L’ACTIVITE PHYSIQUE, LES SPORTS ET LES ALLERGIES

Publié le 04/11/2016
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Allergologie Les symptômes d’atopie (asthme, rhinite allergique,eczéma) sont plus fréquents chez le sportif que dans la population générale. Parmi les mécanismes pouvant expliquer ce phénomène, figurent l’hyperventilation en air froid et sec qui pourrait favoriser le remodelage bronchique ou l’exposition répétée à des allergènes ou à des polluants ou irritants bronchiques. Cette notion implique un diagnostic précis et une prise en charge adaptée.

Crédit photo : SPL/PHANIE

Les sports de loisir et de compétition occupent une place importante dans notre société. La pratique des sports de masse, en particulier la course à pied, le cyclisme, la musculation (mais pas seulement) est en augmentation régulière. Les relations entre le sport, l’asthme et les allergies, sont semblables chez les sportifs de haut niveau et les sportifs pratiquants de la population générale.

FREQUENCE DES MALADIES ATOPIQUES CHEZ LE SPORTIF

Asthme

En 2000, on dénombrait 16,7% d’asthmatiques parmi les athlètes de la sélection américaine aux JO d’été de 1996, alors que la prévalence cumulée de l’asthme était estimée à 7-8 % aux Etats-Unis (10). Seize ans plus tôt, aux JO de Los Angeles (1984), 67 asthmatiques avaient été dénombrés parmi 597 athlètes olympiques (11,2 %), soit une augmentation de prévalence de 49 % entre 1984 et 1996 (1). En 2010, l’étude GA2LEN a comparé la fréquence de l’asthme chez 291 athlètes olympiques allemands avant les JO de 2008 (Pékin) et dans la population générale comportant des sportifs ou non (2). Les athlètes déclaraient : - avoir un « asthme diagnostiqué par un médecin » plus souvent que les sujets normaux (17 % vs. 7 %) ; - utiliser plus souvent des médicaments antiasthmatiques (10% vs. 4%) ; - et présenter des symptômes de rhinite allergique (25% vs. 17%). Le risque d’asthme, estimé par la méthode des Odds ratio (OR), était 2,5 fois plus élevé chez les athlètes de haut niveau que dans la population générale (OR: 2,4; IC95% 1,5-3,8) (2). En 2012, les derniers chiffres montraient que la prévalence de l’asthme et/ou de l’hyperréactivité bronchique (HRB), évaluée sur la prise de bêta2-mimétiques de courte durée d’action (B2CA) , avait diminué puisqu’elle n’affectait plus que 8 % des athlètes olympiques (3). Plusieurs auteurs se sont demandés quelle était la limite entre le traitement pharmacologique de l’asthme des sportifs de haut niveau et le dopage. Si l’utilisation des B2CA ou, surtout maintenant, des corticoïdes (oraux ou injectables) a pu être dévoyée, le « bénéfice » escompté en termes d’amélioration de la performance restait faible[1] par rapport aux « techniques nouvelles » (EPO, facteurs croissance, autotransfusions sanguines, etc.), ce qui peut expliquer la baisse d’utilisation des traitements antiasthmatiques au cours des dernières années et, par conséquent, la diminution de prévalence de l’asthme allégué par les sportifs… Aux doses usuelles, les corticoïdes inhalés et les bêta2-mimétiques n’influencent pas la consommation d’oxygène, la vitesse, la distance parcourue aussi bien chez les asthmatiques que chez les individus normaux. Á fortes doses, un effet ergogénique et une amélioration de la fonction respiratoire seraient possibles chez les individus normaux mais au prix d’effets secondaires (15).

Rhinite allergique

(RA) Aux JO d’été de 2008, la même étude GA2LEN (1) faisait état de 25 % de RA chez 297 athlètes allemands, pourcentage presque deux fois plus élevé que celui de la population générale (17 %). Dans une étude concernant des athlètes olympiques et paralympiques (Sydney), 56 % avaient un prick test (PT) positif à au moins un allergène usuel, et 34 % à au moins un allergène saisonnier (4). Ces pourcentages étaient également répartis dans les diverses disciplines sportives. 37 % des athlètes avaient une RA qui était le plus souvent saisonnière (pollinose) dans 24 % des cas (4).

Dermatite atopique

(DA) Chez 460 jeunes sportifs âgés de 7 à 14 ans, la prévalence de la DA était de 11,08 %, deux fois plus élevée que dans la population générale (autour de 5 %). L’eczéma peut gêner la pratique de certains sports : la transpiration entraîne une exacerbation de l’eczéma ainsi que le contact prolongé avec l’eau qui favorise la sécheresse cutanée, les irritations et les infections, locales ou à distance (5, 6).

PHYSIOPATHOLOGIE DE L’ASTHME CHEZ LE SPORTIF

Le risque d’asthme varie en fonction du sport pratiqué. Les sports d’endurance comme la natation, la course à pied ou les sports d’hiver sont ceux qui exposent le plus à l’asthme (7). Chez 42 skieurs de fond suédois, la moitié souffrait d’asthme et/ou prenait régulièrement des médicaments antiasthmatiques alors qu’un seul témoin non skieur sur 29 (3,4 %) était asthmatique (8). L’HRB et l’asthme seraient dus aux efforts nécessitant une hyperventilation intense, en atmosphère froide et sèche (8). Au cours des sports de glace, le risque d’asthme est au moins de 30 %. La fréquence élevée de l’asthme ne se limite pas aux sports d’hiver : le risque relatif d’asthme évalué par la méthode des Odds ratio (OR) est très élevé chez les sprinters et les lanceurs (OR : 5,49 ; IC95 % 0,56-53,7), chez les coureurs de fond (OR : 2,88 ; IC95 % 0,30-27,7) et surtout chez les nageurs (OR : 10,8 ; IC95 % 1,10- 106) comparés aux témoins normaux (9).

Il existe trois phénotypes différents d’asthme chez les sportifs : - l’asthme classique qui débute précocement dans l’enfance, est associé à une HRB à la métacholine, à des signes d’atopie et à une inflammation bronchique à éosinophiles ; - l’asthme à début différé commence pendant la carrière du sportif, s’accompagne d’une réaction positive au cours de l’épreuve d’hyperventilation isocapnique, et est associé de façon variable aux marqueurs de l’atopie et à une inflammation bronchique (11) ; - l’anaphylaxie induite par l’exercice physique et l’ingestion d’aliments (AIEPIA), due à la consommation d’un aliment associée à un exercice physique, le plus souvent en endurance. Cette situation déclenche des symptômes d’allergie qui progressent jusqu’à l’anaphylaxie si le sujet n’arrête pas l’effort, l’asthme étant l’une des expressions de l’anaphylaxie. L’ingestion de l’aliment seul ou l’effort seul sont incapables de déclencher l’AIEPIA.

Plusieurs mécanismes expliquent la surreprésentation des symptômes ORL et bronchiques chez les sportifs : - l'hyperventilation en air froid et sec qui favorise l’inflammation et le remodelage bronchique, - l'exposition aux polluant et aux irritants bronchiques, - l'exposition répétée et massive à des allergènes de l’environnement, - la libération excessive de médiateurs endo- bronchiques, - la fréquence élevée des pathologies rhino-sinusiennes chroniques chez le sportif.

ASPECTS CLINIQUES ET DIAGNOSTIQUES

L’effort est un facteur déclenchant habituel de la symptomatologie asthmatique (12). L’asthme d’effort est d’ailleurs souvent le premier symptôme de l’asthme maladie, même si ensuite il reste exceptionnellement isolé.

Pour l'asthme

L’asthme d’effort ou asthme induit par l’exercice physique (AIEP) survient uniquement à l’effort ou est associé à des symptômes d’asthme après l’exposition aux allergènes, aux irritants ou aux infections. Il se manifeste par des sifflements respiratoires (wheezing) apparaissant dans les minutes qui suivent l’arrêt d’un effort physique, principalement l’hiver.

Ce bronchospasme peut débuter pendant l’effort, mais survient le plus souvent à l’arrêt de l’exercice, pendant la phase de récupération. La gêne respiratoire augmente, dure 5 à 10 minutes, rarement plus, puis régresse spontanément en moins de 30 à 60 minutes. L’asthme d'effort est beaucoup plus fréquent lorsque l’activité physique nécessite une hyperventilation, dans un environnement nécessitant l’inhalation d’air froid et sec. L’AIEP peut se limiter à une toux d’effort, à une sensation de gêne thoracique (striction) à l’effort, parfois verbalisée par les enfants comme une « douleur », même si l’asthme d’effort n’est pas douloureux).

Évoqué par l’interrogatoire (circonstances déclenchantes, antécédents personnels et familiaux d’atopie), le diagnostic est affirmé par l’exploration fonctionnelle respiratoire (EFR) qui peut mettre en évidence un trouble ventilatoire obstructif méconnu, réversible après prise d’un bêta2-mimétique. Si l’EFR est normale, la recherche d’une hyperréactivité bronchique (chez l’adulte) et une épreuve d’effort (à tout âge) peuvent être nécessaires. Une diminution de 15 % du VEMS lors d’une épreuve d’effort est habituellement considérée comme significative, ce seuil pourrait être abaissé à 10% chez les sportifs. Chez ces derniers, l’EFR peut donner des résultats supérieurs aux normes, ce qui peut compliquer le diagnostic.

En raison de l’utilisation accrue des B2CA et des B2LA par les sportifs, les fédérations sportives doivent demander un dossier détaillé justifiant la prescription de médicaments antiasthmatiques pour les athlètes qui déclarent souffrir d’un asthme : - description médicale détaillée ; - antécédents d’asthme; - symptômes respiratoires observés ; - résultats de l’EFR avec le résultat positif du test de broncho-dilatation en cas d’altération du VEMS (> à 12% de la valeur du VEMS, après inhalation d’un béta-2 mimétique autorisé) ; - résultat de test de provocation bronchique (test d’effort ou test à la métacholine) ou d’un test de référence (le test d’hyperventilation isocapnique).

Pour la rhinite allergique

La RA du sportif, perannuelle ou saisonnière, n’a pas de caractère particulier. Chez le sportif, quel que soit son niveau, il existe un tableau dit de rhinorrhée induite par l’effort au cours de l’exposition à l’air froid dénommé cold-induced rhinorrhea. Présente en particulier chez les skieurs, les cyclistes, les joggeurs (etc.) elle se manifeste par une rhinorrhée intense pendant ces activités (53-55). Plus fréquente chez les atopiques, cette rhinite est améliorée par la prise d’un anticholinergique nasal avant l’effort (54), ce qui est en faveur d’un mécanisme neurogénique.

TRAITEMENT DES ALLERGIES CHEZ LE SPORTIF

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L’AIE est prévenu par la prise d’un bêta2-mimétiques de courte durée d’action (B2CA), 2 bouffées, 15 minutes avant l’effort prévu. Les médicaments les plus efficaces sont les B2CA ou de longue durée d’action (B2LA) pris par voie inhalée quelques minutes avant l’effort (1, 15-18). Les cromones (cromoglycate et nédocromil) ne sont plus utilisées ; elles étaient moins efficaces que les bêta2-mimétiques. Les antileucotriènes, sont également efficaces (17) mais moins que les B2CA et B2LA. En revanche, les anticholinergiques, les théophyllines, les antihistaminiques et les CI (en prise unique avant l’effort) n’ont pas d’efficacité pour prévenir l’AIE.

La prévention non médicamenteuse, individualisée pour chaque athlète, est basée sur l’échauffement (progressif ou fractionné), le port de masques pour lutter contre le froid (sport d’hiver).

Lorsque le sportif présente un asthme connu, celui-ci doit être contrôlé selon les principes des recommandations nationales et internationales.

L’orientation sportive des enfants et des adolescents à risque de développer un asthme motivera une réflexion avec l’enfant ou l’adolescent et sa famille. Globalement, les activités qui exposent le plus à l’AIE sont les sports d’endurance (ski de fond, patinage, sport d’équipe), surtout si l’activité est pratiquée par temps froid et sec. La natation, effectuée dans des conditions inverses (humidité, chaleur) exposerait à moins d’AIE, ce qui a fait considérer cette activité comme un « traitement adjuvant de l’asthme », mais actuellement cette notion est très controversée (rôle d’irritant bronchique asthmogène des désinfectants chlorés des piscines) (19). En principe, les sports qui demandent des efforts intenses et brefs comme les sprints (résistance) sont moins asthmogènes que ceux qui réclament des efforts soutenus (endurance). Le risque dépend aussi du poste de jeu dans une équipe (gardien de but versus milieu de terrain). Mais il existe de larges variations dans les susceptibilités individuelles (Tableau I).

Les recommandations pour la prise en charge de la RA ont été établies en 2001 par le consensus ARIA (Allergic Rhintis and its Impact on Asthma) puis régulièrement mises à jour (19, 20). D’une manière générale, les traitements de première ligne reposent sur les antihistaminiques et les corticoïdes locaux par voie nasale. La désensibilisation spécifique, lorsqu’elle est possible, pourrait permettre au sportif de réduire les traitements symptomatiques.

Chez les patients atteints de dermatite atopique les soins locaux visent à limiter la sécheresse cutanée (émollients et pommades à visée hydratante). Lors des poussées, le rétablissement de la fonction barrière de la peau repose sur l’utilisation des dermocorticoïdes et, dans les formes les plus sévères, sur les traitements immunosuppresseurs locaux (parfois généraux) sous surveillance spécialisée. Du fait de l’aggravation de la sécheresse cutanée par le contact prolongé avec l’eau, ainsi que celle du prurit par la transpiration, il faut réfléchir à l’orientation sportive des enfants et adolescents atteints d’eczéma et éviter la surinfection cutanée.

 

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CONCLUSION

Il existe chez les sportifs de haut niveau une augmentation de la prévalence de la maladie asthmatique et peut être, de la rhinite allergique. Les causes exactes de cette observation sont encore incomplètement élucidées, mais différents types de mécanismes liés au caractère extrême de l’activité physique chez les athlètes pourraient être impliqués. Il est actuellement possible, en fonction d’une analyse clinique soigneuse des symptômes présentés à l’exercice et des données de l’exploration fonctionnelle respiratoire, de proposer aux patients asthmatiques désirant poursuivre leur activité sportive un traitement adapté et efficace. Chez le sportif de haut niveau, la prise en charge thérapeutique des manifestations atopiques respiratoires ou cutanées reste compatible avec la législation anti-dopage en vigueur.


Source : lequotidiendumedecin.fr