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Dossier

Observance thérapeutique

Et si la décision médicale partagée était la solution…

Par Bénédicte Gatin - Publié le 18/03/2016
Et si la décision médicale partagée était la solution…


SPL-PHANIE

Avec près d’un patient sur deux ne suivant pas à la lettre les prescriptions de son médecin, l’observance reste un défi majeur. Mais le concept évolue, et l’application à sens unique de l’ordonnance au patient cède peu à peu la place à la négociation et à la décision médicale partagée.

La notion d’observance thérapeutique a-t-elle vécu ? Du Ciss à certaines sociétés savantes comme l’European Association for the Study of Diabetes (EASD), de plus en plus de voix remettent, en tout cas, en cause le modèle paternaliste où le médecin prescrit et le patient s’exécute. Et plaident pour une nouvelle forme de relation médecin/patient où le malade devient partie prenante du choix et du suivi de son traitement.

Exit donc l’observance comprise comme une application sans faille d’une règle édictée par une autorité extérieure, au profit de l’adhésion thérapeutique qui sous-tend l’implication du patient et renvoie en toile de fond au concept de décision médicale partagée.

Cette nouvelle approche de la relation médecin patient a été développée dans les pays anglo-saxons dans les années 1980 afin de réduire l'asymétrie d'information et de pouvoir entre les médecins et les patients. De la collaboration Cochrane au pharmacologue britannique, Rob Horne, de nombreux professionnels s’y sont depuis intéressées. En France, même la Haute Autorité de santé s’est penchée sur cette question en publiant en 2013 un état des lieux sur le sujet.

 

Deux sources d’expertises au lieu d’une


En pratique, la décision médicale partagée suppose un temps d’échange d’informations entre le médecin et le patient, un processus de délibération puis, enfin, un accord mutuel. « Dans le modèle de la prise de décision partagée, il apparaît donc deux sources d’expertise : celle du professionnel de santé, qui apporte ses connaissances en termes de diagnostic, d’étiologie de la maladie, de pronostic, d’options et modalités de traitement, de probabilités de succès des différents traitements, mais aussi celle de la personne malade, qui apporte son expérience et son vécu de la maladie, son contexte social, ses valeurs et croyances et, enfin, ses préférences », souligne le Pr Alfred Penfornis (CH Sud-Francilien, Corbeil-Essonnes).

 

 

 

Le poids des facteurs psychosociaux


Le recueil de ces éléments psychosociaux propres au patient est particulièrement important dans la mesure où ils conditionnent fortement - souvent de manière inconsciente - son attitude ultérieure vis-à-vis du traitement.  En effet,« le comportement des patients est rarement un comportement scientifique », insiste le Pr Luc Martinez (médecin généraliste, université Pierre et Marie Curie). Dans son travail de thèse, la psychologue Aurélie Gauchet (Grenoble) identifie d’ailleurs trois éléments psychosociaux influençant fortement l’adhésion thérapeutique. À savoir : les croyances et les représentations du patient vis-à-vis de sa pathologie et de ses traitements, son degré d’acceptation (ou de déni) de sa maladie et le niveau de confiance dans la relation instaurée avec son malade.

 

 

 

 

 

Le comportement des patients est rarement un comportement scientifique

 

 

Pr Luc Martinez
 

Dans ce contexte, « la simple explication de l’ordonnance au patient ne suffit pas », poursuit le Pr Martinez. Et de prôner une approche psychosociale plus large qui permet d’approcher et d’explorer les représentations des patients. à ce titre, plusieurs outils sont disponibles comme le questionnaire « Beliefs about Medicines Questionnaire » (BMQ) récemment traduit en français. D’autres outils, disponibles sur le site de l’Inpes, ont aussi été développés pour permettre aux patients de mieux appréhender les différents traitements, leurs bénéfices, leurs effets secondaires, etc.

Si cette approche  vise à faire bouger les lignes côté patients, la décision médicale partagée (DMP) impose aussi aux soignants un changement de mentalité et lui demande d’être prêt à lâcher du lest.  

 

Bien connaître les alternatives


À l’heure de la suprématie de l’EBM et des recommandations l’exercice peut paraître difficile voire contre-productif. En fait, « le modèle de DMP n’est pas du tout en contradiction avec le concept de la médecine fondée sur les preuves, détrompe le Pr Penfornis. L’implication du patient dans la prise de décision médicale constitue même l’un des principes fondamentaux de la médecine fondée sur les preuves, qui prend en compte la synthèse des meilleurs éléments de preuve disponibles à partir de la littérature mais aussi  l’expertise du clinicien et les inclinations propres du patient. »

Par ailleurs, dans certaines situations, comme le choix  d’un antidiabétique de seconde ligne dans le diabète de type 2, la littérature seule ne permet pas de trancher. Le point de vue du patient et ses préférences prennent alors tous leur sens. « Cela suppose de bien connaître les alternatives et de pouvoir les présenter aux patients », reconnaît le  Pr Alfred Penfornis.

Chez un patient polypathologique, cela suppose aussi de connaître les bénéfices attendus de chaque traitement afin de pouvoir éventuellement « prioriser » avec le patient certaines stratégies par rapport à d’autres.

 

Une approche chronophage mais payante


Cela suppose enfin de pouvoir consacrer un certain temps à cette approche, «  ce qui peut être difficile en soins primaires », reconnaît le Pr Martinez. Le Pr Penfornis est un peu plus optimiste : « Si, au début cela est chronophage, au fil des consultations cela devient beaucoup plus fluide et au bout d’un certain temps, certains patients arrivent même avec leurs propres propositions ! », témoigne le diabétologue.

Certaines études attribuent à la DMP un surcoût temporaire de 20 minutes environ par consultation. Concernant les bénéfices de la DMP, les données sont peu nombreuses et parfois divergentes. La revue Cochrane réalisée sur ce sujet met en évidence de nombreux bénéfices en termes de satisfaction du patient, de coût et même… de suivi des recos. En revanche 7 des 8 essais ayant évalué l’observance du traitement à 6 ou 12 mois n’ont pas mis en évidence de différence significative intergroupe sur le suivi du traitement médicamenteux dans l’hypertension, l’hypercholestérolémie, la dépression, l’ostéoporose ou la ménopause. Une étude réalisée en médecine générale retrouve a contrario « une amélioration de l’observance du traitement des maladies chroniques »...

Bénédicte Gatin