Juillet 2018 - Monsieur F., âgé de 44 ans, consulte pour des symptômes évoquant un dysfonctionnement rhino-sinusien chronique. Il se plaint d'avoir ce qu'il appelle des "sinusites" à répétition, au nombre de 4 à 6 par an qui engagent, à chaque crise, la prescription d'antibiotiques, voire de corticoïdes durant une semaine. Mais sa plainte se révèle également quotidienne, perannuelle, puisqu'en dehors de ces crises, il a en permanence une obstruction nasale bilatérale sévère, une rhinorrhée postérieure permanente entraînant des efforts de raclement de gorge, et une perte de l'odorat le plus souvent complète. Il est très content de ne pas sentir quand il prend le métro parisien, mais il a remarqué qu'il perdait également souvent « le goût », n'arrivant pas à apprécier ses repas à leur « juste valeur ». Il résume la situation en ces termes : « J'ai une sorte de rhume permanent, du premier janvier à la Saint-Sylvestre, et cela dure maintenant depuis plus de dix ans. » Il s'est habitué, tant bien que mal, à ses symptômes perannuels, pensant qu'on ne pouvait plus rien y faire. Néanmoins, ils altèrent beaucoup sa qualité de vie et retentissent sur son travail. Cadre commercial, il ne peut lors de ses entretiens retenir ses raclements de gorge et a souvent une voix très nasonnée qui gêne durant les conversations. Bref, le moral n'est pas au beau fixe !
Quelle analyse sémiologique faire de ce tableau clinique ?
L'interrogatoire est essentiel dans la prise en charge des patients ayant une pathologie chronique rhino-sinusienne : il doit être précis et complet. « Sinusite » : tel est le terme le plus souvent utilisé par nos patients lorsqu'ils se plaignent de symptômes rhino-sinusiens chroniques. Le diagnostic de « sinusite » est auto-proclamé devant la présence d'une rhinorrhée plus ou moins sale, de pesanteurs ou de douleurs faciales. En outre, cette pathologie signe pour nos patients une infection, et donc sous-tend la prescription d'antibiotiques… Or, ces symptômes ne sont pas évocateurs du diagnostic de sinusite : on les rencontre aussi bien dans la pathologie sinusienne que rhinitique (rhinites chroniques). Comme nous le verrons, ces pathologies requièrent rarement la prescription d'antibiotiques… Il est notamment essentiel de souligner que devant des symptômes rhino-sinusiens chroniques, la présence de pesanteurs ou de douleurs faciales modérées n'est absolument pas un marqueur de la présence d'une sinusite : nombre de rhinites chroniques sont algiques, tandis que la forme la plus sévère de sinusite chronique, la polypose naso-sinusienne, ne se manifeste que très rarement par des douleurs faciales ! Ainsi, il faut effacer de nos mémoires le dogme du XIXe siècle qui faisait diagnostiquer un problème sinusien devant des douleurs de la face : douleur faciale n'est pas synonyme de sinusite.
Ainsi, lorsqu'un patient se présente avec des symptômes rhino-sinusiens chroniques, il faut éviter de parler de sinusite tant que le diagnostic n'est pas parfaitement identifié et confirmé. Les diagnostics possibles se répartissent en trois classes : 40 % des patients ont une rhinite chronique (parfois douloureuse), le même pourcentage présente une rhino-sinusite diffuse (comme la polypose naso-sinusienne, le plus souvent indolore), et 20 % des patients ont une sinusite localisée, le plus souvent maxillaire (et souvent d'origine dentaire ou aspergillaire). Il est donc préférable, avant d'avoir affirmé un diagnostic étiologique précis, d'employer un terme neutre comme dysfonctionnement rhino-sinusien (DRS) pour qualifier la pathologie dont souffrent les patients. Soulignons qu'environ 20 % des Français adultes ont un DRS ! C'est le cas de Monsieur F.
Quelle valeur attribuer à chaque symptôme ?
Dans toute pathologie rhino-sinusienne chronique, il existe plus ou moins deux types de symptômes : les uns survenant en phase aigüe, les autres de façon chronique, le plus souvent permanents et perannuels. On ne retient rien de spécifique sur le plan diagnostique par l'analyse des symptômes lors des phases aigües : ils ont une très faible valeur sémiologique. Le seul élément intéressant à retenir est la fréquence de ces crises et leur durée moyenne. Par contre, l'analyse des symptômes perannuels est particulièrement intéressante sur le plan diagnostique. Certains sont communs à toutes les étiologies des DRS ; c'est le cas de l'obstruction nasale, de la rhinorrhée antérieure et postérieure, des éternuements. Petit détail sémiologique : si un patient décrit une obstruction nasale à bascule, une fois à droite, puis 5 à 6 heures ensuite du côté opposé, c'est évocateur d'une rhinite chronique. C'est la perception anormale du cycle nasal.
→ Dans les symptômes perannuels, trois sont importants à analyser :
– L'anosmie signe une rhinosinusite diffuse. Elle est souvent associée à une perte de la flaveur.
– La cacosmie (mauvaise odeur dans le nez, parfois perçue par l'entourage) signe une sinusite localisée.
– De fréquentes douleurs, toujours situées au même endroit, en regard d'un sinus précis, signent souvent une sinusite localisée.
→ Reprenons l'interrogatoire de notre patient :
– Les crises : ce qu'il appelle « sinusite à répétition » : on ne retient que leur nombre de quatre à six par an. Les symptômes lors de ces crises sont de peu d'intérêt sémiologique. Ils n'orientent pas le diagnostic.
– Les symptômes perannuels : obstruction nasale bilatérale et rhinorrhée postérieure permanente (avec les raclements de gorge), même s'ils gênent beaucoup le patient, n'ont pas de valeur sémiologique. Mais point essentiel, la perte de l'odorat est le plus souvent complète (anosmie) avec une perte de la flaveur (que le patient nomme goût) : voilà le signe principal de la rhinosinusite diffuse.
Quels examens pratiquer ? Comment rédiger la demande d'examens complémentaires ?
→ Après avoir bien interrogé votre patient, il faut bien entendu réaliser un examen clinique des cavités nasales. Le simple examen rhinoscopique antérieur, au besoin avec un otoscope éclairant, est de peu de valeur car il ne permet de voir que les deux premiers centimètres de la cavité nasale (qui en fait 6 à 7 de profondeur). Ainsi, la négativité d'un simple examen rhinoscopique antérieur n'a aucune valeur sémiologique. La seule méthode pour examiner avec fiabilité une cavité nasale repose sur un examen fibroscopique, réalisé en routine lors de toute consultation auprès d'un ORL. Ainsi, l'examen clinique du médecin généraliste, dépourvu de fibroscope nasal, n'apportera pas beaucoup d'éléments intéressants.
Deux examens complémentaires à pratiquer devant tout DRS
Un Phadiatop® et un ConeBeam (ou un scanner) des cavités naso-sinusiennes, sans injection en coupes axiales et coronales, avec des clichés prenant en bas l'arcade dentaire supérieure.
Quels sont les buts de ces deux examens ?
→ Le Phadiatop® est un multiRAST (prise de sang non à jeun) permettant de faire un dépistage rapide et fiable d'une éventuelle allergie respiratoire (forte valeur prédictive positive et négative). Si le Phadiatop® est positif, le patient a probablement une allergie respiratoire. S'il est négatif, le diagnostic est presque assurément éliminé. Ce test aura un intérêt si on se dirige, après lecture du ConeBeam (ou du scanner), vers un diagnostic de rhinite chronique.
→ Le ConeBeam (ou un scanner) des cavités naso-sinusiennes est un élément clé du diagnostic. C'est un temps essentiel.
Point capital, il ne doit pas être réalisé en pleine phase aigüe car l'imagerie montrerait la “crise”, ce qui n'a aucun intérêt (excepté à la recherche d'une complication majeure) : une telle imagerie surestimerait la pathologie, parfois de façon considérable, faussant le diagnostic et conduisant à des prescriptions erronées ! Le ConeBeam (scanner) doit être réalisé en période de calme lorsque le patient a ses symptômes perannuels de base. En outre, le ConeBeam (scanner) ne doit pas être effectué après une corticothérapie orale, ni durant le mois qui la suit, car le traitement va faire disparaître les lésions sinusiennes inflammatoires, induisant une sous-estimation notoire de la pathologie voire une erreur diagnostique finale. Donc, faites réaliser le scanner hors crise et hors traitement corticoïde per os.
Le but de cet examen est de conduire (figure 1) d'abord à un diagnostic topographique, puis (figure 2) à un éventuel diagnostic étiologique.
→ Le diagnostic topographique doit répondre à deux questions. 1/ Existe-t-il une atteinte sinusienne ? S'il n'y en a aucune, on portera le diagnostic de rhinite chronique. 2/ En cas d'atteinte sinusienne, quel(s) est (sont) le(s) sinus atteint(s) ? S'il y a une atteinte sinusienne, il faudra différencier une sinusite localisée et une rhinosinusite diffuse car ces deux pathologies ont des pronostics et des traitements radicalement différents.
Voici les images radiologiques. Comment les analyser ?
→ Il faut analyser les trois plans de coupe.
– La coupe coronale (flèche jaune) montre une légère opacité en cadre dans les deux sinus maxillaires, et des opacités ethmoïdales bilatérales. Mais sur les coupes coronales, il est impossible de savoir si les lésions ethmoïdales sont antérieures et/ou postérieures.
– La coupe axiale est fondamentale : elle doit passer par les globes oculaires. Cette coupe permet de délimiter la région ethmoïdale antérieure (flèche jaune) de la région ethmoïdale postérieure (flèche blanche). Ici, l'atteinte est bilatérale, ethmoïdale antérieure et postérieure, ce qui est pathognomonique d'une rhinosinusite diffuse. Il existe de minimes opacités sphénoïdales.
– La coupe sagittale confirme l'atteinte pan-ethmoïdale respectant les cloisons osseuses de l'ethmoïde.
→ L'analyse de ces trois coupes permet d'affirmer qu'il s'agit d'une rhinosinusite diffuse. Cette pathologie est définie par une atteinte bilatérale et à peu près symétrique du massif ethmoïdal antérieur et postérieur, et une atteinte très variable des grands sinus adjacents (frontal, maxillaire et sphénoïde).
(suite cas clinique). Vous adressez pour avis le patient à votre ORL préféré. Il effectue une fibroscopie nasale, geste indolore, réalisé en consultation de routine. Il vous adresse la photographie de son examen (figure 4).
Que conclure ?
→ Cette image montre un aspect typique d'un polype de polypose naso-sinusienne. Ce sont des polypes résultant de la présence d'un œdème du chorion donnant l'aspect d'une “grappe de raisin blanc”. Ces polypes sont réguliers, non charnus, non bourgeonnants et non irréguliers.
→ Ainsi, l'étude tomodensitométrique et cet aspect clinique fibroscopique vous font affirmer le diagnostic de polypose naso-sinusienne, dont les trois stades sont fibroscopiques : stade 1 avec des polypes prenant le tiers supérieur de la cavité nasale, stade 2 avec des polypes prenant les 2/3 supérieurs de la cavité nasale et stade 3 avec des polypes emplissant la totalité de la cavité nasale. Ici, la polypose est de stade 2.
→ Il importe de ne jamais se lancer dans un traitement, notamment antibiotique et/ou par corticoïdes avant d'avoir franchi cette étape diagnostique. L'étape thérapeutique, très variable selon la nature du DRS diagnostiqué, ne doit venir qu'après une phase diagnostique correctement menée. Cette étape thérapeutique fera l'objet d'un prochain cas clinique…
Bibliographie :
Le Livre de l'Interne en ORL, sous la direction de Pierre Bonfils. Editions Lavoisier, 2ème édition, 2017, 800 pages (format poche).
Liens d'intérêts :
Aucun
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique