INTRODUCTION
Plus de 40 % des femmes seront touchées à un moment de leur vie par des problèmes d’incontinence urinaire (1). Et pourtant, beaucoup moins oseront en parler à leur généraliste, le sujet restant encore tabou en 2023. Trop rares sont les campagnes de sensibilisation à destination du grand public. Bien souvent, c’est à l’occasion d’un contrôle gynécologique que le problème est évoqué.
L’incontinence urinaire se définit selon l’International Continence Society (ICS) comme la perte involontaire d’urines (2). Mais toutes les fuites ne se ressemblent pas. Il en existe quatre types : l’incontinence urinaire d’effort, l’incontinence urinaire par hyperactivité vésicale (sur urgenturies, c’est-à-dire besoins irrépressibles), l’incontinence urinaire mixte (mêlant effort et urgenturies) et les mictions par regorgement (rétention chronique d’urines avec « débordement » de la vessie).
Nous traiterons uniquement dans cet article de Mise au point l’incontinence urinaire d’effort de la femme, non enceinte, de plus de 15 ans.
Définition
L’incontinence urinaire d’effort, comme son nom l’indique, correspond à une perte involontaire d’urines, non précédée du besoin d’uriner, survenant à l’effort. Ce sont des fuites survenant dans des situations d’augmentation des pressions intra-abdominales (toux, éternuements, rires, port de charges lourdes, saut, etc.).
Cependant, les choses seraient trop simples s’il ne fallait pas en différencier deux types (2) :
• l’incontinence urinaire d’effort sur hypermobilité de l’urètre,
• l’incontinence urinaire sur insuffisance sphinctérienne (faiblesse sphinctérienne multifactorielle).
Épidémiologie
Une femme adulte sur cinq souffre d’incontinence urinaire d’effort, avec un pic maximal entre 55 et 60 ans. La grossesse mais surtout la parité ne sont pas les seuls facteurs de risque : près de 10 % des femmes jeunes nullipares sont atteintes d’incontinence urinaire, mais ce chiffre monte jusqu’à 30 % lorsqu’elles sont très sportives (activités sportives très soutenues ou inadaptées) (3).
Ces chiffres sont probablement sous-estimés (études souvent déclaratives sur ce sujet très intime).
Pour l’incontinence d’effort chez la femme, la prise en charge initiale est toujours la même (rééducation). En revanche, les solutions chirurgicales, quant elles sont nécessaires, varient selon le bilan effectué par le spécialiste.
FACTEURS DE RISQUE ET PHYSIOPATHOLOGIE
Les facteurs de risque (4) et la physiopathologie sont liés à :
• des antécédents obstétricaux (macrosomie à la naissance, déchirure périnéale),
• des antécédents gynécologiques (hystérectomie par déstabilisation du complexe cervico-urétral ; kyste sous-urétral ; diverticule sous-urétral),
• l’âge,
• la ménopause (amincissement tissulaire, carence œstrogénique),
• le sport (gymnastique, tennis, basket, footing, trampoline, danse, crossfit), du fait de pressions souvent majeures, exercées sur le périnée (5),
• la constipation,
• l’obésité,
• la toux chronique avec le tabagisme comme facteur prédisposant.
BILAN CLINIQUE ET PARACLINIQUE
Le bilan clinique
Il commence par l’interrogatoire, qui est fondamental pour éliminer un diagnostic différentiel. Celui-ci permet de confirmer une incontinence d’effort pure : pas de fuite, notamment au repos, ni la nuit ; pas d’urgenturies (besoins impérieux) ; pas de difficultés mictionnelles. Il permet également de rechercher les facteurs favorisants (toux, tabac, obésité, antécédents gynéco-obstétricaux).
La sévérité des fuites peut être évaluée par la fréquence de changement des protections et par leur épaisseur. Il existe également un test simple : le pad-test (6), littéralement « test de pesée de la couche », consiste à peser le poids des protections (différence entre le poids des protections humides et sèches sur 24 heures). Au-delà de 50 grammes par jour, les fuites sont considérées comme sévères. En pratique courante de médecine générale, ces tests ne sont pas nécessaires, d’autant plus que peu importe la sévérité des fuites, le seul élément à rechercher est la gêne au quotidien. S’il y a gêne, une prise en charge doit être proposée à la patiente.
Il convient également d’évaluer le retentissement psychologique et social. Des questionnaires standardisés simples existent (Contilife par exemple), mais le plus simple reste d’écouter pour apprécier la gêne. Nombre de femmes limitent en effet leurs activités physiques, leurs sorties par peur d’être gênées publiquement.
L’examen clinique permet de constater l’incontinence à l’effort. Ne pas constater ne signifie pas infirmer : parfois les fuites ne surviennent que dans certaines situations (éternuements, stations debout, rires aux éclats, fatigue, fin de journée). En effet, l’examen en position allongée des patientes élimine le poids des viscères sur le périnée. S’il n’y a aucun doute à l’interrogatoire, la prise en charge initiale devra être identique.
Un examen simple permet de constater une incontinence urinaire d’effort : la manœuvre d’Ulmsten, ou TVT-test. Installez la patiente en position gynécologique, écartez les grandes lèvres et demandez-lui de tousser, vessie pleine. On note alors une hypermobilité de l’urètre (que certains appellent « bascule ») et une issue d’urine par le méat urétral. En soulevant l’urètre de part et d’autre (avec les doigts ou par une pince languette), on constate alors une disparition des fuites à la toux (manœuvre d’Ulmstein ou TVT-test).
On peut également constater simplement des fuites d’urines avec un urètre fixe : suspicion, alors, d’insuffisance sphinctérienne.
L’examen de la vulve permettra d’éliminer un autre trouble de la statique pelvienne : un prolapsus pelvien (cystocèle, hystéroptose, rectocèle), une pathologie tumorale.
S’il n’est pas fait depuis longtemps, un frottis cervico-vaginal complétera le bilan, d’autant plus s’il existe un prolapsus pelvien associé.
Les examens paracliniques
Nous n’en citerons que deux, à effectuer systématiquement : un ECBU pour éliminer une pathologie infectieuse pouvant favoriser les troubles de la continence, et une échographie vésicale avec mesure du résidu post-mictionnel pour éliminer un trouble de la vidange vésicale (résidu post-mictionnel).
PRISE EN CHARGE
Le premier temps de la prise en charge est la rééducation pelvi-périnéale
Si l’interrogatoire est clair chez une patiente sans antécédents pelviens, il convient de prescrire de la rééducation pelvi-périnéale en première intention en cas d’incontinence urinaire d’effort. Il n’est pas utile d’adresser au spécialiste pour cela.
En cas de doute diagnostique, de difficulté de caractérisation des fuites, d’antécédents pelviens, il convient d’adresser en revanche dès maintenant la patiente au spécialiste.
La rééducation périnéale peut être faite avec une sage-femme ou un kinésithérapeute spécialisé dans la statique pelvienne.
Le schéma traditionnel est une quinzaine de séances à un rythme généralement de deux par semaine. Deux techniques se valent : la technique manuelle (ce sont les doigts du praticien qui orientent les exercices de la femme pour apprendre à verrouiller et muscler le plancher périnéal) et la technique par sonde vaginale avec biofeedback associé le plus fréquemment. En cas de résultats satisfaisants, quelques séances supplémentaires peuvent être envisagées pour l’entretien.
Des sondes de renforcement périnéal peuvent être conseillées pour l’entretien périnéal en cas de résultats satisfaisants. Jamais en première intention, toujours en entretien.
Les traitements médicaux
L’incontinence urinaire d’effort ne se traite pas médicalement mais par rééducation périnéale.
Chez la femme ménopausée, une œstrogénothérapie locale est à proposer hors contre-indication (comme en cas d’antécédent personnel de cancer du sein). Même si les avis divergent, cette œstrogénothérapie locale permettrait d’améliorer la qualité du plancher pelvien et améliorerait les résultats de la rééducation.
Parmi les facteurs de risque précédemment cités, il conviendra de les traiter : traitement de la constipation (alimentation, hydratation, laxatifs au besoin), aide dans l’arrêt du tabac, contrôle du poids en cas d’obésité.
Quand passer la main au spécialiste ?
Le spécialiste en question sera soit l’urologue, soit le gynécologue. Il est souhaitable d’adresser la patiente en cas d’échec d’une rééducation pelvi-périnéale bien conduite avec une patiente toujours gênée dans son quotidien. Après la rééducation viendra la chirurgie, il faut donc une femme motivée pour cela.
Le bilan du spécialiste
L’interrogatoire et l’examen clinique restent fondamentaux. Ils seront identiques à ceux déjà détaillés. Le spécialiste se charge d’éliminer dans un premier temps les diagnostics différents : fistule vésicovaginale (post-traumatisme obstétrical principalement), incontinence urinaire sur urgenturies, troubles comportementaux avec hystérie, etc.
En cas d’incontinence urinaire mixte ou de douleurs pelviennes associées, le spécialiste proposera facilement la réalisation d’une cystoscopie pour ne pas méconnaître une pathologie autre (tumeur, inflammation, cystite interstitielle).
En cas d’incontinence urinaire d’effort pure, la cystoscopie n’est pas indiquée.
Quand et pourquoi un bilan urodynamique ?
L’examen urodynamique est un examen souvent pratiqué en cas de difficulté diagnostique ou dans le cadre d’un bilan préopératoire d’une incontinence urinaire d’effort. Il devient de plus en plus systématique.
Le bilan urodynamique permet de vérifier le mode mictionnel de la patiente (débitmétrie avec mesure du résidu post-mictionnel : recherche d’une dysurie et/ou d’un résidu post-mictionnel) et d’analyser le fonctionnement du sphincter urétral (profilométrie urétrale). Il permettra également d’évaluer la capacité vésicale.
Les indications du bilan urodynamique sont :
En cas de doute diagnostique, bilan préopératoire d’une incontinence urinaire d’effort, bilan d’une incontinence urinaire mixte avant chirurgie, récidive d’une incontinence après chirurgie.
Les solutions chirurgicales :
Différentes chirurgies peuvent être indiquées en fonction de l'identification précise du problème. Elles ne s’envisagent qu’en cas d’échec d’une rééducation périnéale bien conduite.
Depuis 2021, la pose de bandelettes sous-urétrales est soumise à une validation d’indication qui doit être faite en réunion pluridisciplinaire pelvi-périnéologie.
L’hypermobilité de l’urètre se corrige en contrant cette « bascule ». Il s’agit de l’indication unique des bandelettes sous-urétrales. Il en existe trois types : les rétro-pubiennes (TVT), les rétro-pubiennes ajustables (Remeex) et les trans-obturatrices (TOT, plus algogènes).
La bandelette permettra un bon soutien de l’urètre. Elle n’est jamais serrée, juste posée. Il s’agit de matériels synthétiques (polypropylène) posés par voie vaginale et sortis par des contre-incisions sus-pubiennes ou trans-obturatrices (voir croquis plus bas).
Les risques per-opératoires ou post-opératoires précoces liés à la pose de ces dispositifs sont principalement : les hématomes pelviens, la perforation vésicale, les douleurs post-opératoires, les rétentions d’urine.
À long terme, d’autres complications sont possibles : érosion vaginale, érosion urétrale, érosion intravésicale, développement d’un syndrome d’hyperactivité vésicale, récidive de l’incontinence urinaire.
L’insuffisance sphinctérienne se corrige non pas par bandelette mais par injection péri-sphinctérienne d’agent comblant (Bulkamid), par ballonnets péri-urétraux ou pose de sphincter urinaire artificiel. La prise en charge de l’insuffisance sphinctérienne est plus complexe. Le sphincter urinaire artificiel est l’indication de choix en cas d’incontinence majeure. Son indication sera malgré tout limitée en cas de difficulté d’utilisation (obésité, handicap physique, troubles cognitifs).
Pour plus de détails, des fiches d’informations diffusées par l’AFU (Association française d’urologie) destinées aux patientes sont disponibles en ligne sur le site urofrance.org.
CONCLUSION
Peu de femmes souffrant d’incontinence urinaire d’effort seront finalement opérées : l’axe principal de la prise en charge reste la rééducation périnéale. Celle-ci doit toujours être indiquée en première intention, même en l’absence de motivation de la patiente (pudeur, temps…).
Le caractère très intime de cette pathologie fait que son dépistage doit souvent être initié par le praticien. Osons en parler à nos patientes, osons en parler pour dédramatiser, pour que ce ne soit plus une fatalité.
Dr Solène Gardic (chirurgien urologue, Urogard à Nîmes)
BIBLIOGRAPHIE
1. Ballanger P. Épidémiologie de l’incontinence urinaire chez la femme. Procès en urologie (2005), 16, Supp. n°1, 1322-1333.
2. de Tayrac R, et al. Traduction française de la terminologie commune International Urogynecological Association (IUGA)/International Continence Society (ICS) sur les troubles de la statique pelvienne chez la femme initialement publiée dans Int Urogynecol J 2010;21(1): 5-26. Prog Urol (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.purol.2016.01.001
3. Eliasson K, Edner A, Mattsson E. Urinary incontinence in very young and mostly nulliparous women with a history of regular organised high-impact trampoline training: occurrence and risk factors, Int Urogynecol J Pelvic Floor Dysfunct, 19 (2008), pp. 687–69.
4. Faltin DL. Épidémiologie et définition de l’incontinence urinaire féminine, Volume 1527, Issue 18001, 12/2009, Pages 3-S255, ISSN 0368-2315, http://dx.doi.org/JGYN-12-2009-38-8S1-0368-2315-101019-200907730
5. Dominguez-Antuña, Eladio et al. « Prevalence of urinary incontinence in female CrossFit athletes: a systematic review with meta-analysis. » International urogynecology journal, 1–14. 30 May. 2022, doi:10.1007/s00192-022-05244-z
6. Richard F, Amarenco G. Le pad-test (test d’incontinence). Correspondances en pelvi-périnéologie n° 1, vol 1, mars 2001.
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