Des pistes pour s’en sortir

D’où viennent les « violences obstétricales » ?

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Publié le 24/06/2022
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Pour que le courant repasse enfin entre les patientes et les équipes obstétricales, il est urgent de mieux impliquer les femmes dans les décisions de soins et d’être attentif au soulagement de la douleur. Le CNGOF, qui s’est engagé depuis plusieurs années dans la bientraitance obstétricale, va proposer une charte pour les salles de naissance.
Les antécédents de violence sexuelle doivent être systématiquement recherchés

Les antécédents de violence sexuelle doivent être systématiquement recherchés
Crédit photo : phanie

Ce que l’on appelle « violences obstétricales » regroupe des plaintes très différentes. Les premières à les évoquer ont été les Africaines, et surtout des femmes d’Amérique du Sud, vivant dans des favelas, et qui étaient frappées par la famille ou les soignants ! Bien que la même terminologie ait été reprise en France, il ne s’agit pas du même contexte et, dans notre pays, ce terme regroupe plutôt les difficultés inhérentes à l’accouchement, mais aussi la prise en charge insuffisante de la douleur, la réalisation de certains gestes techniques qui touchent au domaine de l’intime et qui ont été mal expliqués (voire, pas expliqués du tout) ainsi que les difficultés relationnelles rencontrées avec l’équipe soignante.

« Du côté des soignants, nous devons absolument nous poser la question de savoir quelles sont les difficultés rencontrées par les femmes, pour ne pas les occulter mais, au contraire, tenter de mieux répondre à leurs attentes. Il nous faut ainsi répondre de manière adaptée à l’évolution des relations médecins-patientes au cours des dernières décennies. C’est une question de bienveillance et de respect des souhaits des patientes. Et, même si certaines demandes maternelles ne sont pas raisonnables, cela mérite toujours d’en parler afin d’expliquer pourquoi », souligne le Pr Cyril Huissoud, chef du service de l’hôpital Femme Mère Enfant (HFME) de Lyon.

La plupart des reproches faits par les patientes se cristallisent autour de la naissance, mais parfois, ils apparaissent en anténatal ou au contraire, en postnatal. Là encore, il importe de désamorcer ces situations : le vrai travail d’écoute, même s’il prend du temps, est primordial. Pour autant, il ne faut pas tout mélanger : « les obstétriciens se sont beaucoup émus qu’au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, un rapport rendu sur les violences sexistes, place la pratique d’épisiotomie en première position comme un acte ‘sexiste’ en obstétrique et que la secrétaire d’État évoque alors en conférence de presse un taux d’épisiotomie de 75 %. Déjà, il y a bien longtemps qu’il n’y a plus 75 % d’épisiotomie réalisées en France et, surtout, cela n’a rien à voir avec un acte sexiste, puisqu’il s’agit d’un acte médical qui ne peut se pratiquer que chez des femmes ! De plus, ce sont surtout les sages-femmes — en grande majorité des femmes — qui les pratiquaient, pour prévenir certaines déchirures complexes du sphincter anal chez des patientes à haut risque, s’insurge le Pr Huissoud. Qu’un secrétariat d’État, qui n’est même pas en charge des obstétriciens, ait dévoyé une réalité à des fins militantes, pose problème. Cela a fait du tort aux soignants en instaurant un climat de défiance des femmes contre celles et ceux qui s’engagent pour les soigner ! Cette polémique inutile a laissé des traces profondes dans nos métiers, d’autant que nous n’avons eu aucun apaisement du côté de notre ministre de tutelle de l’époque. »

Douleur et non consentement au centre des récriminations

En pratique, les violences obstétricales traduisent surtout le non-respect ou le manque de prise en considération des demandes des patientes (notamment pour la douleur) et le manque d’écoute par rapport à un problème ressenti par la patiente. « Il y a donc un vrai besoin de sensibiliser toute l’équipe à ce problème, depuis l’aide-soignante jusqu’à l’obstétricien, car tout le monde est concerné, de l’anténatal au post-partum, insiste le Pr Huissoud. Il faut absolument éviter toute formule culpabilisante ! »

Pour mieux objectiver le problème des violences obstétricales, des enquêtes ont été réalisées auprès de jeunes accouchées. Deux études de satisfaction, réalisées dans des maternités, l’une en Rhône-Alpes, l’autre en Bourgogne, font état d’une minorité de femmes ayant mal vécu leur accouchement. La première a porté sur 627 femmes ayant rempli le questionnaire après accouchement : 5,62 % rapportent une insatisfaction flagrante, la principale cause en étant la prise en compte inadéquate de leur douleur. Dans la seconde étude, ayant porté sur 1 149 femmes ayant répondu à J2, 89,8 % déclarent avoir bien vécu leur accouchement sur le plan physique et 93,4 % sur le plan psychologique. Pour autant, 44 % des femmes ont rapporté une « violence » au bloc obstétrical, à savoir, l’absence de recherche et/ou de respect du consentement (21,5 %), une information non satisfaisante pour au moins un geste (14,4 %), un manquement aux bonnes pratiques soignantes (24,2 %) ou un manquement dans la relation soignant – soignée (11,1 %). « Ces études soulignent l’importance de mieux impliquer les femmes dans les décisions de soin en systématisant l’information et la recherche du consentement et d’être attentif au soulagement de la douleur », estime le Pr Huissoud.

Quel est le profil des femmes insatisfaites ? Tous peuvent se rencontrer, mais il semble que les patientes ayant des antécédents de violences sexuelles soient plus à risque de rencontrer des difficultés lors de leur accouchement, or cette question est rarement posée : il faudrait l’aborder de façon plus systématique et orienter éventuellement vers un psychologue. Enfin, outre un climat familial délétère, le mauvais vécu de l’accouchement peut aussi venir du conjoint qui a mal vécu d’être écarté au moment d’une césarienne ou au contraire, d’y avoir assisté et d’avoir été choqué !

Vers plus de bientraitance

En réaction à ces problèmes, qui doivent être entendus, le Collège national des gynécologues obstétriciens de France (CNGOF) a élaboré une première charte de l’examen clinique gynécologique et obstétrical [lire aussi p. XX], reprenant un certain nombre de règles élémentaires, comme arrêter si la patiente se plaint d’avoir mal (en gynécologie) ou, si c’est impossible car on est en salle d’accouchement et qu’il faut faire vite, prendre toutes les mesures possibles pour la soulager.

Le réseau périnatal Aurore et le CNGOF ont aussi élaboré une charte de bientraitance en salle de naissance : se présenter quand on arrive, expliquer ce que l’on va faire, expliquer pourquoi il y a éventuellement besoin d’une aide instrumentale à l’expulsion (mais sans pratiquer l’expression utérine, qui est une manœuvre à proscrire) et permettre à la patiente de revenir sur les difficultés qu’elle a vécues ou ressenti lors de l’accouchement. « La Charte devrait sortir à la rentrée, après validation par le conseil d’administration du CNGOF, puis être diffusée aux différentes sociétés savantes qui travaillent autour de la périnatalité, aux membres du CNGOF, lesquels pourront en faire la promotion dans leur établissement. Le CNGOF, qui est engagé depuis plusieurs années sur la question de la bientraitance, souhaite également labelliser les maternités qui s’impliquent activement dans la formation à la bientraitance : quelque cent maternités sont labellisées à ce jour », précise le Pr Huissoud [lire p. XX]. Outre le fait de respecter un certain nombre de points essentiels pour la bientraitance, ces maternités doivent faire œuvre de transparence en permettant aux patientes de s’exprimer sur une plateforme, où elles peuvent raconter la manière dont elles ont vécu leur accouchement, afin qu’en cas de difficultés, soit étudié ce qu’il s’est passé (problème d’effectif, de formation, autre ?) et ainsi agir en conséquence.

Exergue : « La bévue de la secrétaire d’État a instauré un climat de défiance »

Entretien avec le Pr Cyril Huissoud (Lyon)

Dr Nathalie Szapiro

Source : lequotidiendumedecin.fr