Dossier

Horaires, honoraires, installation… les desiderata de la génération Y

Ce que veulent les jeunes généralistes

Publié le 29/05/2015
Ce que veulent les jeunes généralistes


Non, les jeunes ne sont pas réfractaires au mode d’exercice libéral. Les réalités médicales et démographiques sont pourtant légèrement différentes en Rhône-Alpes et en Picardie, pourtant les internes de médecine générale de ces deux régions semblent partager les mêmes aspirations et les mêmes constats sur leur discipline. C’est en tout cas ce que révèlent deux enquêtes récentes. La première a été réalisée par le Département de médecine générale de l’UFR de médecine d’Amiens, le SAPIR-IMG, l’URPS médecins Libéraux de Picardie et le cabinet Géosanté. Dans la deuxième, Sofia Perrotin, jeune généraliste de la région lyonnaise, a voulu sonder les internes en médecine générale de Rhône-Alpes sur les modes et niveaux de rémunération désirés.

Au vu des résultats, force est quand même de constater que l’exercice libéral reste la meilleure option selon ces jeunes. En effet, dans l’enquête de Sofia Perrotin, les futurs généralistes sont 86 % à vouloir opter pour le mode libéral et seulement 14 % pour le salariat. En Picardie ils semblent certes un peu moins à s’imaginer en libéral (61,5 %), mais la question a été posée aussi aux internes qui souhaitent réaliser un DESC (Diplôme d’études spécialisées complémentaires) pour pratiquer la gériatrie ou aux urgences.

Un mode de rémunération imparfait

Contrairement à ce que l’on dit souvent, les jeunes ne rejettent donc pas massivement le mode d’exercice dominant. Mais c’est sur le mode de rémunération idéal qu’ils font entendre leur différence, près de la moitié des internes plébiscitant un mode de rémunération mixte. En cause, le paiement à l’acte exclusif. Près de la moitié des internes interrogés trouvent que la tarification à l’acte est peu ou pas adaptée à l’exercice de la médecine générale. Un désamour confirmé par un attrait nouveau pour le salariat, au moins en théorie, puisque 36 % jugent que le salariat est quant à lui beaucoup ou entièrement adapté et 47 % considèrent même l’exercice salarié de la médecine générale comme idéal.

Ces résultats font écho à de précédentes études, comme celles de l’Isnar-IMG il y a deux ans, sur les souhaits d’exercice des IMG, dans laquelle 78 % des internes répondaient qu’ils souhaitaient sortir du paiement à l’acte exclusif. « La remise en cause est assez nette depuis plusieurs années, confirme Pierre-Antoine Moinard, président de l’Isnar-IMG. Le paiement à l’acte est incompatible avec les missions qui sont celles du médecin généraliste actuellement. Aujourd’hui, les futurs généralistes souhaiteraient avoir tous les avantages. Le mode de rémunération parfait n’existe pas, mais un mode de rémunération mixte serait vertueux, ajoute-t-il. « Ce qui nous manque, c’est du temps, et le paiement à l’acte ne nous permet pas d’en dégager », insiste Jacques-Olivier Dauberton, président de Reagjir. « Le paiement à l’acte nous incite à travailler plus, à multiplier les actes et, finalement quand on prend le temps avec ses patients, on est pénalisé, ce n’est pas équitable », considère aussi Sofia Perrotin, l’auteur de l’enquête. « De plus, pendant notre formation, nous sommes salariés, on se familiarise avec certains atouts du salariat comme les avantages sociaux par exemple », ajoute le Dr Dauberton.
 

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Le meilleur des deux mondes

Le plus étonnant c’est que les internes, qu’ils se destinent au salariat ou au libéral, partagent la même appréciation des avantages et des inconvénients de chaque mode d’exercice. Qu’est-ce qui plaît donc tant dans l’exercice salarié ? Les sondés rhônalpins sont séduits d’abord par la diminution des charges administratives (85 %), les avantages sociaux (77 %), la sécurité d’une somme fixe à la fin du mois (82 %) et la protection du volume horaire (71 %). Mais, en contrepartie, le manque de liberté professionnelle (68 %), les objectifs imposés (59 %), l’imposition des horaires et des vacances (58 %) et les revenus plus faibles (50 %) sont les points noirs rattachés au salariat.

Des inconvénients qui renvoient en symétrique aux avantages mis en avant pour l’exercice libéral que 50 % considèrent comme le meilleur moyen d’exercer la médecine générale. La liberté de la gestion du temps (89 %), du choix du type d’exercice (95 %), ou la modulation de la rémunération (67 %) sont les points forts qui, chez les jeunes, feraient pencher la balance du côté du libéral. Même appréciation en Picardie où les futurs médecins citent l’autonomie professionnelle et la capacité à organiser son temps parmi les quatre principaux intérêts de l’exercice de la médecine générale libérale. Les difficultés mises en avant sont les formalités administratives, la charge de travail et la comptabilité à faire, des mauvais points auxquels les IMG de Rhône-Alpes rajoutent l’absence d’avantages sociaux (93 %) et la mise en place compliquée en début d’installation (76 %).

Même si les futurs praticiens semblent convenir que, finalement, chaque système a un peu les inconvénients de ses défauts, malgré tout, les difficultés dans l’exercice libéral semblent jouer sur leur perception de l’exercice et leur désir d’installation. Au point que, pour une part (14 %) des internes de Lyon, Saint-Étienne et Grenoble, le mode d’exercice libéral serait en lui-même une raison suffisante pour ne pas vouloir s’installer. Cette proportion de récalcitrants augmente (25 %), bien sûr, chez ceux qui souhaitent être salariés. Une frilosité qui se trouve renforcée par le regard plutôt pessimiste que les généralistes de demain porte sur le futur de l’exercice libéral.

D’après l’étude du SAPIR-IMG, 64,8 % lui prédisent un avenir incertain. Un horizon flou qui pour 74,3 % d’entre eux remet même en question leur désir d’être médecin libéral. La récente loi de Santé ne semble pas aider et accroît un peu plus ces craintes. Elle est vue comme accentuant les inconvénients déjà mis en avant dans l’exercice libéral. Comme chez ce sondé picard, qui déclare : « Les propositions de loi sur le tiers payant généralisé freinent mon désir d’installation car l’augmentation des charges administratives signifie moins de temps pour le patient ». « La loi de santé a fait beaucoup de mal. On reçoit de nombreux témoignages qui nous disent que, dans ces conditions, ils préfèrent repousser leurs projets d’installation », appuie Pierre-Antoine Moinard. Une peur de l’exercice libéral qui peut expliquer que les généralistes de demain ne soient pas forcément impatients de se lancer immédiatement après leurs études. Les internes picards sont ainsi 60,6 % à souhaiter passer par une période de remplacements avant de s’installer. 48,5 % envisagent de remplacer pendant 2 à 3 ans et 31,8 % se donnent un an avant de travailler dans leur propre cabinet. À l’image de leur génération, les futurs généralistes repoussent donc toujours plus l’âge de l’engagement.

Des jeunes plus volages

Et si ces réserves sur l’avenir expliquaient ce souci de ne pas se retrouver tout seul ? Une tendance paraît en tout cas très claire : les généralistes en devenir ne voient pas leur futur en solo. L’enquête de Sofia Perrotin révèle que, sur ceux qui déclarent vouloir travailler dans un cabinet de médecine générale, uniquement 8 % envisagent d’exercer seul, quand 86 % se verraient bien en cabinet de groupe, 77 % en maison de santé ou 36 % en centre de santé. On n’est plus du tout dans la situation de leurs aînés que l’IRDES situait, en 2009, à 54 % en groupe.

Les internes picards confirment cette inclinaison pour l’exercice collectif, même s’ils paraissent un peu moins réticents (25,7 %) que leurs homologues rhônalpins à exercer seuls. « Avant, dans la prise en charge du patient, le médecin était omnipotent. Aujourd’hui pour celle des patients chroniques, cela nécessite des corps de métiers différents, il faut une vraie structure autour de nous. On n’a plus l’envie, ni la possibilité de décider seul. On est habitué à parler d’égal à égal », analyse Jacques-Olivier Dauberton.

Autre dominante chez les jeunes : cette volonté de ne surtout pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. Car les futurs généralistes sont plus mobiles, pas forcément géographiquement mais entre leurs lieux d’exercice. Seuls 50 % projettent d’effectuer leur carrière exclusivement en cabinet de médecine générale, 24 % souhaitent travailler dans deux structures différentes et 13 % dans trois lieux et plus. Déjà, dans l’enquête de l’ISNAR-IMG de 2013, 81,7 % des internes se disaient prêts à avoir un exercice diversifié ou à changer d’orientation au cours de leur carrière. « Il y a une tendance très franche à la mobilité, notamment régionale, au cours de la carrière. Mais, en réalité, je crois que l’idée du lieu d’exercice unique était déjà de l’ordre du fantasme pour la génération précédente », assure Pierre-Antoine Moinard. Au-delà d’un lien possible avec le désir d’un mode de rémunération diversifié, il faut sans doute y voir un phénomène générationnel : « Nous souhaitons diversifier notre exercice, faire autre chose qu’uniquement du cabinet et changer de lieu. De plus, la représentation de l’exercice libéral traditionnel s’incarne dans l’achat du cabinet qui représente un lourd engagement et vous ancre à un endroit, et ce n’est pas le souhait de la jeune génération », affirme, sans ambages, le chef de file des jeunes de REAGJIR. La peur de l’engagement définitif freine donc au démarrage. Au point que l’Isnar-IMG a imaginé des ateliers d’information sur les démarches à la désinstallation. « On veut montrer que c’est possible parce qu’on a remarqué que la peur d’un engagement trop définitif peut freiner la primo-installation », explique son président.
 

Gagner moins pour travailler moins et mieux
 

[[asset:image:5781 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["Photo Phanie"],"field_asset_image_description":["\u00ab Le paiement \u00e0 l\u2019acte est incompatible avec les missions qui sont celles du m\u00e9decin g\u00e9n\u00e9raliste aujourd\u2019hui \u00bb"]}]] La balance entre vie professionnelle et vie personnelle, entre-temps de travail et temps pour soi ou sa famille est également un sujet important pour les jeunes généralistes. Les internes rhônalpins se disent prêts massivement à baisser leur niveau de rémunération, à 93 % si cela leur permet d’avoir une meilleure qualité de vie personnelle, à 82 % pour avoir une meilleure qualité de travail et à 77 % pour diminuer leur temps de travail. Sur ce dernier point, les femmes (81 %) sont davantage prêtes à faire ce sacrifice que les hommes (67 %). Pour le reste, les internes sont prêts à travailler en moyenne 4,5 jours et voudraient gagner en moyenne 4 312 euros (...).

Quand on sait que la moyenne de rémunération pour les généralistes avoisine aujourd’hui les 6 000 euros pour une moyenne horaire hebdomadaire de 55 heures environ, et même en tenant compte des évolutions de carrière, ce souhait de rémunération confirme que les jeunes médecins sont donc prêts à grignoter sur leurs revenus, a priori pour miser sur le qualitatif. « Il s’agit d’un vrai clivage générationnel, affirme le président de l’Isnar-IMG, les jeunes sont plus conscients qu’ils seront plus efficients s’ils sont plus épanouis dans leur vie personnelle ». « Les internes et jeunes généralistes ne considèrent plus la médecine générale comme un sacerdoce et un certain nombre ne souhaitent pas travailler cinq jours. Ils ne veulent pas que l’investissement professionnel prenne le pas sur tout, explique Sofia Perrotin. Cela tient aussi à un nouvel exercice de la médecine qui est, plus axé sur la coordination. » « Du coup, on voit aussi que certains médecins plus âgés commencent à faire un peu pareil en diminuant leur temps de travail », ajoute-t-elle. Effectivement, d’après l’enquête réalisée auprès des internes picards, seuls 67 % envisagent d’exercer à temps plein.

Une évolution socio-démographique

Ce changement dans les aspirations des médecins provient également des évolutions sociodémographiques : « Auparavant, le médecin était souvent seul en charge de financer sa famille, aujourd’hui, et avec la féminisation de la profession, ce n’est plus le cas », souligne le Dr Dauberton. Un élément qui tend à être confirmé par cette statistique : « Parmi les hommes médecins, 11 % ont un aidant familial (la femme se déclare sous ce régime) contre 0,1 % des femmes médecins généralistes ». Une fois encore les femmes sont davantage prêtes à jouer ce jeu puisqu’elles souhaitent travailler 6 % de moins que les hommes et gagner 20 % de moins, soit1 000 euros.

Le désir d’exercer de manière plus qualitative pousse aussi les généralistes à revoir leurs priorités : « Que ce soit pour des raisons de qualité de vie personnelle ou professionnelle, les jeunes médecins sont de moins en moins intéressés par la course à l’acte, décrypte Jacques-Olivier Dauberton, ce qui explique aussi que la rémunération à l’acte ne soit plus adaptée et ce qui montre que ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est une vraie organisation de la santé, autour de structures groupées ou d’hôpitaux locaux. Il y a de plus en plus de jeunes qui s’installent à mi-temps. La notion de rémunération n’est plus si importante que ça. » Dans tous les secteurs, les jeunes et futurs généralistes semblent donc réclamer que le qualitatif prenne le pas sur le quantitatif. Vu les cadences infernales dont se plaignent aussi leurs aînés, ils ne sont peut-être pas les seuls…