Bien manger quand on travaille en roulement, ça s'apprend aussi

Publié le 09/07/2021
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L’hôpital doit-il rester synonyme de mauvaise alimentation pour les soignants et les patients ? Alors que le surpoids est surreprésenté dans le personnel qui alterne jour et nuit, le Covid – et son corollaire la fermeture des cantines — semble avoir changé le rapport à l’alimentation. De plus en plus, des soignants apportent leur « gamelle » et prennent le soin d’équilibrer leurs repas.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

Comment manger de façon équilibrée quand on travaille en roulements de 12 heures voire de 16 ou 24 heures ? Cette question se pose pour les médecins dès leurs débuts. Même si un temps est dévolu aux repas dans les contrats de travail – ce qui reste rare – la plupart des soignants (en particulier des médecins) mange « sur le pouce » pendant leurs heures de travail. Et ils ont tous une bonne raison : « si je m’arrête trop longtemps, personne ne fera mon travail » ; « le flux est continu quoi qu’il arrive et si je paye par un afflux de patients l’heure de pause que j’ai prise, alors je n’aurais rien gagné, sinon un stress supplémentaire »; « vu ce qui est proposé à la cantine ou sur les plateaux servis en garde, je préfère avaler mon repas à toute vitesse et ne pas me mettre en retard ».

Mais les conséquences sur l’équilibre nutritionnel, le rythme veille-sommeil et la santé sont rapides à se manifester : troubles du sommeil, hypertension, obésité, diabète… Aux États-Unis, en 2010, 27 % des soignants qui alternaient des jours et des nuits de travail étaient obèses. La prévalence était la plus élevée chez les 45-64 ans avec 32 %, les personnes noires (38 %) et les non médecins. Plus qu’un quart de soignants inclus dans l’analyse faisaient plus de 5 repas par jour (grignotage inclus) (1). Les personnes en surpoids étaient plus représentées chez les intérimaires, ceux qui travaillaient sans sécurité d’emploi ou dans un environnement hostile.

Ce taux élevé d’obésité serait-il seulement lié à des mauvaises habitudes alimentaires ? Une étude publiée dans les PNAS en 2014 (2) montre que manger strictement les mêmes repas quand on travaille de jour ou de nuit fait prendre du poids aux travailleurs nocturnes. L’organisme consomme en effet plus d’énergie de jour que de nuit et sans adaptation (baisse des apports ou augmentation de l’activité) le gain pondéral est inexorable. Et lorsque les horaires de travail varient sur de courtes périodes (alternances gardes/journées de travail chez les médecins), l’organisme ne peut pas s’habituer aux modifications et le stockage de graisses est encore plus net.

En Australie, les organisations professionnelles d’infirmiers insistent sur les aliments à privilégier en cas de travail de nuit : soupes, plats mijotés (mieux digérés surtout lorsqu’ils sont consommés en petite quantité), aliments à index glycémique bas, fruits et légumes à fort pouvoir hydratant et protéines pour éviter les fringales. En 2019, juste avant le Covid, le BMJ publiait des recommandations pour les repas nocturnes (3): manger relativement tôt dans la nuit (avant minuit), boire beaucoup, résister aux tentations (même en cas de stress aigu), limiter le partage de nourriture commandée en équipe (pizza parties…). La revue britannique insistait aussi beaucoup sur la nécessité de mettre en place des rituels d’alimentation : préparation de la « gamelle » à domicile, manger sans téléphone, choisir un endroit calme où l’activité n’interfère pas…

En France, il semble qu’il y ait un avant et un après Covid pour les soignants : pendant la période épidémique, les cantines et cafétérias des hôpitaux n’étaient plus accessibles. Beaucoup ont pris l’habitude de la « gamelle » individuelle, un lien indispensable entre la maison et le lieu de travail. Et en 2021 nombre d’entre eux ont gardé ce rituel qui pourrait améliorer la santé des soignants dans les prochaines années.

(1) Prevalence of Obesity Among U.S. Workers and Associations with Occupational Factors Sara E. Luckhaupt, MD, MPH, Martha A. Cohen, PhD, Jia Li, MS, Geoffrey M. Calvert, MD, MPH American Journal of Preventive Medicine Am J Prev Med 2014;46(3):237–248
(2) Impact of circadian misalignment on energy metabolism during simulated nightshift work Andrew W. McHill, Edward L. Melanson, Janine Higgins, Elizabeth Connick, Thomas M. Moehlman, Ellen R. Stothard, and Kenneth P. Wright Jr.PNAS 2012 111 (48) 17302-17307; https://doi.org/10.1073/pnas.1412021111 (3) What should I eat on my night shift ? BMJ 2019; 365 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.l2143

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin