Cardiologie

UNE NOUVELLE APPROCHE POUR LES PATIENTS À RISQUE CV INTERMÉDIAIRE

Publié le 03/06/2016
Chez ces patients, une dose modérée de statine réduit de 25% la mortalité cardio-vasculaire. Et de 30% en y associant des antihypertenseurs.
RCV

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Crédit photo : PIXOLOGICSTUDIO/SPL/PHANIE

Réduction de la pression artérielle et du cholestérol chez les sujets indemnes de maladie cardiovasculaire
Yusuf S, Lonn E, Pais P, and the HOPE-3 investigators. Blood-Pressure and Cholesterol Lowering in Persons without Cardiovascular Disease. N Engl J Med DOI: 10.1056/NEJMoa1600175 ; DOI: 10.1056/NEJMoa1600176 ; DOI: 10.1056/NEJMoa1600177

CONTEXTE

La majorité des événements CV survient chez les sujets en prévention primaire à risque cardio-vasculaire intermédiaire (1). Comme ces sujets constituent une population beaucoup plus importante que les patients à haut risque ou ceux en prévention secondaire, une stratégie d’intervention médicamenteuse modérée pourrait apporter un bénéfice clinique populationnel substantiel (2). Ces considérations argumentent le concept de « polypill » qui postule qu'une intervention pharmacologique à posologie modérée en population générale chez des patients à risque intermédiaire indemnes de maladie CV serait susceptible de réduire la morbimortalité CV (3).

OBJECTIF

Évaluer l'effet d’une faible dose d'antihypertenseurs ou/et d’une dose modérée de statine sur les événements CV dans une population générale de sujets en prévention primaire à risque intermédiaire.

MÉTHODE

Essai randomisé en double insu en plan factoriel 2x2 d’une durée médiane de 5,6 ans.

> Pour être inclus, les patients devaient avoir ≥ 55 ans pour les hommes et ≥ 60-65 ans pour les femmes et au moins une des 5 caractéristiques suivantes :
un rapport tour de taille/tour de hanche ≥ 0,85 pour les femmes et ≥ 0,90 pour les hommes ; une consommation de tabac actuelle ou au cours des 5 dernières années ; un HDL-c < 0,39 g/L pour les hommes ou < 0,50 g/L pour les femmes ; une « dysglycémie » (intolérance au glucose ou diabète non pharmacologiquement traité) ; une histoire familiale d’événement cardio-vasculaire précoce. Les patients en prévention secondaire ou ayant une indication à un traitement antihypertenseur ou hypolipémiant ou diabétiques pharmacologiquement traités n'ont pas été inclus.

> Après une période de run-in en simple insu pour s'assurer de la tolérance des médicaments à l’essai, les sujets ont été randomisés pour recevoir soit une association candésartan 16 mg/hydrochlorothiazide 12,5 mg (Cand/HTZ) ou un placebo, soit 10 mg de rosuvastatine (Rosu10) ou un placebo, soit les deux principes actifs associés ou un double placebo.

Le premier co-critère de jugement principal était composé de l’incidence des décès cardiovasculaires, des infarctus du myocarde (IdM) et des AVC non fatals. Le second co-critère de jugement comprenait les mêmes composants plus l'incidence de l'insuffisance cardiaque, des arrêts cardiaques et des revascularisations. L'analyse statistique a été faite en stricte intention de traiter à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel aléatoire. Les résultats sont présentés en risque relatif (RR) avec un intervalle de confiance à 95 %.

RÉSULTATS

12 705 participants ont été randomisés. 6 356 ont reçu Cand/HTZ comparé à 6 349 recevant un placebo, 6 361 ont reçu Rosu10 comparé à 6 344 recevant un placebo, et 3 180 ont reçu Cand/HTZ+Rosu10 comparé à 3 168 recevant un double placebo.

 

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Cand/HTZ vs placebo

Les caractéristiques des patients randomisés dans ces deux groupes étaient similaires à l’inclusion. Les patients étaient âgés en moyenne de 65,7 ans (54 % d’hommes). La PA moyenne était de 138/82 mmHg et 38 % d’entre eux étaient hypertendus dont 21,9 % déjà traités. Le LDL-c moyen était à 1,28 g/L et la glycémie à jeun à 0,95 g/L. Le rapport tour de taille/tour de hanche moyen était à 0,94.

Au cours de l’essai, la réduction moyenne de la PAS a été de 10 mmHg dans le groupe Cand/HTZ vs 4 mmHg dans le groupe placebo (différence absolue = 6 mmHg). Dans le groupe placebo, le risque CV était 7,9 % à 10 ans.

Il n’y a pas eu de différence entre les deux groupes sur le premier co-critère principal (p = 0,40), ni sur le second (p = 0,51). En revanche dans le sous-groupe préspécifié des patients dont la PAS était ≥ 143,5 mmHg à l’inclusion (moyenne 154/90 mmHg), il y a eu une différence significative entre les deux groupes sur le premier co-critère principal : RR = 0,73 ; IC95 % = 0,56-0,94 (NNT 5,6 ans = 59) et sur le second : RR = 0,76 ; IC95 % = 0,60-0,96 (NNT = 56).

En termes d'effets indésirables conduisant à l’arrêt du traitement, il n’y a pas eu de différence entre les groupes, sauf pour les hypotensions symptomatiques (3,4 % vs 2,0 %, p = 0,003, NNH = 72).
En conclusion, dans cette population à risque CV intermédiaire, l’association Cand/HTZ n'était pas supérieure au placebo, sauf chez les patients dont la PAS à l’inclusion était ≥ 143,5 mmHg.

Rosu10 vs placebo

Les caractéristiques des patients randomisés dans ces deux groupes étaient comparables à l'inclusion et similaires à celles de la randomisation précédente. 47 % des patients avaient 2 facteurs de risque en plus de l'âge et 24 %, 3 ou plus. Au cours de l'essai, la différence moyenne de LDL-c entre les deux groupes a été de 0,35 mg/L (p < 0,001). Dans le groupe placebo, le risque CV était de 8,5 % à 10 ans.

Il y a eu une différence significative sur le premier co-critère principal en faveur du groupe Rosu10 : RR = 0,76 ; IC95 % = 0,64-0,91 (NNT = 91), ainsi que sur le second : RR = 0,75 ; IC95 % = 0,64-0,88 (NNT = 73).

En termes d'effets indésirables conduisant à l’arrêt du traitement, il n’y a pas eu de différence entre les groupes. Il y en a eu une sur les douleurs et les plaintes pour faiblesse musculaire (5,8 % vs 4,7 %, p = 0,005, NNH = 91).

En conclusion, dans cette population à risque CV intermédiaire, 10 mg de rosuvastatine ont significativement réduit le risque relatif des événements cardiovasculaires d'environ 25 %.

Cand/HTZ+Rosu10 vs double placebo

Les caractéristiques des patients à l’inclusion étaient les mêmes que lors des deux précédentes randomisations et comparables entre ces deux groupes. Au cours de l'essai, la différence moyenne de PAS a été de 6,2 mmHg en faveur du groupe traitement actif, et celle de LDL-c de 0,34 g/L, (similaires aux différences précédentes).

Le risque cardio-vasculaire du groupe double placebo était de 10 % à 10 ans.
Il y a eu une différence significative sur le premier co-critère principal en faveur du groupe Cand/HTZ+Rosu10 : RR = 0,71 ; IC95 % = 0,56-0,90 (NNT = 72) ainsi que sur le second : RR = 0,72 ; IC95 % = 0,57-0,89 (NNT = 63). Dans une analyse non préspécifiée prenant uniquement en compte les patients ayant une PAS ≥ 143,5 mmHg à l’inclusion le risque relatif sur le premier co-critère était de 0,59 ; IC95 % = 0,40-0,85 avec un p d’interaction non significatif (0,19).

Enfin en comparant les groupes Rosu10 seul vs Cand/HTZ seul, il n'y a pas eu de différence significative sur le premier co-critère principal, mais il y en a eu une toute petite en faveur de Rosu10 sur le second : RR = 0,79 ; IC95 % = 0,64-0,99, p = 0,04.
En termes d'effets indésirables graves ou conduisant à l’arrêt du traitement, il n'y a pas eu de différence entre les groupes.

En conclusion, dans cette population à risque CV intermédiaire, 10 mg de rosuvastatine associés à candésartan 16 mg + hydrochlorothiazide 12,5 mg ont significativement réduit le risque relatif des événements cardiovasculaires d’environ 30 %.

COMMENTAIRES

Le concept de « polypill » était à l’origine voué aux pays en voie de développement (4). Il était basé sur l'idée qu’une association de plusieurs principes actifs à doses modérées dans un seul comprimé pour des millions de sujets à risque CV intermédiaire (pauvres et faciles à identifier) était susceptible de réduire la morbidité CV avec une sécurité d'emploi très acceptable et à un coût supportable pour eux. Dans cette population, même si la quantité d'efficacité de l'intervention n'est pas très importante, appliquée à des millions de sujets, elle apporterait un bénéfice populationnel considérable.

> Il y a deux raisons de s’attarder longtemps sur le programme d’essais HOPE-3.

La première tient à l'élégance du design qui  n'a d'égale que la rigueur de la méthode, des analyses et du contenu des trois publications. La seconde est encore plus importante. Elle tient à la population incluse dans ce programme, c’est-à-dire des hommes ≥ 55 ans ou des femmes ≥ 60-65 ans en prévention primaire à risque intermédiaire (10 % à 10 ans) indemnes de diabète de type 2 ou d’hypercholestérolémie. L’âge associé à un seul des cinq critères d’inclusion suffisait pour participer. La prévalence de ces sujets est très importante en médecine générale, et aucun traitement médicamenteux n'est spécifiquement indiqué chez eux aujourd’hui.

> La non-significativité de l'effet de l’association Cand/HTZ est probablement liée à la faible posologie comme en témoignent les 6 mmHg de différence de PAS entre les deux groupes.

Dans SPRINT, la différence de PAS de 15 mmHg entre les groupes a entraîné une réduction significative de la mortalité CV et totale (5). Enfin, l’effet clinique de la statine dans cette population est identique à celui observé dans la méta-analyse chez les sujets à bas risque CV (6). Autrement dit, la prescription d’une statine doit être déterminée par l’évaluation du risque CV individuel et non par le taux de LDL-c.

En pratique, dans une population à risque intermédiaire (la clinique suffit pour évaluer le risque CV de ces sujets), l’instauration d’une statine, quel que soit le taux de LDL-c (associée à un antihypertenseur à posologie modérée si PAS > 143 mmHg) a un réel bénéfice en termes de prévention des événements CV. À côté des interventions sur le mode de vie de ces sujets, les laisser sans traitement peut les exposer à une perte de chance.

 

Dr Santa Félibre (médecin généraliste enseignant)

Source : lequotidiendumedecin.fr