L'apparition d'une vessie neurologique dont la vidange n'est plus autonome est l’une des grandes complications des blessés médullaires et de certaines maladies neurologiques. L'infection urinaire représente la première cause de morbidité et la deuxième cause de mortalité chez ces blessés médullaires (2). « Ces infections urinaires exigent de fréquentes antibiothérapies adaptées, prolongées mais ces antibiothérapies itératives augmentent le risque de sélection de germes multirésistantes sans réduire ni l'incidence ni la sévérité des infections urinaires symptomatique », indique le Pr Bernard.
Récemment, le Pr Benoît Schlemmer, président du comité de suivi du plan gouvernemental pour préserver l’efficacité des antibiotiques, précisait, dans un entretien : « Les antibiotiques sont une richesse indispensable, mais comptée, parce qu’il n’y a quasiment plus d’innovations dans cette classe thérapeutique ; il faut absolument éviter le gaspillage. La France est le deuxième pays d'Europe pour la consommation d'antibiotiques » (5). Ainsi, il devient indispensable d'avoir à l'esprit à la fois la notion « d'épargne antibiotique » et des notions claires sur les conduites à tenir en termes d'antibiothérapie curative et prophylactique. Le risque de sélectionner des bactéries multirésistantes (BMR) doit constamment orienter notre conduite.
INDICATIONS DU TRAITEMENT
Dans le cas particulier des vessies neurologiques, il est fondamental de différencier l'infection urinaire de la colonisation asymptomatique - ou bactériurie - très fréquente.
La colonisation existe chez près de 60 à 75 % des sujets réalisant un autosondage intermittent et chez près de 100 % de ceux ayant une sonde à demeure.
« La présence de germes ne signifie pas forcément une infection », insiste Louis Bernard, et cette bactériurie ne doit pas conduire à un traitement antibiotique inutile dans ce cas et, de plus, pourvoyeur de résistances. Ce qui signifie qu'il faut éviter de demander des ECBU chez les patients asymptomatiques. Un ECBU, en l'absence de symptômes, est justifié seulement avant un geste invasif et seuls ces gestes invasifs doivent bénéficier d'une antibio-prophylaxie.
- Pour autant, le diagnostic d'infection urinaire n'est pas si simple en cas de vessie neurologique. On peut se référer à la définition de la Conférence de Consensus nord-américaine de 1992 qui a retenu comme critères de l’infection urinaire chez le blessé médullaire, « l’existence d’une bactériurie avec une invasion tissulaire et/ou les symptômes qui en résultent ». Ces signes ou symptômes sont d’origine urinaire (douleur, incontinence) ou extra-urinaire (fatigue, apparition ou accentuation d'une hyperreflexie autonome, d’une spasticité).
La réalisation d'un ECBU est justifiée devant l’une ou l’autre de ces manifestations.
- La prise d'antibiotique sera limitée aux infections d'origine bactérienne documentée ou probable (voir encadré 1).
Dans tous les cas, le seuil ne peut être opposé à un tableau clinique évident (1).
COMMENT TRAITER
- Le principe est de différer l'antibiothérapie, si la clinique le permet, pour l'adapter d'emblée aux résultats de l'antibiogramme, ce qui limite le risque de sélectionner une bactérie encore plus résistante.
Si le traitement ne peut être retardé compte tenu de l'importance des symptômes ou de facteurs de risque, le traitement probabiliste recommandé en prenant en compte la pression de sélection sera :
- en première intention : nitrofurantoine ou fosfomycine ;
- en deuxième intention : cefixime ou sinon fluoroquinolone .
- En cas d’infection urinaire non fébrile mais symptomatique, les traitements dits « minute » n'ont pas leur place chez un patient neurologique.
La durée de traitement doit être prolongée pendant trois à cinq jours, mais pas plus longtemps compte tenu du bénéfice en termes d'observance, de iatrogénie et de pression de sélection. « La pression de sélection, rappelle le Pr Bernard, correspond au fait que l’utilisation d’un antibiotique à large spectre et de façon prolongée induit l’apparition de résistance bactérienne. »
Le choix de l'antibiotique est adapté à l'antibiogramme, en choisissant en première intention la fosfomycine qui peut être utilisée plusieurs jours de suite, la furadantine, le cefixime, le sulfaméthazole-triméthoprine
Les recommandations précisent que « les fluoroquinolones sont à éviter si l'antibiogramme révèle une résistance aux quinolones de première génération car cela constitue souvent un risque de sélection d'un mutant de haut niveau de résistance » (1). Parmi les antibiotiques à activité comparable sur l'antibiogramme, on choisit de préférence ceux dont l'impact sur la flore est le plus faible. Certaines bactéries, rares, nécessitent une vigilance particulière et souvent un avis spécialisé : pyocyanique, pseudomonas, entérobactéries résistantes aux quinolones, staphylocoque doré. Un contrôle cytobactériologique est toujours nécessaire après traitement.
- Les infections urinaires fébriles doivent conduire à des investigations rapides : examen clinique (prostate, épididymes), hémocultures, NFS, CRP, créatinine, échographie des voies urinaires, uroscanner si nécessaire…
Il n'est pas inutile de rappeler que l'utilisation d'AINS est formellement proscrite en période septique.
Doivent impérativement être hospitalisés, les patients présentant des signes de gravité (abcès, fièvre élevée), un germe à risque (pseudomonas, entérobactérie, germe multirésistant) ou des conditions sociales ou médicales défavorables. De principe, il est préférable d'hospitaliser les patients ayant une vessie neurologique et une infection urinaire fébrile. A défaut, à domicile, le traitement à privilégier est une C3G.
- Les prostatites infectieuses sont complexes à prendre en charge. La diffusion des antibiotiques dans la prostate est faible pour les béta-lactamines et les sulfamides, modérée pour les aminoglycosides et les cyclines, bonne pour le triméthoprine et les sulfamides. Dans les formes graves, une bithérapie antibiotique est recommandée jusqu'à rémission des signes infectieux. La durée de traitement est de deux semaines.
- Toutes les infections urinaires fébriles chez les patients porteurs d'une vessie neurologique vont justifier un avis urologique ou infectiologique.
PREVENIR LA RECIDIVE
Compte tenu des récurrences fréquentes d'infections urinaires symptomatiques et de leurs conséquences chez ces patients, des stratégies préventives sont proposées :
- L'autosondage intermittent a permis de réduire le nombre d’infections urinaires et aussi le taux de complications portant sur l'appareil urinaire haut. Il s’agit d’un drainage réalisé par le patient lui-même au moins quatre fois par jour, à qui les conditions d’hygiène ont été bien expliquées ; en sachant que la désinfection du méat n’est pas nécessaire avant l’autosondage. La sonde à demeure, responsable de complications infectieuses et rénales à long terme, doit être évitée (2, 3, 6).
- La prise en compte de certains facteurs de risque infectieux qui se surajoutent : un résidu post-mictionnel, une lithiase urinaire, un reflux vésico-urétéral…
- Pour autant, ces deux mesures peuvent ne pas suffire et de nombreux patients sont confrontés à des infections urinaires symptomatiques fébriles qui nécessitent d’autres moyens thérapeutiques à visée préventive :
- le jus de canneberge n’a pas démontré un effet positif chez les patients porteurs d’une vessie neurologique ;
- l’administration prophylactique quotidienne d’antibiotique a des résultats discordants et n’est pas recommandée au long cours par les conférences de consensus en raison du risque d’émergence de bactéries multirésistantes aux antibiotiques (4).
- De nouvelles stratégies d’épargne antibiotique, les « antibiocycles », sont désormais proposées. Cet antibiocycle comporte l’administration, un jour par semaine, d’un antibiotique A les semaines paires et d'un antibiotique B les semaines impaires. Ces deux antibiotiques sont choisis en fonction de leur efficacité microbiologique sur des germes isolés à plusieurs reprises au moins trois fois- lors des examens cytobactériologiques des urines. Les antibiotiques utilisés pour cette prévention sont l’amoxicilline (3 g), la fosfomycine (6 g), la nitrofuratoine (300 mg) et la cefixime (400 mg). Le choix de ces antibiotiques repose sur leur efficacité, leur bonne tolérance et faible pression de sélection. Les quinolones, en dépit de leur efficacité démontrée, ne sont pas recommandées dans ce type de prévention du fait du risque important de sélection de BMR.
- Sous antibiocycle, dans l’étude réalisée à l’hôpital de Garches, le taux individuel moyen d’infections urinaires symptomatiques est passé de 9,4 par patient et par an à 1,84 et aucun nouveau cas de colonisation à bactéries multirésistantes n’est apparu (2). Cette technique préventive doit être utilisée au long cours.
« Cette méthode, souligne le Pr Bernard, relève de l’infectiologue ou de l’urologue mais devrait permettre de diminuer sensiblement le nombre d’hospitalisations, d’améliorer la vie des patients et de réduire le risque de sélection de bactéries multirésistantes. L’antibiocycle n’a, actuellement, été validée que chez les patients porteurs d’une vessie neurologique. Je pense qu’il serait utile de le valider aussi chez les femmes ayant des infections urinaires à répétition. Dans cet objectif, il faudrait réaliser une étude avec les médecins généralistes car ce sont eux qui rencontrent le plus souvent cette situation. Mais, avant tout, il faut éliminer une cause favorisante puis faire le bon choix du cycle des antibiotiques. »
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