Cardiovasculaire

HTA : UN CONTRÔLE INTENSIF CHEZ LES SUJETS ÂGÉS ?

Publié le 04/10/2021
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En cas d’HTA, l’objectif optimal des chiffres tensionnels à atteindre sous traitement fait l’objet de controverses. Un essai randomisé en ouvert chez des patients âgés de 60 à 80 ans a évalué l’intérêt d’un contrôle intensif de la PAS < 130 mmHg, comparé au contrôle « standard » < 150 mmHg communément admis.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Contrôle intensif de la pression artérielle chez les sujets âgés hypertendus
Trial of Intensive Blood-Pressure Control in Older Patients with Hypertension
Zhang W, Zhang S, Deng Y, & al for the STEP study group.
N Engl J Med 2021
https://doi.org/10.1056/NEJMoa2111437

CONTEXTE
Les études épidémiologiques en population générale ont montré que le risque de mortalité cardiovasculaire (CV) augmentait linéairement à partir d’une pression artérielle systolique (PAS) ≥ 115 mmHg (1). Les recommandations de la Société française d’hypertension et de la Haute Autorité de santé (HAS) de 2016 préconisent une cible de PAS < 140 mmHg pour les hypertendus et < 150 mmHg pour ceux âgés ≥ 80 ans sans hypotension orthostatique (2). En 2015, un premier essai randomisé, analysé dans ces colonnes (3), avait solidement démontré qu’une PAS abaissée à 122 mmHg réduisait les événements CV de 25 % – nombre de sujets à traiter (NST) pendant 3,7 ans = 61 – par rapport à une PAS standard de 135 mmHg chez les hypertendus âgés. Ce bénéfice concernait des patients âgés en moyenne de 68 ans, mais surtout ceux ≥ 75 ans (4), au prix d’une augmentation significative des hypotensions orthostatiques sans malaise – nombre de sujets à traiter (NNH) pour observer un effet indésirable en plus = 59, des syncopes (NNH = 91) et des hypokaliémies (NNH = 125).

OBJECTIFS
Évaluer les effets d’un contrôle intensif de la PAS versus un contrôle standard sur les évènements CV cliniques dans une population d’hypertendus âgés.

MÉTHODE
Essai randomisé académique de comparaison directe en ouvert conduit dans 42 centres médicaux chinois, nommé STEP. Les évènements cliniques du critère de jugement principal (CJP) ont été adjudiqués en insu de la randomisation par un groupe d’experts indépendants. Pour être inclus, les patients devaient être âgés de 60 à 80 ans, avoir une PAS non traitée comprise entre 140 et 190 mmHg ou déjà prendre un traitement antihypertenseur quelle que soit la PAS. Ceux ayant un antécédent d’AVC ischémique ou hémorragique n’ont pas été inclus. Les patients ont été randomisés dans un groupe contrôle « intensif » de la PAS (entre ≥ 110 et < 130 mmHg) et un groupe contrôle de PAS « standard » (entre ≥ 130 et < 150 mmHg). Le CJP comprenait : les AVC, les syndromes coronaires aigus (infarctus du myocarde ou hospitalisations pour angor instable), les insuffisances cardiaques aiguës décompensées, les revascularisations coronaires, les fibrillations auriculaires et les décès CV. Les critères de jugement secondaires (analysés sans tenir compte de l’inflation du risque alpha) étaient chaque composant du CJP à l’exception des AVC. La mortalité totale était un dernier critère secondaire préspécifié.
Au cabinet médical, les mesures de PA ont été faites tous les 3 mois à l’aide d’un tensiomètre électronique dans des conditions appropriées (3 mesures à 1 minute d’intervalle après 5 minutes de repos en position assise). Les mesures de PA à domicile ont été faites une fois par semaine avec un appareil électronique connecté à un smartphone pendant tout le suivi. Les résultats étaient immédiatement envoyés dans le serveur du centre investigateur sans aucune intervention humaine.
Pour démontrer une réduction relative de 20 % sur le CJP en faveur du groupe intensif avec une puissance de 90 % et une valeur de p < 0,05, il fallait inclure un total de 8 000 patients suivis pendant 4 ans. L’analyse statistique a été faite en intention de traiter à l’aide d’un modèle de régression de Cox stratifié sur le centre investigateur. Les résultats sont présentés en hazard ratio (HR) avec un intervalle de confiance à 95 % (IC95).

RÉSULTATS
Sur les 9 624 patients éligibles, 8 511 ont été inclus et randomisés : 4 243 dans le groupe « intensif » et 4 268 dans le groupe « standard ». À l’inclusion, les caractéristiques démographiques, cliniques et biologiques des patients étaient similaires entre les deux groupes : âge moyen = 66,2 ans (24 % avaient plus de 70 ans), hommes = 46,5 %, diabète de type 2 = 19,1 %, antécédent d’événement CV (prévention secondaire) = 6,3 %, IMC = 25,5 kg/m2, score (Framingham) de risque CV à 10 ans ≥ 15 % = 64,8 % des patients, PA = 146/82 mmHg (33 % des patiens avaient une PAS ≥ 152 mmHg), LDL-cholestérol = 0,80 g/L, glycémie à jeun = 1,12 g/L.
Après un an de suivi et jusqu’à l’interruption de l’essai, la PAS moyenne était de 127,5 mmHg dans le groupe « intensif » et de 135,3 mmHg dans le groupe « standard » (différence absolue = 7,8 mmHg). Le nombre moyen de médicaments antihypertenseurs était de 1,9 par patient dans le groupe « intensif » et 1,5 dans le groupe « standard ».
L’essai a été interrompu après deux analyses intermédiaires préspécifiées offrant des résultats en faveur du groupe « intensif ». Pendant une médiane de suivi de 3,34 ans, il y a eu 147 (3,5 %) évènements du CJP dans le groupe « intensif » et 196 (4,6 %) dans le groupe « standard » : HR = 0,74, IC95 = 0,60-0,92, p = 0,007, réduction absolue du risque = 1,1 %, NST 3,34 ans = 91. Il y a eu également une réduction de tous les critères secondaires composant le CJP à l’exception des fibrillations atriales, des revascularisations coronaires et du dernier critère de mortalité totale.
En termes de tolérance, il n’y a pas eu de différence entre les groupes sur le taux de malaises, de syncopes ni de fractures. En revanche, il y a eu une différence significative (p = 0,03) sur le taux d’hypotensions orthostatiques : 3,4 % dans le groupe « intensif » versus 2,6 %, soit 125 patients à traiter intensivement pendant 3,34 ans pour observer un épisode d’hypotension en plus.

COMMENTAIRES
Les méthodologistes un peu puristes estiment qu’il faut disposer d’au moins deux essais randomisés de bonne qualité montrant des résultats cohérents et homogènes pour considérer qu’une preuve est bien établie. Eh bien, c’est le cas. STEP est un essai méthodologiquement solide, particulièrement bien conduit et organisé (plus de 8 000 patients inclus en 1 an) par des chercheurs hors industrie pharmaceutique. Il confirme quasiment chiffres pour chiffres les résultats de SPRINT (3, 4) mais dans une population ethniquement différente. Les essais randomisés spécifiques aux sujets âgés et à haut risque CV sont très rares et deux essais bien faits démontrant le même bénéfice clinique devraient faire évoluer les recommandations. Les résultats de SPRINT publiés en 2015 n’avaient pas modifié les cibles préconisées par les recommandations pour les sujets âgés sous prétexte d’un risque augmenté d’épisodes d’hypotension avec leurs éventuelles conséquences. La tolérance dans l’essai STEP semble un peu meilleure.
Compte tenu des résultats de ces deux essais, il ne serait pas scandaleux d’envisager une cible de PAS comprise entre 120 et 130 mmHg pour ces patients hypertendus âgés, en prenant soin de bien évaluer leur risque individuel d’hypotension et ses conséquences, et en sachant que la prise en charge médicale et la compliance dans la vraie vie sont très différentes de celles proposées dans le dispositif expérimental d’un essai thérapeutique.
Peut-être ces deux essais apportent-ils un signal supplémentaire pour considérer que, finalement, les médicaments antihypertenseurs sont davantage un traitement du risque CV que de l’hypertension artérielle (5-6). Enfin, peut-être est-il temps de réviser les cibles à atteindre pour les patients hypertendus âgés, en les informant des bénéfices cliniques et des risques à adopter ces nouveaux objectifs (7) ?

Docteur Santa Félibre, généraliste enseignant, Paris

BIBLIOGRAPHIE
1. Lewington S, Clarke R, Qizilbash N, Peto R,
Collins R. Age-specific relevance of usual blood pressure to vascular mortality: a meta-analysis of individual data for one million adults in 61 prospective studies. Lancet 2002;360:1903-13.
2. SFHTA-HAS. Prise en charge de l’hypertension artérielle de l’adulte. https://www.sfhta.eu/?page_id=3404
3. Félibre S. Un essai décisif dans l’HTA chez les patients à risque CV augmenté. Le Généraliste 2016;2742:20-1.
4. The SPRINT Research Group. A Randomized Trial
of Intensive versus Standard Blood-Pressure Control.
N Engl J Med 2015;373:2103-16. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1511939
5. The Blood Pressure Lowering Treatment Trialists’ Collaboration. Pharmacological blood pressure lowering for primary and secondary prevention of cardiovascular disease across different levels of blood pressure:
an individual participant-level data meta-analysis. Lancet 2021;397:1625-36. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)00590-0
6. Félibre S. Impact des antihypertenseurs chez les normotendus à risque cardiovasculaire. Le Généraliste 2021;2952:26-7.
7. Jackson R, Barham P, Bills J, et al. Management
of raised blood pressure in New Zealand: a discussion document. BMJ 1993;307:107-10.
8. Nelson MR. Moving the Goalposts for Blood Pressure
– Time to Act. N Engl J Med 2021. https://doi.org/
NEJMe2112992


Source : lequotidiendumedecin.fr