Pédiatrie

LA MAIGREUR CONSTITUTIONNELLE DE L'ENFANT

Publié le 03/03/2017
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Valorisée chez l’adulte car assortie d’une connotation positive, celle d’une « bonne santé » apparente, chez l’enfant et l’adolescent, la maigreur est avant tout suspecte de pathologie. Faut-il toujours s'en inquiéter ?

UN DIAGNOSTIC CLINIQUE

► Le diagnostic de maigreur constitutionnelle (MC) est clinique. Il associe :

- un poids < - 2 DS pour la taille ;

- une croissance pondérale régulière, sans cassure. La maigreur ne succède pas à un amaigrissement. Parfois, il existe une stagnation pondérale de quelques mois notamment lors de la diversification alimentaire, au début de la marche et/ou à l’adolescence ;

- un PpT < 85 %. Le PpT (« poids pour taille ») désigne le rapport du poids mesuré/ poids attendu pour taille de l’enfant ;

- une croissance staturale toujours régulière ;

- l’existence d’antécédent familial de maigreur constitutionnelle.

► Les spécialistes considèrent qu’il s’agit d’un diagnostic d’experts. Le bilan biologique n’est pas nécessaire au diagnostic mais, en pratique, les patients qui consultent dans les services spécialisés ont généralement déjà bénéficié de nombreuses explorations.

► La consultation peut être motivée par une suspicion d’anorexie mentale chez une adolescente ; la plainte d’un adolescent ne se trouvant pas assez « viril » ; ou encore une inquiétude quant à une pathologie organique chez un jeune enfant maigre avec un petit appétit.

► Le diagnostic différentiel avec l’anorexie mentale est théoriquement assez aisé : dans la MC, il n’y a pas d’aménorrhée (même si cette dernière ne fait plus partie des critères nécessaires au diagnostic d’anorexie mentale), pas de perte de poids aiguë, pas d’envie de perdre du poids, pas d’excès d’activité physique, et un attrait conservé pour tous les types d’aliments. L’état général est le plus souvent excellent.

LE POIDS DES GÈNES

La MC a clairement une composante familiale, avec une « agrégation familiale à la maigreur ». Une étude française [1] sur trois générations retrouvait une moyenne de 2,5 sujets maigres dans la famille d’un patient MC, contre 0,5 dans la famille d’un patient souffrant d’anorexie mentale, constituant le groupe contrôle.

Le meilleur facteur prédictif de MC est l’existence de parents maigres. Lorsque les deux parents sont maigres, l’enfant a un « risque » de MC de 16 %.

Une équipe suisse a mis en évidence en 2011 une région particulière du chromosome 16, comportant 29 gènes, dont l’absence est associée à certaines obésités sévères alors que sa duplication est associée à la survenue d’une MC.

QUELS MÉCANISMES ?

► La régulation de l’appétit en cas de MC suit le même profil de sécrétions hormonales mais à des taux différents des sujets non-MC : la production de ghréline (orexigène) est moindre et davantage de PYY (peptide anorexigène) est libéré après les repas : le rapport anorexigénique PYY/ghréline est augmenté, aboutissant à un signal de satiété fort et prolongé. Pour maintenir des apports énergétiques normaux sur 24 h, ces enfants compensent volontiers leurs petits repas par un grignotage « physiologique ».

► Si on suralimente un maigre constitutionnel, le signal anorexigénique est plus élevé et précoce, mais la sécrétion de ghréline n’est pas inhibée par la suralimentation. La dépense énergétique augmente, mais pas assez pour expliquer l’absence de prise pondérale. Plusieurs pistes tentent d'expliquer le phénomène :

- le fidgeting : on observe fréquemment des mouvements permanents répétés inconsciemment : le MC secoue ses jambes, agite son crayon, entortille ses cheveux…

- augmentation de la non-exercice activity thermogenesis, c’est-à-dire la thermogénèse non liée au sommeil, à l’alimentation et à l’activité sportive : ce phénomène est observés chez deux tiers des patients MC suralimentés. En simplifiant, il se pourrait que ces individus aient tendance à bouger plus, spontanément, lorsque leurs apports alimentaires sont augmentés.

- le tissu adipeux brun qui favorise la dépense énergétique sous forme de chaleur. Chez le sujet normal, il est très peu développé, cantonné à la région cervicale et susclaviculaire ; chez le MC, il s’étend au niveau pararénal, paravertébral, supra-aortique.

- le microbiote intestinal pourrait intervenir, qualitativement et quantitativement. Plus le patient est maigre et plus la diversité du génome du microbiote est grande.

QUELLES CONSÉQUENCES ?

► La DMO des maigres constitutionnels est légèrement diminuée mais les fractures ne semblent pas plus fréquentes. Il ne faut pas oublier la supplémentation vitaminique D.

► Tout forcing alimentaire est proscrit. Il n’y a pas d'intérêt à enrichir l’alimentation ou à donner des compléments énergétiques. Il faut rassurer les parents sur l’absence de maladie organique ou d’anorexie mentale et leur expliquer que la MC est un état physiologique de maigreur. Il faut vérifier l’absence de carence alimentaire (acides gras essentiels, fer, calcium) car, en cherchant à grossir à tout prix, ces ados peuvent déséquilibrer leur alimentation.

 

Références

1- Dr Lemale J. Maigreur constitutionnelle chez l’enfant : quels sont les mécanismes en jeu ? Communication lors du 26e séminaire de nutrition pédiatrique de l’hôpital
Trousseau, 13 octobre 2016,
Paris.
2- Bossu C, Galusca B, Normand S et al. Energy expenditure adjusted for body composition differentiates constitutional thinness from both normal subjects and anorexia nervosa. Am J Physiol Endocrinol Metab 2007 ; 292 : E132-7.

 

Dr Julie Van Den Broucke (médecin généraliste, Paris) d’après une communication du Dr Julie Lemale (service de Gastro-Entérologie et nutrition pédiatrique, Hôpital Trousseau, Paris)

Source : lequotidiendumedecin.fr