Elles sont 49 685 médecins généralistes en France, soit 49,38 % de la profession. Autant de femmes devenant, petit à petit, majoritaires dans les promotions étudiantes et dans les cabinets. Mais qui sont-elles et à quoi ressemble leur exercice quotidien du métier ? Le Généraliste raconte la féminisation en cours d’une profession autrefois réservée aux hommes.
Rappeler que la profession se féminise relève de l’évidence. Selon le rapport 2021 de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), au 1er janvier 2021, les femmes médecins généralistes sont au nombre de 49 685 ; elles représentent donc 49,38 % de la profession. Une féminisation continue ces dernières années. À titre de comparaison, elles étaient 42,45 % en 2014. Et, en 1990, on comptait 30 % de femmes parmi l’ensemble des médecins.
Dans leur pratique, rapporte la Drees, 51 % d’entre elles exercent exclusivement en libéral ; 41 % en tant que salariées (dont 20 % à l’hôpital) et 6 % en exercice mixte. Cette proportion est plus faible par rapport aux hommes, qui exercent à 64 % exclusivement en libéral et 28 % en tant que salariés (dont 16 % à l’hôpital). Mais ces statistiques sont inégalement réparties sur le territoire. En Île-de-France, par exemple, seuls 41 % des médecins libéraux sont des femmes et 43 % sont des femmes généralistes. Dans cette région, la moyenne d’âge de ces dernières est de 51 ans, contre 59 ans chez les hommes ; contre un peu plus de 47 et 54 ans respectivement pour la France entière. Au-delà des chiffres, que recouvre la féminisation de la profession de médecin généraliste ? Y a-t-il une différence dans l’exercice de la médecine générale en fonction de son genre ?
Le genre, pas un critère pour les patients
Le Dr Vanessa Fortané, qui exerce à Bury (Oise), ne constate pas de différence majeure dans son exercice. « Installée depuis cinq ans dans une zone semi-rurale, je remarque que le genre n’est pas un critère pour les patients. Quelquefois, je sens une pudeur de la part de certains hommes quand on parle de la prostate. Ceux-là sont contents que ce soit un homme qui fasse leur examen, mais je ne me sens pas dépréciée en tant que femme. » Par ailleurs, le fait d’être une médecin lui permet de créer davantage de liens avec certaines patientes, qui se confient plus facilement et ponctuent leurs récits de « vous savez bien, vous, en tant que femme », lors de consultations liées, par exemple, aux cycles menstruels ou encore à la contraception. Sur son territoire du sud de l’Oise, le Dr Fortané remarque qu’« il y avait au départ cinq hommes, maintenant, nous ne sommes plus que huit femmes ! ». Plus tôt, en 1989, le Dr Corinne Le Sauder, désormais à la tête de la Fédération des médecins de France (FMF), était la seule femme à s’installer à Olivet, petite commune au sud d’Orléans (Loiret). « Je suis arrivée en tant que femme, médecin et maman de trois enfants, dont un de six mois. J’avais une population constituée de 75 % de gamins, puis j’ai vu les mamans, puis les papas… », raconte-t-elle, jusqu’à voir des familles « sur cinq générations ! » Preuve d’un monde en changement ?
Factuellement, 65 % des médecins généralistes de moins de 40 ans sont des femmes, selon des chiffres du Conseil national de l’Ordre des médecins. Et, à en croire les projections de la Drees, les femmes représenteront un peu plus de 61 % des médecins – toutes spécialités confondues – en 2040 ! Cette tendance à la féminisation, le Dr Fortané l’observe depuis qu’elle est étudiante : « Dans ma promo de P2, nous étions 70 filles sur une promotion de 89. » Près de 150 ans après la première femme diplômée de médecine – Madeleine Brès, en 1875 –, où en est-on du côté des étudiantes, lesquelles représentaient, lors des ECNi 2020, 58,3 % des candidats ?
Sexisme, harcèlement et agressions
Si de nombreux mécanismes ont été mis en place pour protéger les internes et externes, les résultats d’un questionnaire ayant recueilli 4 200 réponses ont été révélés au mois de mars dernier par l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). Ils montrent que le milieu médical n’est toujours pas assaini. En effet, quatre étudiants en médecine sur dix ont reçu au moins une fois une remarque à caractère sexiste ou sexuel ; un tiers a été victime de harcèlement sexuel et 5 % d’une agression – les femmes étant largement majoritaires dans chaque cas. Et seuls 10 % des harcèlements et 14 % des agressions sexuelles font l’objet d’une plainte.
Pourtant, quand on interroge certaines jeunes généralistes à ce sujet, tout semble aller plutôt bien. Le Dr Élise Fraih, médecin généraliste installée à Dachstein (Bas-Rhin) et vice-présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR), considère que ses études se sont déroulées sans véritables heurts. Elle évoque une discrimination liée au statut (externe ou interne) plus qu’au genre. Malgré tout, à l’hôpital, raconte-t-elle, dès qu’une femme se présente devant les patients – pourtant en blouse, stéthoscope autour du cou –, elle est vue comme une infirmière et non un docteur. Finalement, une histoire « anecdotique » lui revient au fil de l’entretien. Lors de son externat, un chirurgien, chef de bloc et maître de stage, l’a fait sortir plusieurs fois pour des motifs dérisoires : « une fois, mes cheveux dépassaient, une autre, ma bretelle de soutien-gorge ». Cela corrigé, il lui a lancé, en pleine opération : « j’espère que t’as pris ta pilule parce qu’entre toi et moi, ça va être chaud ». Sidération, bouche cousue ; elle lui jette seulement un regard fixe, lequel lui fait détourner les yeux. En fait, raconte la généraliste, « quand un collègue étudiant fait une blague pas drôle, on rigole et on lui dit de se taire ; avec un chef, on ne dit rien car il peut invalider notre stage. » Mais la praticienne tient à relativiser : « c’est un cas isolé dans mon expérience. Lors de mes trois stages de médecine générale dans la campagne bretonne avec uniquement des hommes généralistes, c’était ultra-positif. »
Une nouvelle génération de médecins
Ce n’est toutefois pas le cas de toutes. Ayant réalisé une thèse sur l’esprit carabin en 2016, montrant notamment « l’héritage masculin d’une profession longtemps réservée aux hommes et dont certaines traditions sexistes subsistent », le Dr Fraih a aussi encadré la thèse de Fanny Rinaldo et Fauve Salloum, soutenue en 2020 à l’Université de Strasbourg. Encouragées par le livre du médecin Valérie Auslender, Omerta à l’hôpital. Le livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé, publié en 2017, les deux étudiantes ont enquêté sur les répercussions du sexisme subi par seize internes sur leur identité professionnelle.
Si le Dr Fortané n’a pas été marquée pendant ses études par les comportements misogynes, quelques remarques sexistes l’ont toutefois interloquée à la faculté. « J’étais dans la promotion d’Élodie Gossuin. Quand elle est devenue miss France, des professeurs ont dit : “ne vous inquiétez pas, les filles, si vous ratez vos études de médecine, vous serez miss France” ». En somme, selon elle, « il y a des cons partout », peu importe le genre. Maintenant, quand elle entend des remarques déplacées, elle ne les écoute plus. « Je suis plus atteinte par les critiques sur mon travail que par la misogynie de certains hommes. L’important, c’est le boulot que je fais. »
Et ce travail en cabinet, le Dr Fraih l’aime beaucoup. Elle voit d’un bon œil toutes ces jeunes femmes qui s’engagent et observe une « nouvelle génération de médecins qui arrive dans un monde qui a changé, avec des consultations soit complexes, soit au contact de gens anxieux ». Elle note également que, pour cette génération, « être disponible à cinq heures du matin, réaliser quarante actes par jour, ce n’est pas le mode d’exercice voulu », d’où le salariat plébiscité par les nouveaux médecins. « Les étudiants que je prends en stage disent de moi que je suis “très gentille” et “douce”. J’ai un côté maternaliste quand il s’agit d’aider, mais j’assume. J’ai aussi appris à dire non et poser des limites : je ne peux pas tout faire et encore moins tout de suite. » Installée à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) depuis vingt ans, le Dr Marie-Ange Lledo dresse le même portrait des nouvelles arrivantes, qui se regroupent souvent : « La nouvelle génération ne prend pas de nouveaux patients, ne fait pas de visite à domicile et ne donne plus de rendez-vous à partir d’une certaine heure. Moi, j’ai une attitude de vieux médecin de famille : quand on m’appelle, je ne sais pas dire non. »
La problématique du congé maternité
Le Dr Marie-Ange Lledo n’a pas eu de vrai congé maternité. Pour son troisième enfant, en 2006, elle a pu prendre « deux semaines avant et deux semaines après » sa grossesse grâce à une remplaçante. Aujourd’hui, constate-t-elle, « les femmes sont mieux loties ». L’année 2017 a été celle du changement. L’avantage supplémentaire maternité (ASM) a été acquis par un accord conventionnel pour les généralistes libérales : 3 100 euros par mois d’arrêt pour maternité ou adoption, versé pour trois mois maximum (pour les arrêts plus courts, il est proportionnel à la durée). Cet avantage s’ajoute à l’allocation forfaitaire de repos maternité (3 377 euros), dont la première moitié est touchée au septième mois et la seconde après l’accouchement ; et aux indemnités journalières forfaitaires (56,35 euros par jour), lesquelles sont soumises à une cessation d’activité d’au moins deux semaines avant l’accouchement et avec un minimum total de huit semaines. Pour Corinne Le Sauder, présidente de la Fédération des médecins de France (FMF), la réforme de 2017 a accordé à « toutes ces femmes qui se sont battues » de « gagner ce que les institutrices ont gagné en 1910… soit avec cent ans de retard ! » La praticienne n’y est pas pour rien : elle a permis aux temps partiels, avec l’appui du Bloc, que les secteurs 2 puissent également en bénéficier (à hauteur de deux tiers de ce qui est donné pour le secteur 1). « Une avancée énorme », note-t-elle, fière de son combat.
Se réunir entre femmes pour s’entraider
Comment dire non ; refuser de prendre une patientèle toujours plus grande ; gérer la charge mentale au cabinet et dans sa vie personnelle ? Certaines médecins ont choisi de se réunir pour échanger, écouter et apprendre. C’est le sens des deux e-colloques organisés par le Syndicat des médecins libéraux (SML) au mois de juin dernier. Le premier portait sur la charge mentale des femmes professionnelles de santé. Ce terme a fait son entrée dans le Petit Larousse illustré 2020, dont la définition est : « poids psychologique que fait peser (plus particulièrement sur les femmes) la gestion de tâches domestiques et éducatives, engendrant une fatigue physique et, surtout, psychique ». Selon plusieurs études menées par l’Insee (Enquête emploi du temps 2009-2010, réalisée tous les 15 ans), 70 % des tâches ménagères sont notamment effectuées par les femmes au sein des couples ; ce que François de Singly, sociologue spécialiste de la famille, appelle l’« injustice ménagère ».
Lors de ce colloque, le Dr Isabelle Sauvegrain, experte en promotion de la santé et en prévention, a, en préambule, rappelé ce qu’était la charge mentale, telle que définie en 1984 par la sociologue Monique Haicault, avant de donner quelques conseils pour faire face à ces problématiques parasites. « Imaginez une balance : d’un côté, les éléments actuels qui me perturbent (mon voisin fait du bruit la nuit, comment lui demander d’arrêter ; mes gamins sont malades ; etc.) et, de l’autre, mes ressources. Il faut trouver son équilibre, prendre du recul, se demander : que puis-je faire pour augmenter ma capacité à faire face ? » Cette dernière insiste sur la nécessité de « faire le point » grâce à une autoévaluation de son état. « Charité bien ordonnée commence par soi-même », ajoute-t-elle, dans un sourire.
Plusieurs participantes témoignent en ce sens, comme le Dr Christine Bertin-Belot, homéopathe en médecine générale. Elle explique à ses consœurs ses techniques : « Ce qui marche, c’est la répartition du travail. Je coupe mon temps entre les consultations et le repos. Le fait de circuler à vélo pour aller au cabinet m’octroie un moment de détente, j’ai l’impression d’être en vacances en respirant dehors ! Je prends une semaine de congé tous les deux mois depuis 38 ans et j’ai élevé quatre enfants ! » Le Dr Latifa Miqyass, généraliste en ruralité, livre également son vécu. « J’ai beaucoup de patients dans l’attente de voir un médecin, mais lorsque j’ai compris que je n’étais pas irremplaçable et que je pouvais m’absenter, prendre des jours de repos, des vacances, ça m’a fait un bien fou. Il faut apprendre à déléguer et savoir dire non. » La praticienne partage ensuite son point de vue sur les médecins hommes, dont ses deux associés, qui, selon elle, n’ont pas la même expérience du métier. « Ils ont tous deux plus de 60 ans. Leurs enfants sont plus grands, mes filles ont six et sept ans. De plus, ils ne ressentent pas la même charge émotionnelle que moi avec mes patients. » Le Dr Bertin-Belot ajoute dans la discussion qu’il existe une « dimension genrée », un « maternage » dans l’exercice féminin de la profession. Selon elle, il est « conditionné par la double vie – même sans enfant – à la maison ». Révolue paraît l’époque narrée par une consœur, prénommée Isabelle, sur le tchat de la réunion : « avant, pour gérer les burn-out, les médecins généralistes utilisaient leur femme pour le secrétariat ! » Une autre, prénommée Corinne, intervient elle aussi par message écrit : « Le cumul de charge mentale est plus grand quand on ne se consacre qu’à la famille et à son métier. » Le tout est de trouver l’équilibre.
Chez les syndicats, seule le Dr Le Sauder est présidente
Dans le monde syndical senior, une seule femme est présidente. Il s’agit du Dr Corinne Le Sauder, à la tête de la Fédération des médecins de France (FMF) depuis fin juin 2020. Selon ses dires, elle est une « femme d’action, pas de pouvoir », qui « s’en fout d’être présidente », voulant simplement que « les choses avancent ». Mais la culture syndicale, observe-t-elle, c’est « être le chef », « être attiré par le pouvoir, de manière presque hormonale ! » De son côté, l’UFML-S « essaye de faire plus de place aux femmes », explique le Dr Jérôme Marty, président du syndicat, lequel a remporté la présidence de l’URPS Île-de-France, plaçant à sa tête le Dr Valérie Briol. « Les bureaux de l’Ordre des médecins et de l’Académie de médecine sont caricaturaux : un certain machisme existe quand la structure est vieillissante et que certains présidents pensent leur poste dû et sont dans une forme de baronnie syndicale. » Nul doute, donc, que ce dernier passera la main… à une femme.