutaire à la presse française, qui a préféré faire chorus avec un pacifisme de conjoncture et décrit Bush comme un crétin. Un crétin qui est en train de gagner une guerre avec 200 000 hommes, par 35 degrés à l'ombre et dans les vents de sable. L'attitude la plus bête n'est pas de haïr l'Amérique, c'est de la sous-estimer.
Miser sur Tony Blair
Dans cette affaire, notre meilleur allié, c'est Tony Blair et Jacques Chirac devrait le savoir. Le Premier ministre britannique, contre l'avis des Américains, veut réinsérer l'ONU dans le jeu diplomatique, veut que les forces de la coalition quittent l'Irak le plus tôt possible, veut retrouver sa place au sein de l'Union européenne.
En d'autres termes, ou bien nous continuons notre guérilla diplomatique contre l'Oncle Sam, comme si sa victoire ne changeait pas fondamentalement les données du Proche-Orient, et nous achèverons l'Europe, l'OTAN et l'ONU. Ou bien nous changeons de registre, même s'il est un peu tard, et nous nous associons au Royaume-Uni pour tenter d'amener les Américains à résipiscence.
Si, en revanche, nous entrons dans la logique de M. Chevènement, qui est de combattre l'Amérique de toutes les manières, sauf, bien sûr, de la manière militaire, nous allons marginaliser la France.
Ne compteront en effet, au lendemain de cette terrible guerre, que ceux qui ont déclenché le changement. Ou bien nous nous souvenons de ce qui nous rattache aux Anglo-Américains, ou bien nous larguons les amarres et commençons un voyage mirifique vers les Russes massacreurs de Tchétchènes, les Syriens totalitaires, les Saoudiens obscurantistes et des pays comme la Jordanie et l'Egypte qui, de toute façon, continuent à dépendre de l'Amérique.
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