Exercice coordonné, CPTS : accouchement au forceps ?

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Publié le 29/01/2021
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2021 sera-t-elle l'année décisive de l'interpro ? C'est le vœu des pouvoirs publics qui font de l'exercice coordonné un pilier du système de santé. Mais l'essor des organisations de soins primaires qui incarnent cette pratique collaborative prend du temps. Et la profession ne veut pas de modèle unique.
En septembre 2018, Emmanuel Macron avait souhaité que l'exercice isolé "devienne marginal et puisse disparaître à l'horizon 2022"

En septembre 2018, Emmanuel Macron avait souhaité que l'exercice isolé "devienne marginal et puisse disparaître à l'horizon 2022"
Crédit photo : PHANIE

Depuis une vingtaine d’années, les autorités de santé misent sur le développement progressif de l'exercice coordonné et du travail en équipe, à côté du modèle historique du cabinet libéral isolé.

Après les maisons et pôles de santé, la loi Touraine de 2016 a porté sur les fonts baptismaux les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) d'une part et les équipes de soins primaires (ESP) d'autre part pour structurer les soins de ville en miroir de l'hôpital. Et en 2017, Emmanuel Macron fixait un cap ambitieux en décrétant que l'exercice libéral isolé devrait devenir l'exception à l'horizon 2022. Pas si simple !

Un accord conventionnel interprofessionnel (ACI) a certes été signé en 2019, visant à octroyer aux CPTS qui vivotaient un financement pérenne. Mais le décollage reste progressif dans un pays où le centralisme et la suradministration reprennent facilement leurs droits : sur les 600 communautés enregistrées fin 2020, seules 80 ont signé un contrat donnant/donnant avec l’Assurance-maladie. Et pour les médecins pionniers porteurs de projets, c'est le parcours du combattant. Quant aux équipes de soins, elles sont au stade de l'expérimentation dans quelques régions. L'exercice interpro formalisé, priorité de Ma Santé 2022, a du mal à se concrétiser. 

Apprendre à partager

Le premier frein reste culturel. « L'exercice coordonné implique un changement de dogme dans la pratique. Alors qu'avant le médecin décidait de tout, tout seul, il doit apprendre à partager. Ce n’est pas toujours facile. Mais les choses avancent bien », témoigne le Dr Tayssir El-Masri, généraliste et président de la CPTS de Liévin-Pays d’Artois. En 2018, son organisation ne comptait que deux médecins adhérents, aujourd’hui, 29 se sont inscrits sur les 35 du territoire. « Il y a encore un peu de pédagogie à faire auprès des médecins », euphémise le Dr Claude Leicher, président de la Fédération nationale des CPTS et ancien patron de MG France.

Le Dr Sylvaine Le Liboux, présidente du collectif Boischaut-Nord, pointe les contraintes administratives et le manque de financement, en dépit des discours. « Les médecins ont l'habitude de se coordonner avec les autres. Mais dans une CPTS, cette pratique doit être formalisée et protocolisée ! Cela peut faire peur », analyse-t-elle. « Pour monter une structure, on doit rédiger un projet de santé qui peut faire 50 pages, embaucher un coordinateur. L'aide financière de l'ARS n'était pas suffisante, c'est un frein », ajoute la généraliste de l'Indre.

Conscient des obstacles, le gouvernement a pressé en 2020 les partenaires conventionnels de s'entendre sur de nouvelles incitations, via un avenant 2 à l’ACI CPTS (lire page suivante). Il s’agit de faciliter la préparation des projets, les modalités d'adhésion et d'augmenter les dotations de fonctionnement. Un appui conventionnel doit aussi doper les équipes de soins primaires (ESP) et spécialisés (ESS).

Crise sanitaire : un effet catalyseur ?

Preuve que rien n'est simple, après plusieurs mois de négociation, la CNAM a présenté cet hiver un compromis qui n'a pas été paraphé par les syndicats de médecins libéraux, en dépit d'avancées conséquentes. « Il y a une augmentation de 75 % de la dotation de fonctionnement et la valorisation d'une nouvelle mission. C'est une forme de reconnaissance de notre rôle dans le système sanitaire », soutient le Dr Leicher.

Le contexte épidémique est plutôt porteur : les collectifs libéraux qui existaient ont fait la preuve de leur efficacité pour organiser des centres Covid en début de crise, puis des centres de vaccination. « Là où il y a des CPTS, la création des centres de vaccination s’est faite en 48 heures. Là où il n’y en a pas, la mobilisation reste plus difficile à organiser », affirme le généraliste.

Hors des CPTS, point de salut ?

Mais cet enthousiasme n’est pas partagé par les syndicats de médecins libéraux qui, en pleine campagne électorale, jugent les efforts de la CNAM « très insuffisants », trop centrés sur les seules CPTS, « ne couvrant qu'une part minoritaire de médecins » ou inspirés par une « dérive dirigiste ». Pour le DG de la CNAM qui aurait voulu afficher un accord interpro début 2021, le coup est rude. Il faudra patienter.    

« Que fait-on pour les nombreux médecins qui ne sont pas dans ces organisations ? La CPTS ne peut pas être le seul modèle organisationnel pour tous les médecins et tous les soins de ville », recadre le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. La Confédération misait sur les équipes de soins mais les partenaires n'ont pu s'entendre sur leur forme et leur rémunération. D'où la volonté de la CNAM d'expérimenter, de tester. « Encore des expérimentations ! s'agace le Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF. En attendant, les médecins qui se coordonnent en dehors des CPTS ne sont pas financés… »

Pour le SML, l'effort de simplification n'a pas été au rendez-vous. Il redoute que les équipes de soins à la sauce de la CNAM se transforment en mini-CPTS, « avec la bureaucratie qui s'y rattache ». C'est pourquoi la centrale du Dr Vermesch défend le projet d'équipes ouvertes, sans formalisme, un modèle déjà en réflexion au sein de l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS).

Pourtant défenseur des organisations coordonnées, MG France a lui aussi refusé de signer l’avenant « en l’état », « surtout dans le contexte électoral actuel ». « Nous aimerions avancer sur les équipes de soins avec des groupes de travail », positive le Dr Jacques Battistoni, président du syndicat de généralistes. « 21 syndicats sur 48 concernés » sont prêts à signer, (r)assure la CNAM, qui promet de reprendre les travaux après les élections chez les médecins en avril. Pour conclure enfin ?

Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin