Dr Emmanuel Cuzin (rédacteur, fmc@legeneraliste.fr) sous l’la responsabilité scientifique du Pr Yves Maugars (chef du service de rhumatologie, hopital Hôtel-Dieu. 5 rue Gaston-Veil. 44093 Nantes Cedex 1. Email : yves.maugars@chu-nantes.fr)
1 à 4 % des consultations de médecine générale concernent l'épaule. Contrairement à la hanche l’épaule vieillit par ses tendons et non par son articulation. Dans plus de 90 % des cas, la douleur non traumatique de l’épaule est due à une tendinopathie de la coiffe des rotateurs. Précision : le terme périarthrite scapulo-humérale doit être abandonné et remplacé par le terme conflit sous-acromial ou impingement syndrome.
RAPPEL ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE
= L’articulation de l’épaule comprend 4 articulations : l’articulation gléno humérale, les articulations sterno-claviculaire et acromio claviculaire et l’articulation scapulo thoracique.
=La coiffe des rotateurs est composée des tendons de 4 muscles auxquels on ajoute la portion intra-articulaire du tendon du long biceps : muscle sous scapulaire en avant (rotateur interne), sus épineux en haut (abducteur), sous épineux en arrière (rotateur externe), petit rond en arrière (rotateur externe) et long biceps (élévation antérieure) qui participe à la pathologie de la coiffe bien que n’appartenant pas à la coiffe proprement dite.
= Lors des mouvements de l’épaule, la coiffe des rotateurs glisse sous une voûte ostéoligamentaire inextensible (le défilé sous-acromial) formée essentiellement de l’acromion, de l’articulation acromioclaviculaire, du ligament acromiocoracoïdien et accessoirement de l’apophyse coracoïde. Cette voûte stabilise l’épaule, ce qui permet la rotation de la tête humérale (sans ascension).
=La diminution de l'efficacité de la coiffe entraîne un déséquilibre en faveur du deltoïde responsable de l’ascension de la tête humérale lors de l’élévation de l’épaule. La tête humérale vient alors "coincer" le tendon entre elle et la voûte acromiale, créant un phénomène inflammatoire du tendon par abrasion, une tendinopathie. ?
Ce phénomène est dénommé syndrome de conflit supérieur de coiffe ou impingement syndrome. Dans la plupart des cas il s’agit d’un conflit sous-acromial ou d’un conflit sous-acromio-claviculaire (1). D’autres conflits sont possibles, mais beaucoup plus rares.
= L’évolution de la tendinopathie suit des stades de gravité croissante :
- stade de début, irritation de la coiffe = douleur en fin de journée, parfois la nuit
- stade d’inflammation chronique = douleurs en fin de journée, la nuit souvent insomniantes, parfois la journée
- stade de coiffe fragilisée susceptible de se rompre même sur un traumatisme minime ou un effort de soulèvement = douleurs quasi permanentes, fréquente perte de force musculaire si la coiffe est rompue
=Au total : l’épaule douloureuse est au départ une épaule par surcharge tendineuse, une tendinopathie de surcharge. Cette surcharge tendineuse est constamment présente à l’interrogatoire qu’elle soit d’origine professionnelle, sportive ou liée aux activités quotidiennes.
LA DOULEUR EST LE MOTIF DE CONSULTATION LE PLUS FRÉQUENT
La localisation de la douleur par la palpation ne permet pas de préciser la topographie des lésions, sauf pour l’articulation acromio-claviculaire. La douleur est le plus souvent antéro-externe sur le moignon de l’épaule. Elle peut irradier vers le bras (coude, main) et en arrière vers le trapèze et elle est déclenchée par la mobilisation de l’épaule. Les réveils nocturnes et l’impossibilité de se coucher sur l’épaule atteinte sont fréquents. Comme souvent, il n’existe pas de corrélation anatomo-clinique entre le handicap fonctionnel et la gravité de l’atteinte anatomique. L’épaule a une mobilité réduite. En cas de rupture partielle ou totale de la coiffe, la force du bras est diminuée. Lorsque la rupture est étendue, l’élévation du membre supérieure n’est plus possible.
La douleur entraîne une impotence variable depuis une simple fatigabilité à l’effort jusqu’à la véritable épaule pseudo-paralytique en élévation ou à la perte complète de la force des rotateurs externes : signe du clairon (pour porter la main à la bouche, le patient devra élever le coude au-dessus de l’horizontal, prenant ainsi la position d’un joueur de clairon.).
L’EXAMEN CLINIQUE PERMET LE DIAGNOSTIC (3)
L’examen comprend l’interrogatoire, l’inspection/palpation, l’examen des amplitudes passives et actives, la recherche d’un conflit de la coiffe et le testing des muscles de la coiffe.
À l’inspection, la présence d’une amyotrophie des fosses sus et sous-épineuse signe une rupture étendue et ancienne de la coiffe. L’existence d’une saillie acromio-claviculaire dont la palpation déclenche éventuellement une douleur témoigne d’une arthrose acromio-claviculaire déjà évoluée.
L’examen clinique rigoureux comparatif associé si besoin aux radiographies standards permet généralement d’établir le diagnostic. Réalisé de façon minutieuse il permet d’éviter les examens complémentaires inutiles et de proposer la prise en charge la mieux adaptée. L’examen clinique de l’épaule comprend différentes manœuvres de base qui évaluent la mobilité active et passive de l’articulation
Évaluation de la mobilité
La mobilité active est évaluée sur l’abduction de l’épaule (élévation latérale), la rotation externe (manœuvre main-nuque) et la rotation interne (manœuvre main-dos).
La mobilité passive est testée en élévation latérale, en élévation antéro-externe, en rotation externe et interne coude collé au corps
Une mobilité active peut être réduite à cause : d’une capsulite ou d’une rupture de la coiffe, mais aussi de la douleur.
Une mobilité passive normale et une mobilité active réduite orientent vers une rupture de la coiffe des rotateurs (3).
Face à une limitation des mobilités active et passive, la radiographie permet de distinguer la capsulite rétractile où la radiographie est normale, de la destruction gléno-humérale où il existe des anomalies radiologiques.
Les signes de souffrance
Les signes de souffrance de la coiffe ou recherche de signes de conflit sont sensibles mais peu spécifiques de la localisation lésionnelle.
- Le signe de Neer se recherche par l’élévation antérieure passive de l’épaule main en pronation, tout en bloquant la rotation de l’omoplate. Il est positif si la douleur apparaît entre 60 et 120° d’élévation antérieure (accrochage douloureux). Le contre-test main en supination ne déclenche pas d’accrochage douloureux.
- Le signe de Hawkins se recherche bras à 90° d’élévation antérieure, coude fléchit à 90°, en imprimant un mouvement de rotation interne en appuyant sur le poignet vers le bas. Si le patient ressent une douleur qu’il reconnaît, le signe est positif.
Les tests d’évaluation de la force de chaque muscle
Cette évaluation est réalisée contre résistance
- Le test de Job teste le sus-épineux. Face au patient, l’examinateur met les bras du patient dans le plan de l’omoplate à 90° d’abduction et en rotation interne (bras en croix à 30 ° vers l’avant), pouce vers le sol. Le patient s’oppose à la pression descendante de l’examinateur. La présence d’une douleur témoigne d’une tendinite, une diminution de la force témoigne d’une rupture probable (partielle ou totale) du sus-épineux (sensibilité 77 à 95 %, spécificité 65 à 68 %).
- Le palm up test évalue le tendon du long biceps. Le bras est tendu en avant face vers le haut l’examinateur s’opposant à l’élévation du bras. L’existence d’une douleur révèle la tendinopathie. L’existence d’une tuméfaction à la partie moyenne du bras signe la rupture du tendon du long biceps.
- Le sous-épineux est évalué coude au corps fléchi en s’opposant à la rotation externe demandée au patient. Une perte de force en rotation externe coude au corps atteste d’une rupture du sous épineux.
- Le sous scapulaire est évalué par la manœuvre de Gerber ou lift off, main dans le dos au niveau de la ceinture poing fermé. Normalement, le patient peut écarter la main du plan du dos et en cas de rupture, la main reste « collée » aux lombes.
4 tableaux cliniques
L’examen clinique permet de distinguer 4 tableaux cliniques élémentaires
- une tendinopathie ou épaule douloureuse simple : les mobilités actives et passives sont normales, mais la mobilité active peut être réduite par la douleur. La tendinopathie est accompagnée une fois sur six d’une calcification qui entraine parfois des épisodes hyperalgiques (voir encadré)
- une épaule pseudo-paralytique due à une rupture de la coiffe les mobilités actives sont nettement réduites alors que la mobilité passive est normale et l’examen neurologique aussi.
- une épaule gelée ou bloquée liée à une capsulite rétractile si les radiographies sont normales : les mobilités actives et passives sont très réduites
- une épaule hyperalgique liée à une tendinopathie calcifiante (voir encadré).
QUELLE EST LA PLACE DE L’IMAGERIE ?
-› Les radiographies standards sont souvent indispensables. 5 incidences sont nécessaires : de face stricte en position neutre, en rotation interne, en rotation externe, un profil de Lamy (profil sous acromial), une incidence de Leclerc (face en abduction active contrariée) qui est surtout utile en cas de suspicion de rupture. La mesure de la hauteur de l’espace sous-acromial (ESA) est effectuée sur un cliché de face en rotation neutre. Elle doit être › 7 mm, en deçà une rupture transfixiante de la coiffe supérieure est certaine. La radiographie permet également de mettre en évidence l’existence de calcifications.
-› L’échographie a révolutionné la prise en charge des épaules douloureuses difficiles. Elle affirme précisément le diagnostic lésionnel et en guidant le traitement.
-› Les examens comportant une injection intra-articulaire (arthroscanner) sont du domaine du spécialiste et sont demandés dans les bilans préchirurgicaux.
En préopératoire, les chirurgiens peuvent lui préférer une IRM non irradiante et sans injection.
LA PRISE EN CHARGE INITIALE EST MEDICALE
Le traitement initial est toujours médical. Il comprend physiothérapie associée idéalement à une balnéothérapie et d’éventuelles infiltrations.
-› Si la tendinopathie est d’origine professionnelle, il est impératif de se mettre en relation avec le médecin du travail. L’épaule douloureuse est en effet la deuxième cause de maladie professionnelle indemnisée.
Un traitement chirurgical peut être discuté, en cas de résistance au traitement médical bien conduit pendant 3 à 6 mois mois.
-› L’articulation ne doit être épargnée en évitant toute activité de force durant au moins 6 semaines. En cas de poussée douloureuse, des médicaments antalgiques et des AINS sont prescrits au maximum pendant 15 jours.
-› Les infiltrations de corticoïdes sont indiquées en cas d’échec du traitement médical. En cas d’échec d’une infiltration à l'aveugle, une seconde infiltration échoguidée avec précision est réalisée. En cas d’échec de cette dernière, une troisième infiltration n'est pas justifiée. L’épaule ne doit être soumise à aucune activité de force après l’infiltration pour éviter la rupture liée à la reprise de l’activité. Le patient, qui n’a plus mal, pense à tort que son épaule est guérie et qu’il peut de nouveau forcer.
-› La physiothérapie est réalisée après la phase aiguë, elle est idéalement associée à la balnéothérapie qui supprime la pesanteur. Elle est axée sur le travail des abaisseurs de l’épaule pour les renforcer et recentrer la coiffe. Elle poursuit différents objectifs : entretenir la souplesse de l’épaule pour prévenir l’apparition d’une capsulite rétractile, soulager la douleur, apprendre les mouvements à faire (décoaptation de l’espace sous acromial) et à éviter. Elle permet ensuite un réentraînement à l’effort associée à une rééducation proprioceptive. La rééducation contre résistance des muscles longs du bras est contre-indiquée car elle aggrave la situation.
-› La chirurgie est réservée aux situations résistantes au traitement médical bien conduit. Elle est pratiquée soit à ciel ouvert soit sous arthroscopie. Son objectif est la décompression de l’espace sous-acromial ou la réparation de la coiffe. La rupture de la coiffe d’origine dégénérative est toujours traitée médicalement au départ. La rééducation post-chirugicale est primordiale pour le succès opératoire. Il faut prévenir les patients que cette rééducation est longue et difficile, la récupération de la fonctionnalité demande au moins une année.
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