Cardiovasculaire

RISQUES CV : LES DIFFÉRENCES HOMME/FEMME

Publié le 18/09/2020
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De nombreux travaux ont déjà été menés sur les différences de risque CV selon le genre : sur l’incidence et la prévalence de ces affections, leur prise en charge, etc. L’originalité d’une étude colossale publiée récemment dans The Lancet est d’avoir comparé les risques CV entre les hommes et les femmes dans 27 pays. Pour un point de vue exhaustif.

Crédit photo : HOWARD GEORGE/SPL/PHANIE

Différences entre les femmes et les hommes sur le risque cardiovasculaire, les traitements préventifs, l’incidence des maladies cardiovasculaires et des décès dans 27 pays à haut, moyen et faible revenus (PURE) : étude de cohorte prospective
Variations between women and men in risk factors, treatments, cardiovascular disease incidence, and death in 27 high-income, middle-income, and low-income countries (PURE) : a prospective cohort study
Walli-Attaei M, Joseph P, Rosengren A & al. Lancet 2020;396:97-109. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30543-2.


CONTEXTE

Plusieurs études observationnelles, principalement conduites dans des pays à haut revenu, ont suggéré que les femmes avaient un risque cardiovasculaire (RCV), une incidence et une prévalence des maladies et des décès cardiovasculaires inférieurs à ceux des hommes (1, 2). D’autres études ont montré que les femmes étaient moins bien prises en charge que les hommes en termes d’explorations cliniques, de suivi et de traitement (3), ce qui aboutissait à un moins bon pronostic après un événement coronaire (4), voire à une surmortalité (5). Ces études ont été majoritairement conduites chez des patients suivis en soins tertiaires (hôpital) dans des pays riches, et il n’y avait pas d’étude de même nature menée en population générale (soins primaires), en particulier dans les pays à revenu moyen ou faible, qui sont les patries de la majorité des pathologies et décès cardiovasculaires dans le monde (6).

OBJECTIFS

Décrire les différences observées entre les femmes et les hommes en termes de RCV (en prévention primaire), de traitements prescrits, d’explorations paracliniques, de prise en charge, d’incidence des évènements cardiovasculaires et des décès (cardiovasculaires et toutes causes) dans 27 pays considérés à haut, moyen et faible revenus.

MÉTHODE

Étude prospective de cohorte conduite dans 4 pays à haut revenu, 17 à revenu moyen et 6 à faible revenu, répartis dans 8 régions du monde : Amérique du Nord-Europe, Amérique du Sud, Moyen-Orient, Chine, Asie du Sud-Est, Asie du Sud (Inde, Pakistan, Bangladesh), Afrique et Asie centrale-Russie. Les sujets ont été recrutés dans des communautés urbaines et rurales bénéficiant de professionnels de soins primaires. Ils devaient être âgés de 35 à 70 ans à l’inclusion et susceptibles d’être suivis à long terme afin de constituer un échantillon représentatif de la prévalence des pathologies et des décès de la population nationale de chacun des pays. Les données biologiques et cliniques ont été collectées de façon standardisée, y compris les causes de décès. Les critères de jugement pour les comparaisons femmes/hommes étaient le RCV (en prévention primaire) évalué par l’équation de Framingham (7) et le score InterHeart (8), un critère clinique composite appelé « évènements CV majeurs » constitué des décès CV, infarctus du myocarde (IDM), accidents vasculaires cérébraux (AVC), insuffisances cardiaques, et autres évènements CV majeurs. Les critères secondaires étaient la mortalité totale et chacun des composants du critère de jugement principal composite. L’analyse statistique, ajustée sur le genre, l’âge, le centre recruteur, les médicaments prescrits et le niveau d’éducation, a été effectuée sur la totalité de la cohorte, puis selon les trois niveaux économiques des groupes de pays, et par région géographique à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel multiniveaux. Les résultats sont exprimés en Hazard Ratio ajusté (HRa) avec un intervalle de confiance à 95 %.

RÉSULTATS

Entre janvier 2005 et mai 2019, 202 072 personnes – 119 799 femmes (59,3 %) et 82 273 hommes – ont été recrutées et évaluées tous les 3 ans pendant une durée médiane de 9,5 ans. L’âge moyen des femmes à l’inclusion était de 50,8 ans et celui des hommes de 51,7 ans.
Sur la totalité de la cohorte, les femmes en prévention primaire avaient un RCV ajusté à 10 ans évalué par le score InterHeart significativement inférieur à celui des hommes : 8,44 % versus 11,44 % (p < 0,0001). Selon l’équation de Framingham, 10,5 % des femmes avaient un risque CV à 10 ans ≥ 20 %, vs 37,3 % des hommes (p < 0,0001). Ces différences femmes/hommes persistaient quel que soit le niveau économique du pays ou la région géographique. Les stratégies de prévention primaire comme les modifications du mode de vie et la prescription de médicaments ayant fait la preuve de leur efficacité étaient significativement plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. Toujours en prévention primaire, l’incidence de survenue d’un premier évènement cardiovasculaire ou de décès pour 1 000 personnes/année était significativement plus faible chez les femmes que chez les hommes : réductions relatives respectives de 25 %, HRa = 0,75 (IC95 % = 0,72-0,79) et de 38 %, HRa = 0,62 (IC95 % = 0,60-0,65), quel que soit le niveau économique ou la région.
À l’inverse en prévention secondaire, la prescription de médicaments ayant fait la preuve de leur efficacité, les explorations paracliniques et les revascularisations coronaires étaient significativement moins fréquentes chez les femmes que chez les hommes dans les trois groupes économiques de pays. Les femmes étaient beaucoup moins souvent revascularisées, en particulier dans les pays riches : HRa = 0,29 (IC95 % = 0,22-0,40). Malgré cela, les femmes avaient significativement moins d’évènements CV cliniques pour 1 000 patients/année : HRa = 0,73 (IC95 % = 0,64-0,83), et une mortalité 30 jours après un événement CV inférieure à celle des hommes (22 % vs 28 %, p < 0,0001). Les différences entre les hommes et les femmes sur tous ces critères ont été observées dans les trois niveaux économiques de pays mais elles étaient plus marquées dans le groupe de pays à bas revenu, que ce soit en prévention primaire ou en prévention secondaire.

COMMENTAIRES

Ce travail pharaonique piloté par Salim Yusuf, star internationale de l’épidémiologie cardiovasculaire, et financé par le système de santé de l’Ontario (Canada), montre que les stratégies validées de prévention CV sont mieux appliquées chez les femmes que chez les hommes en prévention primaire, et que c’est l’inverse en prévention secondaire. Malgré cela, le pronostic clinique (évènements CV et décès) est meilleur chez les femmes, que ce soit en prévention primaire ou secondaire, ce qui diffère des données connues de la science à ce jour (5). Les quatre pays à haut revenu étaient le Canada, la Suède, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. Les six pays à revenu faible étaient l’Inde, le Bangladesh, le Pakistan, le Pérou, la Tanzanie et le Zimbabwe. Comme cela était prévisible, les performances positives de la prévention étaient moins marquées dans les pays à faible revenu. Sur le critère mortalité cardiovasculaire et totale, la plus petite différence entre les genres a été observée dans les pays riches et la plus grande dans les pays pauvres, ce qui enjoint à une simplification et une réduction des coûts des médicaments préventifs, comme cela a été montré dans les essais ayant testé la « polypill » en Inde (9) et en Iran (10), chère au premier auteur de cette magnifique et périlleuse étude de cohorte.
Ces données épidémiologiques internationales très solides n’ont pas vraiment d’impact sur les pratiques de médecine générale en France (pays considéré comme riche). Si les femmes en prévention primaire sont plus observantes sur les modifications du mode de vie et les médicaments (ce qui, au-delà de leur genre, explique probablement leur plus faible risque CV), il ne faut pas négliger leur prise en charge quand elles passent du simple risque CV en prévention primaire au très haut risque en prévention secondaire après un premier événement cardiovasculaire clinique.

Bibliographie

1. Roth GA, Johnson C, Abajobir A, & al. Global, regional, and national burden of cardiovascular diseases for 10 causes, 1990 to 2015. J Am Coll Cardiol 2017;70:1-25.
2. Bots SH, Peters SAE, Woodward M. Sex differences in coronary heart disease and stroke mortality: a global assessment of the effect of ageing between 1980 and 2010. BMJ Glob Heal 2017;2:1-8.
3. Peters SA, Woodward M, Jha V, & al. Women’s health: a new global agenda. BMJ Glob Heal 2016;1:1-8.
4. Pagidipati NJ, Peterson ED. Acute coronary syndromes in women and men. Nat Rev Cardiol 2016;13:471-80.
5. Benjamin EJ, Muntner P, Alonso A, et al. Heart disease and stroke statistics-2019 update: a report from the American Heart Association. Circulation 2019;139:e526-28.
6. Benziger CP, Roth GA, Moran AE. The global burden of disease study and the preventable burden of non-communicable diseases. Glob Heart 2016;11:393-7.
7. D’Agostino RB, Vasan RS, Pencina MJ, & al. General cardiovascular risk profile for use in primary care the Framingham heart study. Circulation 2008;117:743-53.
8. McGorrian C, Yusuf S, Islam S, & al. Estimating modifiable coronary heart disease risk in multiple regions of the world: the INTERHEART modifiable risk score. Eur Heart J 2011;32:581-90.
9. The Indian Polycap Study. Effects of a polypill on risk factors in middle-aged individuals without cardiovascular disease: a phase II, double-blind, randomized trial. Lancet 2009;373:1341-51.
10. Roshandel G, Khoshnia M, Poustchi H & al. Effectiveness of polypill for primary and secondary prevention of cardiovascular diseases (PolyIran): a pragmatic, cluster-randomized trial. Lancet 2019;394:672-83.

Dr Santa Félibre (généraliste enseignant, Paris)

Source : lequotidiendumedecin.fr