CHAPITRE 1 : L’ASTHÉNIE RÉACTIONNELLE

Publié le 04/03/2016
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Noémie D, 30 ans, sans antécédent, présente une asthénie depuis 1 mois. Elle occupe un poste à responsabilité dans une grande entreprise d’audit, élève seule sa fille de 2 ans. Elle a eu un syndrome pseudo-grippal il y a 2 mois qui l’a empêché de reprendre le sport aussi intensément qu’avant.
Elle a déjà consulté votre associé qui lui aurait « juste pris sa tension » et déclaré « qu’elle n’avait rien et qu’il fallait attendre ». Votre examen est normal. Elle vous demande finalement « un  bilan » car elle est « convaincue d’avoir quelque chose ». 

La fatigue est la première circonstance justifiant la prescription d’un bilan biologique par les généralistes. Cependant, il est peu rentable : seuls 9 % des bilans pour « fatigue récente » retrouvent des anomalies [1]. Devant une fatigue aiguë, a fortiori isolée, si l’examen clinique est normal, aucun examen complémentaire n’est obligatoire.

Ils ne doivent être orientés que par la clinique. L'examen physique doit comporter : le poids ; la température ; le testing neurologique (en particulier force musculaire et réflexes), la palpation des aires ganglionnaires, l'abdomen, l'état cardio-pulmonaire (dont la recherche d’hypoten-sion orthostatique), peau et muqueuses, système locomoteur.

→ La normalité d’un examen clinique rigoureux peut avoir une fonction « thérapeutique » chez le patient, s'il est accompagné à chaque étape d’un commentaire rassurant.
Au contraire, il est contre-productif de rassurer prématurément le patient ou de minimiser sa plainte (« Vous n’avez rien ») : le patient ne se sent pas entendu.

Recueillir l’avis du malade lui-même sur l’origine de sa fatigue est une démarche instructive, notamment dans certains secteurs volontiers « scotomisés » : soucis familiaux, sociaux, professionnels, sentimentaux; allergie ; problèmes sexuels ; traitements et régimes alimentaires ; violences physiques et psychologiques ; événements de vie traumatisants.
Dans d’autres cas, le patient est persuadé de souffrir d’une pathologie organique et fermé à toute question à connotation psychiatrique/psychologique.

→ Dans une étude, 60 % des patients ne seraient pas satisfaits que le médecin réponde « Je ne vois rien de grave, essayez de vous reposer, je vous revois dans 2 semaines », à l’issue d’une consultation pour fatigue inhabituelle [9, 13]. Pourtant, faute de consensus, les experts [1] proposent une démarche progressive, où le patient pourra être revu au cours de 2, voire 3 consultations, sur une période de 2 à 6 semaines. L'objectif principal de la première consultation est d’instaurer une relation de confiance.

Il arrive régulièrement qu’une « demande de bilan » imprécise soit en lien avec une prise de risque sexuel ou la crainte d’une grossesse non désirée. Le médecin généraliste doit savoir aller au-delà de la demande formulée et rester à l’écoute des plaintes cachées (vécus douloureux…). La répétition des consultations permet d’aborder d’autres aspects de la vie du patient pour ne pas se fixer sur le symptôme prétexte [1]. Avoir une approche relationnelle flexible et démontrer un intérêt personnel pour le patient sont essentiels [1].

→ Le seul essai randomisé [11] faisant un lien entre un marqueur biologique et la fatigue concerne la ferritine : la supplémentation martiale peut améliorer la fatigue des femmes en âge de procréer avec une ferritinémie basse/limite basse, même en l’absence d’anémie (voir encadré E1) .

→ Devant une fatigue persistante, il faut avant tout répéter l’examen clinique, et, en l’absence d'élément nouveau, éviter de multiplier les explorations et avis. Il est très rare qu'une asthénie prolongée et totalement isolée révèle une cause organique. Les patients, parfois nosophobes, sont souvent rassurés d’apprendre qu'en cas de fatigue chronique d’origine indéterminée, la prévalence du cancer n'est que de l’ordre de 1 % [19].

Pour 80 % des patients consultant pour asthénie récente, la plainte fatigue disparaît spontanément en 6-8 semaines [1]. Le pronostic est plus réservé si  la fatigue se prolonge plus de 3 mois, s’il s’agit d’une femme et s’il existe des antécédents dépressifs  et/ou anxieux.

Dans le cas de Noémie D., il s’agissait, comme dans 3 % des cas de médecine générale, d’une asthénie réactionnelle. Physiologique, ce type d’asthénie peut résulter d’un surmenage, exercice physique intense, travail prolongé, manque de sommeil, « double journée »/pathologie des aidants, épuisement, jet-lag, malnutrition (régimes restrictifs), déconditionnement musculaire (moins fréquemment : surentraînement des grands sportifs). Le repos doit permettre de récupérer de la fatigue. L’asthénie au cours de la convalescence (grippe, MNI, post-opératoire, post-partum…) s'en rapproche, de même que la grossesse débutante. 

 

Source : lequotidiendumedecin.fr