Pédiatrie

L'ENFANT ET LES ÉCRANS

Publié le 19/10/2018
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Les médecins ont un rôle important de conseil auprès des parents quant à l'utilisation et à la vigilance face aux éventuels effets négatifs des écrans sur la santé des enfants. Cinq messages simples sont proposés par le Groupe de pédiatrie générale : comprendre l'usage sans le diaboliser, cantonner ces objets dans les espaces de vie collective, garder des temps sans aucun écran ; accompagner la parentalité sur le sujet ; prévenir l’isolement social. 
Enfant ecran

Enfant ecran
Crédit photo : Phanie

Les pédiatres du Groupe de pédiatrie générale (membre de la Société française de pédiatrie) ont rédigé en 2018 des recommandations pour l’usage des écrans par les enfants (1). Ceci faisait suite à de nombreuses recommandations, en provenance notamment de l’Académie des sciences en France et de l’Académie américaine de pédiatrie (AAP), ainsi qu’à une enquête sur l’état des lieux des consommations d’écrans par les jeunes enfants en France. Le recensement des inquiétudes médicales face à leur mésusage, mais aussi de leurs bénéfices documentés, fait l’objet de nombreux travaux.

Tout en rendant compte de la diversité des situations familiales, nous avons synthétisé les recommandations publiées pour que les médecins puissent transmettre des messages simples aux parents de leurs jeunes patients. L’Académie des sciences les oriente d’ores et déjà dans ce sens : « Les généralistes et les pédiatres peuvent jouer un rôle important », expose-t-elle (2).

La difficulté est d’éviter plusieurs écueils, notamment les risques d’obsolescence ou de messages trop négatifs, socialement très décalés et inadaptés. Nous avons ainsi choisi de retenir les messages simples. Le but est d’aider l’enfant à s’installer dans sa génération, très influencée par le numérique mais dont les besoins essentiels demeurent universels.

Ces recommandations du Groupe de pédiatrie générale ont été soutenues et corédigées par l’Unaf (Union nationale des associations familiales) et le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel).

LES CINQ RECOMMANDATIONS

Comprendre le mouvement actuel sans diaboliser le numérique

Cette recommandation suppose de comprendre le monde dans lequel nous évoluons ainsi que ses évolutions technologiques et sociologiques. Pour les professionnels, il s’agit d’évaluer le comportement éducatif des familles et de les guider si nécessaire. Leur diversité est telle qu’une réponse univoque est inadaptée. Une connaissance des modes de vie et des questionnements éducatifs propre à toute évaluation de santé des enfants et des adolescents s'impose ainsi.

Interdire tous les écrans et n’en garder que les côtés négatifs n’a plus de sens, pas plus que de transmettre des règles avec des limites fixes d’âge ou de durée. Une comparaison de la lecture papier et des nouvelles cultures numériques montre les avantages et les limites des deux pratiques. L’idéal serait de métisser les deux (3).
On ne peut non plus sans preuve attribuer toutes les pathologies au développement des écrans. Des erreurs ont été faites dans ce sens, en attribuant à ces derniers un rôle direct dans le développement de l’autisme ou des TDAH (troubles de l’attention avec hyperactivité).

Comprendre ce qui amène aux mésusages des écrans est très important, comme pour toutes les pathologies comportementales. Sans accompagnement d’adultes, ils n’ont pas d’action positive objectivement prouvée, quel que soit l'âge. Laisser un enfant passivement et en continu devant un écran quel qu’il soit est une absurdité.

L’idée d’un plan familial média développé par l’AAP (Familial Media Use Plan), que nous évoquerons plus loin, est une base importante (4).

Des écrans dans les espaces de vie collective, mais pas dans les chambres
des enfants

C’est une recommandation fondamentale, pas nécessairement simple à faire respecter mais unanimement portée par toutes les données publiées. Le but est de privilégier les partages (moins d’accès en solitaire si l’écran est dans une pièce à vivre). Il est habituel de dire que cette recommandation doit être modulée et négociée en fonction de l’âge et du type d’écran. Elle est facile à appliquer pour la télévision, moins pour les tablettes tactiles ou smartphones, d’autant qu’il en existe des utilisations détournées.
L’usage pourrait être contractualisé avec les adolescents dans le cadre du « plan familial média ». Le partage parental et familial est la base des possibilités d’échange autour des contenus.

L’accompagnement renforce la sécurité. Au travers des contacts via les réseaux sociaux ou Internet, de nombreuses situations choquantes, maltraitantes, harcelantes (cyber-harcèlement) peuvent être rencontrées. Elles sont d’autant plus traumatisantes que l’enfant les expérimente seul. En dehors de ces situations, des explications sont souvent nécessaires et le partage de ces moments aidera à lutter contre la « rupture générationnelle » (5).

► La relation forte entre les troubles du sommeil et l’utilisation prolongée d’écrans, en particulier dans les chambres, incite aussi à cette recommandation. Le rôle de la lumière bleue sur la sécrétion de mélatonine, l’entretien d’une vigilance gênant l’endormissement, les réveils nocturnes programmés ont un rôle dans les troubles du sommeil. Les décalages de phase induits par ces comportements sont particulièrement fréquents chez l’adolescent (6).

Des temps sans aucun écran

Cette recommandation est retrouvée dans tous les travaux publiés. Certains temps et lieux doivent être « sanctuarisés » : matin, repas, sommeil, école (en dehors des outils d’apprentissage), salles de sport, phases de jeux collectifs. C’est vrai pour les enfants, mais aussi pour les adultes. Cette suspension d’activité connectée est indispensable pour limiter le temps d’exposition et favoriser la concentration sur d’autres types d’activités, scolaires, sportives ou relationnelles.

► On insiste sur l’inutilité du recours aux écrans le matin. Les possibilités d’attention pendant cette période sont importantes.

► La période des repas doit également être sanctuarisée. C’est un temps d’échange important que les écrans vont court-circuiter. La relation temps d’écran et surpoids/obésité est connue depuis longtemps. Plus que l’inactivité, il semble que la modification de la sensation de satiété et les incitations à des consommations inadaptées jouent un rôle dans cette relation (7).

► L’utilisation des portables est maintenant interdite dans l’institution scolaire. L’intégration des écrans dans l’apprentissage se développe, mais dans un cadre accompagné et associé aux autres modes d’enseignement.

Oser et accompagner la parentalité

Les parents doivent reprendre leur place auprès de leurs enfants pour organiser la gestion du rapport aux écrans, et oser en faire un outil de parentalité. La nouveauté de ces objets ne doit pas être un frein à la gestion des limites, des dangers, de l’importance du respect de l’intimité. Le propre rapport des parents eux-mêmes aux écrans est par ailleurs essentiel, au vu de l’exemplarité qu’ils représentent pour leurs enfants. Les professionnels doivent les encourager à fixer et justifier les règles d’utilisation et à oser aborder ce sujet avec eux.

► C’était déjà le message de l’Académie des sciences en 2013 : les médecins peuvent « convaincre les parents d’écarter les enfants de moins de trois ans des écrans. Ensuite, ils peuvent inviter les plus grands à constituer chez eux une vidéothèque qui se substituera à des programmes de mauvaise qualité et permettra aussi à leurs enfants d’échapper à la publicité dont l'influence chez les plus jeunes est une forme de violence » (2).

► Il est important que les parents ne se sentent pas obligés (par les incitations publicitaires) d’introduire précocement des écrans dans la vie de leurs enfants sans véritable demande de leur part. Dans ce sens, leur utilisation doit être découragée avant deux ans. Sans être des utilisateurs réguliers, les parents peuvent expliquer, aider au choix, éviter les contenus dangereux. « C’est la théorie que je défends auprès des parents et des éducateurs, en leur délivrant un message simple : rapprochez-vous autant que possible du monde virtuel. Ne le fuyez pas, ne le diabolisez pas. Même si vos centres d’intérêt ne vous portent pas naturellement vers les activités numériques et que vous préférez la compagnie d’un bon livre ou la pratique du jardinage, intéressez-vous à lui. Ne vous laissez pas distancer par les plus jeunes au prétexte que vous ne serez jamais aussi doués qu’eux », assure Stéphane Bloquaux, co-rédacteur des recommandations.

► Il rappelle aussi que les enfants appelés souvent « Digital Natives » sont aussi des « Digital Naïfs ». Ils méconnaissent les risques, comme le confirment les enquêtes récentes. Ils sont persuadés que les photographies envoyées sur les réseaux sociaux ne laissent aucune trace, ne connaissent pas les règles juridiques de diffusion d’images et risquent de plonger dans l’illégalité en un clic ! C’est le « jeu de dupes inconscient » dont parle Serge Tisseron.

Veiller à prévenir l’isolement social

► Le mésusage des écrans peut conduire à l’isolement dans la vie réelle. La perte d’échanges avec les autres et le déficit de socialisation sont alors un risque pour les enfants et les adolescents. Nous interprétons dans ce sens la prise de position d’un collectif de professionnels de la petite enfance : « Captés ou sans cesse interrompus par les écrans, parents et bébé ne peuvent plus assez se regarder et construire leur relation. Les explorations du bébé avec les objets qui l’entourent, soutenues par les parents, sont bloquées ou perturbées. » (8)

► Développée dans le même texte, la relation entre écrans et autisme est hâtive, non fondée scientifiquement. Aucun travail épidémiologique ni étude clinique contrôlée n’ont pour le moment étayé l’éventualité d’un lien entre consommation d’écrans des jeunes enfants et troubles du spectre autistique. Il est important de distinguer les liens directs et indirects, les troubles d’interaction sociale primitive pouvant conduire l’enfant à se réfugier dans une réalité virtuelle (9).

De même, les enfants hyperactifs présentant un trouble de l’attention-concentration, qu’elle qu’en soit l’origine, ont une attractivité importante pour les écrans. Ils pourraient être canalisés par leur effet « hypnotique ».

► Les réseaux sociaux ou les jeux en ligne peuvent créer l’illusion d’un contact réel et s’y substituer à terme. Ils favorisent de nouvelles formes de contact qui complètent les relations existantes hors-ligne. Le cyber-harcèlement/dénigrement peut conduire à de véritables dépressions, avec risque de passages à l’acte (suicides, ou tentatives, par exemple). L’encouragement au partage et aux échanges directs doit être associé à l’utilisation des techniques de communication numérique.

► On peut discuter aussi du risque d’isolement dans un processus d’addiction aux jeux vidéo. En juin 2018, après une discussion polémique, l’OMS a reconnu le diagnostic d’addiction aux jeux vidéo. Pour l’enfant, il reste rare. On parle d’« addiction domestique », la plupart du temps dépendante de l’attitude des adultes de l’entourage, et réversible. Ce n’est sans doute pas aussi simple pour les adolescents. La meilleure façon de lutter contre l’isolement, dans toutes ces formes de contact avec les écrans, est toujours l’accompagnement dans une attitude responsable des adultes. On peut reprendre l'injonction de Christakis : « quand vous êtes avec vos enfants, fermez vos damnés téléphones ! » (E Christakis The Importance of Being Little).

COMMENTAIRES

Plusieurs commentaires ont été faits depuis la publication de ces recommandations.

► Nous avons choisi de ne pas donner d'intervalles d’âges précis comme l’a fait Serge Tisseron dans le 3-6-9-12 (10). Il n’existe pas véritablement d’études confirmant ces limites. Par contre, il est évident que l’état les connaissances actuelles, associées à du simple bon sens, borne l’intérêt des écrans pour le petit (moins de deux ou trois ans). Le développement à cet âge est essentiellement basé sur le relationnel avec les adultes, or les écrans peuvent perturber cette relation.

► Nous avons aussi recommandé de cantonner les écrans dans les espaces de vie collective et non dans les chambres. Les mésusages existent toutefois en espace collectif, en particulier lorsque les écrans sont allumés en permanence (télévision) comme cela semble être le cas pour beaucoup d’enfants jeunes (11).

► Nos recommandations ne comportent pas de limites de temps d’exposition maximum aux écrans. On manque aussi de données précises sur ce sujet, mais les temps prolongés sont nocifs, en particulier parce qu'ils se font au détriment des autres activités et de la vision lointaine.

► Il nous paraît important de prolonger nos recommandations et de réfléchir à l’organisation de la journée de l’enfant. Ceci a été fait par nos collègues canadiens, avec le « Canadian 24-Hour Movement Guidelines for Children », décrivant les trois temps/activités de la journée de l’enfant : bouger, dormir, être assis (12). En dehors des temps scolaires, la position assise, dite aussi temps sédentaire, doit être limitée à tous les âges. Elle inclut le temps des écrans et ne devrait pas dépasser deux heures par jour ! (13) Ce guide aborde la question sous l'angle de l’occupation des temps dits « libres ». Les auteurs insistent aussi sur la sanctuarisation du temps de sommeil. Les recommandations canadiennes sont basées sur des études scientifiques qui montrent le lien entre activité physique, sommeil et développement de l’enfant. 

Bibliographie

1- Picherot G, Cheymol J, Assathiany R et al. Children and screens : Groupe de pédiatrie générale (Société française de pédiatrie), Guidelines for pediatricians and families, Archives de Pédiatrie 2018 ; 25 : 170–174
2- Bach JF, Houdé O, Lena P, Tisseron S. L’enfant et les écrans : un avis de l’Académie des sciences, 2013. www.academie-sciences.fr
3- Houdé O. Les écrans changent-ils le cerveau?
In M Fournier et V. Bedin editeurs. Apprendre; La Petite
Bibliothèque des Sciences
Humaines, Ed Sciences
Humaines Auxerre 2014.
4- American Academy of Pediatrics, Council on communications and media. Media and Young Minds. Pediatrics 2016;138(5):e20162591
5- Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Jeunesse et protection des Mineurs. http://www.csa.fr/
6- Touitou Y,  Touitou D, Reinberg A. Disruption of adolescents circadian clock: The vicious circle of media use, exposure to light at night, sleep loss and risk behaviors. Journal of Physiology 2016 ; 110 : 467–479
7- Robinson TN, Banda JA, Hale L. Screen Media Exposure and Obesity in Children and Adolescents. Pediatrics 2017 ; 140(Suppl 2): S97–S101
8- http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/05/31  (consulté le 5/10/2018)
9- HAS. RCP 2018. Trouble du spectre de l’autisme : signes d’alerte, repérage, diagnostic et évaluation chez l’enfant et l’adolescent. www.has-sante.fr  
10- Tisseron S. 3-6-9-12 - Apprivoiser les écrans pour grandir  http://www.3-6-9-12.com
11- Assathiany R, Guery  E,  Caron F-M et al. Children and screens : a survey by french pediatricians. Arch Pediatr 2018;25:84-88
12- Mark S. Tremblay, Carson V, Chaput JP. Canadian 24-Hour Movement Guidelines for Children and Youth: An Integration of Physical Activity, Sedentary Behaviour, and Sleep. Appl. Physiol. Nutr. Metab.2016 ; 41: S311–S327
13- Directives canadiennes en matière de mouvement sur 24 heures pour 0-4 ans et pour les enfants et les jeunes. www.csepguidelines.ca/fr/early-years-0-4

 

Dr Georges Picherot, Cheymol J.*, Pédiatres, Groupe de pédiatrie générale de la Société Française de Pédiatrie. Email : picherotgeorges@orange.fr

Source : lequotidiendumedecin.fr