LE QUOTIDIEN – Quelle est la philosophie générale de ce plan ?
EMMANUELLE PRADA-BORDENAVE – Ce plan est l’aboutissement d’une prise de conscience de l’importance de développer la greffe compte tenu de l’augmentation du nombre de maladies chroniques qui peuvent conduire à la défaillance terminale d’un organe, avec une préoccupation, bien sûr sanitaire, mais aussi financière. Il y a deux ans, à l’occasion de la Journée mondiale du rein, l’assurance-maladie a présenté des chiffres qui ont marqué les esprits. Ses représentants ont fait valoir que l’insuffisance rénale terminale « coûte » environ 4 milliards d’euros par an à la sécurité sociale, soit à peu près 2,5 % de son budget pour environ 0,2 % à 0,3 % des patients. Tout le monde a alors réalisé que nous nous étions engagés dans un mode de prise en charge à la fois très efficace mais aussi très coûteux, et qu’il y avait une nécessité de réagir pour favoriser autant que possible le recours à la greffe chez des patients en dialyse.
Quelles sont les grandes priorités de ce plan Greffe ?
Ce plan repose sur trois orientations stratégiques : l’inscription de la greffe dans une filière de soins, l’augmentation des activités de prélèvement d’organes en développant en parallèle toutes les sources potentielles de greffons, le renforcement de la sécurité sanitaire et de la qualité des pratiques dans le domaine du prélèvement et de la greffe. C’est relativement nouveau dans le domaine de la greffe, notamment rénale. Pendant trop longtemps, il y a eu deux mondes au sein de la néphrologie, avec, d’un côté, les néphrologues de ville chargés de la dialyse et, de l’autre, les néphrologues « greffeurs ». Au moment où le patient était adressé pour la greffe, il se produisait comme une sorte de rupture. Il faut en finir avec cette situation et amener les professionnels à travailler ensemble dans un contexte de filière. On sait aujourd’hui qu’une bonne prise en charge des pathologies qui conduisent à une insuffisance rénale chronique permet de retarder ou éviter le passage au stade terminal de la maladie.
Un des enjeux, aujourd’hui, est d’arriver à mobiliser les médecins généralistes et les néphrologues de ville dans cet objectif et, si l’indication de greffe est posée, d’inscrire les patients en liste d’attente le plus tôt possible.
Mais la filière, c’est aussi l’aval de la greffe. On recense aujourd’hui 40 000 greffés en France et les équipes de greffe ont parfois du mal à assurer le suivi de ces patients. La prise en charge d’un patient greffé au sein d’un réseau de soins au plus près de son domicile existe déjà, mais demande à être reconnue et développée.
A-t-on une idée de l’écart entre le coût d’une greffe et celui d’une dialyse ?
Oui, ce coût a été calculé par un groupe de travail mis en place sous l’égide de la Haute Autorité de santé (HAS). Globalement, on estime qu’une année de dialyse coûte environ 80 000 euros. La première année de la greffe, l’effet est neutre sur le plan financier. Mais les années suivantes, c’est différent. On estime en effet à 20 000 euros environ le coût moyen de suivi d’un greffé si l’on prend en compte les consultations et les médicaments immunosuppresseurs. On se retrouve alors avec un différentiel d’à peu près 60 000 euros par an et par patient.
Un des grands objectifs de ce plan est aussi de développer en France les greffes, principalement de rein, à partir de donneurs vivants ?
Oui, c’est devenu indispensable. Depuis toujours, la France a très fortement investi dans les donneurs décédés. Cet objectif était au cœur du premier plan Greffe avec la mise en place de coordinations hospitalières de prélèvement pour recenser les donneurs décédés en état de mort encéphalique. C’est quelque chose qui, aujourd’hui, est bien organisé dans notre pays. Mais il est vrai que nous avons du retard dans le domaine des donneurs vivants. En 2011, il y a eu 300 greffes de reins faites en France à partir de donneurs vivants, soit moins de 10 % de l’ensemble des greffes rénales. C’est nettement insuffisant.
Ne faudrait-il pas que les néphrologues de ville se mobilisent davantage dans ce domaine ?
Absolument. Il est essentiel que tous les professionnels de la dialyse soient sensibilisés à la nécessité de développer les greffes à partir de donneurs vivants pour pouvoir informer très tôt les patients et les familles concernées. C’est la raison pour laquelle nous avons envoyé des brochures de sensibilisation dans les centres de dialyse à l’attention de médecins mais aussi des infirmières. En Norvège, cette sensibilisation sur le donneur vivant est faite avant même l’entrée en dialyse par le néphrologue de ville, qui invite à rechercher des donneurs potentiels parmi les proches. Résultat, le taux de greffe en Norvège est de 61 par million d’habitants contre 44 en France.
La récente révision des lois de bioéthique n’a-t-elle pas permis des avancées sur le donneur vivant avec l’élargissement du cercle des donneurs et l’autorisation des dons croisés* ?
Oui, ces lois de bioéthique ont aussi joué un rôle important sur le problème de l’accès à l’assurance des donneurs. On s’est rendu compte en effet que des personnes qui avaient donné un rein avaient des difficultés pour accéder au crédit, faute de pouvoir être assurés. La situation était assez paradoxale : ces personnes avaient pu être donneuses car elles étaient en très bonne santé et, là, elles se retrouvaient pénalisées, car elles avaient un rein en moins. Les lois de bioéthiques ont heureusement fait sauter cet obstacle en interdisant cette discrimination. Mais aujourd’hui, nous devons encore progresser pour garantir la neutralité financière du don. Même si les textes de loi ont permis des améliorations, il y a encore trop de gens qui se retrouvent avec des frais divers (taxis, garde d’enfants, etc.) mal ou non remboursés.
Le plan Greffe ne vise-t-il pas aussi à assurer une meilleure équité dans l’accès à la greffe ?
C’est là un objectif tout à fait majeur. Grâce au registre REIN, que nous avons développé depuis des années avec les néphrologues, nous avons acquis une très bonne connaissance de la répartition géographique de la maladie rénale. Cela nous permet de connaître de manière précise les endroits où nous devons faire porter nos efforts pour faciliter l’accès à la greffe. Nous sommes conscients qu’il existe des zones où l’attente est plus longue qu’ailleurs. Mais il faut être conscient que, dans certains endroits, le délai est moins long tout simplement parce qu’il y à moins d’inscriptions sur les listes d’attente. L’équité dans l’accès doit donc être effective aussi bien dans les inscriptions sur les listes d’attente que sur l’attribution des greffons.
Que peut-on dire de la place réservée à la recherche dans ce plan ?
Là encore, cela sera une priorité d’action pour nous. La recherche en transplantation va devoir se développer au cours des prochaines années, notamment pour essayer d’augmenter la durée de vie des greffons et améliorer les techniques de conservation. Nous devons aussi nous mobiliser dans le domaine de la recherche en immunologie pour mieux comprendre les problèmes de rejet. Un autre problème important concerne la tolérance des immunosuppresseurs. Aujourd’hui, environ 30 % des greffons sont rejetés car les patients arrêtent de prendre leur traitement. Nous avons aussi des espoirs dans le développement des technologies innovantes. Je pense en particulier à l’utilisation de cellules souches pour régénérer des organes ou l’utilisation de nanotechnologies pour essayer de mettre au point un rein de substitution implantable. Tout cela est certes encore très préliminaire mais mérite d’être suivi.
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