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Démarche initiale devant une anosmie de l’adulte

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Publié le 16/02/2024
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Qu’elle soit partielle (hyposmie) ou complète (anosmie), la perte de l’odorat est un symptôme fréquent. À l’origine d’un impact non négligeable en termes de qualité de vie et de sécurité, ce trouble qualitatif mérite un bilan étiologique et une prise en charge adaptée.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

1 - Les éléments clés de l’interrogatoire

La démarche diagnostique chez un patient adulte se plaignant d’un trouble de l’odorat repose d’abord sur l’interrogatoire.

> Affirmer, qualifier et quantifier la perte d’odorat :

- différencier anosmie et hyposmie ;

- éliminer une dysosmie qualitative telle que la cacosmie (perception d’une mauvaise odeur ne pouvant être perçue par d’autres, liée le plus souvent à une pathologie rhinosinusienne aspergillaire ou à une pathologie gastro-œsophagienne) ;

- identifier une parosmie (distorsion de perception : café pris pour du pour thé par exemple), à distinguer d’une phantosmie (hallucinations olfactives évocatrices d’un trouble psychotique type schizophrénie ou d’une tumeur cérébrale souvent dans la zone centrale de l’olfaction).

> Chercher des signes associés :

- Signes de la sphère ORL : obstruction nasale, douleurs maxillaires, frontales et/ou rétro-orbitaires évocatrices de sinusite. Le score Pareo permet d’évaluer les manifestations rhino-sinusiennes (Prurit oculaire nasal, Anosmie, Rhinorrhée, Éternuements, Obstruction nasale) et leur évolution.

- Signes neurologiques et troubles mnésiques.

> Rechercher des facteurs déclenchants tels qu’un traumatisme crânien, des épisodes d’infections ORL, une infection virale (en particulier le Sars-Cov-2).

> Rechercher une exposition professionnelle à des toxiques (métaux lourds), une iatrogénicité (radiothérapie, chimiothérapie, macrolides, alphabloquants).

> Évaluer l’ancienneté de l’anosmie et son éventuelle fluctuation.

2 - Affiner le diagnostic étiologique

> L’examen des paires crâniennes : en dehors du nerf olfactif (I), les onze autres nerfs crâniens doivent être testés. Toute anomalie neurologique doit conduire à pratiquer une IRM cérébrale qui permet d’exclure un processus expansif intra-cérébral et d’évaluer la taille des bulbes olfactifs.

> Un bilan ORL avec nasofibroscopie est indispensable, notamment pour identifier une polypose nasosinusienne, des anomalies en regard de la fente olfactive (croûtes, polypes, œdème) ou étayer une suspicion de neuroblastome olfactif.

Le scanner des sinus n’est proposé qu’en cas d’anomalie mais ne doit pas être systématique.

La première cause d’anosmie ou d’hyposmie est l’anosmie post-rhinitique, suivie des pathologies sinusiennes (polypose fréquente, neuroblastome olfactif rare) puis des séquelles de traumatismes crâniens. Si l’olfaction est de moins en moins performante à partir de 65 ans, l’apparition d’une anosmie peut précéder de quelques années celle de troubles dégénératifs type Alzheimer ou Parkinson.

3 - Évaluer le retentissement de l’anosmie

L’anosmie acquise est un véritable handicap dont il ne faut pas minimiser l’impact sur la qualité de vie.

La perte d’odorat ampute le sujet de sa capacité à gérer certains dangers : incendie (vérifier la fonctionnalité des détecteurs de fumée à domicile), vapeurs toxiques (gaz domestique à proscrire), aliments périmés.

Elle altère sévèrement la gustation : les deux tiers du goût sont de nature rétro-olfactive. Lors de la mastication et de la déglutition, les molécules odorantes sont acheminées vers l’épithélium olfactif par voie rétro-vélo-pharyngée. Une anosmie dégrade donc les capacités gustatives puisque seules sont perçues les sensations de sucré/salé/amer/acide. Le plaisir alimentaire peut être sévèrement altéré avec une possible perte d’appétit, donc de poids (dénutrition fréquente, surtout chez les sujets âgés).

Cette carence sensorielle peut être aussi à l’origine de troubles de la libido, de troubles dépressifs, particulièrement chez les sujets pour qui la qualité de l’olfaction a des répercussions professionnelles.

4 - Quelle place pour les tests spécifiques ?

Les tests permettant d’objectiver la perte d’odorat peuvent être utiles chez certains patients, soit lorsque le diagnostic est difficile, soit parce qu’il existe un contexte médico-légal (professions comme les « nez », antécédent traumatique).

Ils sont faits principalement en centres spécialisés car longs (45 mn) et non côtés.

Le patient ne doit pas avoir fumé, ni bu, ni mangé dans la demi-heure précédente et ne doit pas avoir eu d’anesthésie locale en cas de nasofibroscopie précédant le test.

Le test Sniffin Sticks permet, grâce à des sticks odorants, de quantifier les performances olfactives et d’en suivre l’évolution ; il est couplé à un test d’identification et de discrimination (trois stylos avec deux odeurs semblables et une différente). L’Upsit est constitué de cartes à gratter et est uniquement un test d’identification.

5 – Prise en charge

Certaines causes ORL sont curables : polypose, infection chronique ; toute exposition professionnelle délétère doit être interrompue.

Les séquelles des infections virales (Sars-CoV-2 ou autre) peuvent bénéficier de rééducation olfactive et de travail sur la mémoire olfactive, dont les résultats sont aléatoires et parfois tardifs (plus de 18 mois). D’où la nécessité de prendre en charge parallèlement les répercussions psychiques de l’anosmie.

Question d’anatomie

La muqueuse olfactive occupe une petite surface diffuse à l’apex de la cavité nasale. Les récepteurs olfactifs (plusieurs centaines de récepteurs différents s’activant selon le type de molécules odorantes) adressent, via le nerf olfactif, l’information jusqu’au bulbe olfactif, situé juste au-dessus de la lame criblée de l’ethmoïde. Les voies olfactives émergeant du bulbe olfactif vont vers le cortex olfactif, le cortex limbique, l'hippocampe ou les corps mamillaires.

Un large réseau interconnecté se projette ensuite sur les cortex olfactifs secondaires orbitofrontal et insulaire. On comprend ainsi le lien anatomique privilégié entre olfaction, émotion et mémoire.

Toute altération de la transmission du message nerveux olfactif, du fait d’une anomalie sur une ou plusieurs parties de ce trajet (de la muqueuse nasale au cortex cérébral) peut générer une anosmie ou une hyposmie. Ce trouble concernerait près de 20 % de la population.

Dr Caroline Martineau, avec le Dr Léa Fath (praticien hospitalier universitaire ORL et chirurgie cervico-faciale, Hôpitaux universitaires de Strasbourg Inserm 1121 - Bio-ingénierie et Biomatériaux)

 

 


Source : Le Quotidien du Médecin