Stéphane, 61 ans, vient nous consulter en urgence car, dans un moment de découragement, il a absorbé l’équivalent d’une gorgée (approximativement 20 mg) d’un herbicide à base de paraquat (le Gramoxone).
Ce patient est paysagiste depuis plus de 40 ans, ce qui le conduit à stocker fréquemment des désherbants puissants (même ceux interdits à la vente).
À son arrivée, il nous dit qu’il regrette son geste, et il l’explique en raison d’une séparation difficile avec sa femme.
Sur un plan clinique, Stéphane se plaint d’une glossite et de brûlures au niveau du palais, manifestations qui font suite à son ingestion de paraquat. L’examen permet de retrouver au niveau du corps de la langue quelques ulcérations (photo). Le reste de l’examen clinique se révèle tout à fait satisfaisant.
INTRODUCTION
Le paraquat (dichlorure de 1,1’-Diméthyl-4,4’-bipyridinium) est un puissant herbicide commercialisé dans les années 1960.
Il agit au niveau de la photosynthèse des plantes en effectuant la destruction des fibres des plantes vertes lors d’un contact, propriété qui n’est pas modifiée par temps de pluie.
Par ailleurs, ce produit est réputé comme étant un puissant poison pour l’humain, avec une mortalité importante en cas d’ingestion conséquente.
Le paraquat a donc été retiré du marché européen en 2007.
Cependant, certaines personnes travaillant dans le milieu agricole (comme Stéphane) ont pu faire une réserve de cet herbicide.
Chez l’humain, la toxicité est due aux radicaux hydroxyles provenant de la régénération cyclique des dérivés réactifs de l’oxygène, action qui est responsable d’une peroxydation des lipides membranaires.
SYMPTOMATOLOGIE
La symptomatologie dépend de la dose ingérée :
- Dans le cas d’une intoxication massive (supérieure à 55 mg/kg), des manifestations de défaillances multiviscérales sont observées.
- En cas d'intoxication aiguë (entre 35 et 50 mg/kg), on objective des atteintes hépatiques, rénales, pulmonaires et/ou neurologiques.
- En cas d’intoxication subaiguë (inférieure à 30 mg/kg), les manifestations cliniques sont peu importantes (nausées ou diarrhées) mais des séquelles pulmonaires peuvent être mises en évidence.
Classiquement, à la suite d’une ingestion de paraquat, on observe des manifestations au niveau buccal dans 85 % des cas (escarres ou ulcérations de la langue, sensation de brûlure de la bouche), au niveau de l’œsophage (dysphagie, ulcérations œsophagiennes et, parfois, perforation à l’origine d’une médiastinite), au niveau rénal (nécrose tubulaire aiguë à l’origine d’une insuffisance rénale qui se caractérise par une anurie), au niveau hépatique (cytolyse hépatique), au niveau pulmonaire (alvéolite épithéliale, œdème pulmonaire non cardiogénique, et enfin une fibrose survenant très brutalement).
La gravité de l’atteinte pulmonaire apparaît quelques jours après l’intoxication, avec une hypoxie sévère à l’origine d’une détresse respiratoire.
Les manifestations neurologiques (syndrome extrapyramidal dans le cadre d’une maladie ou d’un syndrome parkinsonien) ne sont observées que dans les cas d’intoxications chroniques.
Par ailleurs, le paraquat inhalé peut donner des irritations des voies aériennes supérieures, des épistaxis.
Cet herbicide peut être, en cas de contact avec la peau et les phanères, à l’origine d'ulcérations cutanées et de chutes des ongles, et, en cas de contact ophtalmologique, provoquer un épiphora ou une conjonctivite.
PRISE EN CHARGE
Elle dépend de l’importance de l’intoxication.
En cas d’intoxication légère (20 mg/kg), on effectue un lavage gastrique et on a recours au charbon activé.
Pour les intoxications modérées (inférieures à 50 mg/kg), il est possible de recourir à la méthylprednisolone ou au cyclophosphamide.
Dans le cas d’une intoxication sévère, la prise en charge est complexe car le traitement par hémodialyse est souvent décevant du fait d’une diffusion tissulaire du paraquat qui rend très difficile son élimination. Le plus souvent, dans ce cas d’intoxication, le patient décède en moins de quatre jours du fait de complications multiviscérales.
Dr Pierre Frances (médecin généraliste à Banyuls-sur-Mer), Claire-Aimée Rinuy (interne en médecine générale à Montpellier), Oumnia Karim et Dania Tavakoli (externes à la faculté de médecine de Montpellier)
Bibliographie :
1. Allen SA, Gomez M, Boylan AM, et al. Paraquat poisoning: survival after oral ingestion. Journal of Family Medicine and Disease Prevention 2019; 5: 107.
2. Gawarammana IB, Buckley NA. Medical management of paraquat ingestion. British Journal of Clinical Pharmacology. 2011; 72: 745-57.
3. Deschamps F, Deschamps S. Les 150 principales maladies professionnelles et environnementales. Ed. Ellipses 2021.
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