Réduction de la mortalité liée au cancer du poumon par tomodensitométrie de dépistage dans un essai randomisé.
Reduced Lung-Cancer Mortality with Volume CT Screening in a Randomized Trial de Koning HJ, van der Aalst CM, de Jong PA & al.N Engl J Med 2020 ; 382 : 503-13.
https://doi.org/10.1056/NEJMoa1911793
CONTEXTE
Le cancer bronchopulmonaire (CBP) compte pour 18,4 % de tous les décès liés aux cancers dans le monde, soit davantage que ceux du sein, du colon et du col utérin réunis, pour lesquels il existe de nombreux programmes de dépistages organisés (1). Seulement 15 % des patients atteints de CBP survivent 5 ans après le diagnostic, car plus de 70 % d’entre eux sont identifiés à un stade avancé et/ou métastatique (2), souvent au-delà des ressources thérapeutiques disponibles, même si l’efficacité de ces dernières s’améliore.
Basées sur les données scientifiques, et surtout sur les résultats de l’essai NLST (3) publié en 2011 avec des résultats d’extension (4) en 2019, les sociétés savantes états-uniennes préconisent (5, 6) le dépistage des sujets à risque à l’aide d’une tomodensitométrie (TDM) thoracique à faible dose. Sur les mêmes données de la science, d’autres pays, la France (7), le Royaume-Uni et l’Australie par exemple, ont choisi de ne pas le recommander. Les principaux motifs avancés par ces derniers sont le faible bénéfice observé dans l’essai NLST : 320 sujets à dépister tous les ans pendant trois ans pour éviter un décès par CBP (3) au regard d’une exposition radioactive répétée potentiellement délétère, et surtout d’un taux de faux positifs de 96,4 % entraînant un nombre considérable d’explorations complémentaires invasives (bronchoscopies) inutiles.
OBJECTIFS
Évaluer la performance d’un dépistage du CBP par TDM thoracique itérative à faible dose chez des sujets fumeurs (ou anciens fumeurs) à haut risque.
MÉTHODE
Essai randomisé conduit aux Pays-Bas et en Belgique ayant comparé des sujets inclus dans un programme de dépistage vs des témoins non dépistés. Les critères d’inclusion étaient les sujets volontaires (83,6 % d'hommes) âgés de 50 à 74 ans, fumeurs (> 15 cigarettes/j pendant plus de 25 ans ou > à 10 cigarettes/j pendant plus de 30 ans) ou anciens fumeurs sevrés depuis ≤ 10 ans avec la même quantité de paquets/année. Les sujets randomisés dans le groupe dépistage ont été invités à faire quatre scanners à faible dose dans les centres investigateurs : à la randomisation, puis 1 an, 3 ans et 5,5 ans après. L’interprétation des images était centralisée. Le dépistage était considéré comme positif si le nodule pulmonaire était > 50 mm3 ou son temps de doublement compris entre 400 et 600 jours.
Le critère de jugement principal était la mortalité par CBP chez les hommes. Le premier critère de jugement secondaire était l’incidence du CBP dans chaque groupe. Les causes de décès ont été extraites des registres nationaux néerlandais et belges, puis confirmées par un comité d’experts indépendants en insu du groupe alloué. Pour démontrer une différence relative de 25 % sur le critère principal entre les groupes, avec une puissance de 90 % et un risque µ unilatéral = 0,05, il fallait inclure 17 300 sujets, suivis au minimum pendant 10 ans avec 95 % d’adhérence au protocole dans le groupe dépisté, et 5 % de contamination dans le groupe témoin (sujets ayant fait une TDM, quelle qu’en soit l’indication). L’analyse statistique a été faite en intention de traiter (ITT) selon la méthode de Poisson dans la population masculine, puis dans le sous-groupe féminin. Les résultats sont présentés en taux de diagnostic de CBP et de décès attribué pour 1 000 patients/année et en risque relatif (RR) avec un intervalle de confiance à 95 %.
RÉSULTATS
Entre 2003 et 2006, 15 792 sujets (hommes et femmes) ont été randomisés et 6 583 hommes ont été alloués au groupe dépistage et 6 612 au groupe témoin. Leurs caractéristiques étaient similaires à l’inclusion : âge = 58 ans, consommation médiane de tabac = 38 paquets/année, 44,9 % d’entre eux étaient sevrés depuis ≤ 10 ans. 90 % de ces sujets ont eu au moins 1 TDM, 87,6 % en ont eu trois, et 66 % ont eu les quatre. Au total, 467 des 22 600 TDM (2,1 %) ont révélé une anomalie nécessitant des explorations complémentaires aboutissant à 203 diagnostics de CBP : valeur prédictive positive (VPP) du scanner = 43,5 %, et 1,2 % de faux positifs (n = 264).
Au cours des 10 ans de suivi, Il y a eu 5,58 cas de CBP diagnostiqués pour 1 000 patients/année (n = 341) dans le groupe dépisté et 4,91/1 000 patients/année (n = 304) dans le groupe témoin : HR = 1,14 ; IC95 = 0,97-1,33. Au moment du diagnostic, le CBP était de stade 1A ou 1B dans plus de 65 % des cas dans le groupe dépisté, et de stade III ou IV dans 70 % des CBP dans le groupe témoin.
Après 10 ans de suivi, le statut vital était connu pour 98 % des 13 195 hommes inclus. Sur le critère de jugement principal, il y a eu 156 décès liés au CBP dans le groupe dépisté et 206 dans le groupe témoin, soit 2,5 décès pour 1 000 patients/année vs 3,30 : HR = 0,76 ; IC95 % = 0,61-0,94, p = 0,001. Cette différence significative était visible dès la huitième année post-randomisation. Il y avait également une tendance à la réduction de la mortalité par CBP dans le sous-groupe de 2 594 femmes randomisées dans cet essai : HR = 0,67, IC95 % = 0,38-1,14. Enfin, il n’y a pas eu de différence entre les groupes sur la mortalité totale : HR = 1,01 ; IC95 % = 0,92-1,11.
COMMENTAIRES
Cet essai randomisé très bien conçu et conduit confirme qu’un dépistage avec quatre tomodensitométries réparties sur 6,5 ans augmente le nombre de CBP identifiés précocement chez les gros fumeurs (ce qui est logique et souhaitable) et réduit modestement la mortalité liée à ce cancer (ce qui est un bénéfice pertinent pour les fumeurs). Un calcul pragmatique montre que dépister 7 900 gros fumeurs en 6,5 ans permettrait d’éviter 70 décès (8). Comparativement à l’essai américain NLST (3), qui comparait le scanner à faible dose à la radiographie thoracique standard (qui n’était pas un comparateur valide), cet essai flamand nommé Nelson a quelques particularités :
→ Il a comparé une procédure de dépistage à l’absence de dépistage.
→ L’intervalle entre les examens était de 1, puis 2, puis 2,5 ans après la randomisation (période totale = 6,5 ans), alors qu’il était annuel pendant 3 ans dans le NLST, ce qui suggère qu’un délai de deux ans entre chaque examen serait à la fois efficace et sûr, d’autant que la différence sur les décès par CBP est apparue à partir de la 8e année de suivi post-randomisation.
→ Bien que la différence sur le critère principal dans le sous-groupe féminin soit non significative à cause d’un effectif insuffisant, le résultat incite à leur proposer également ce dépistage, tout en conduisant un autre essai pour confirmer le potentiel bénéfice observé.
→ Les résultats montrent aussi que le taux de diagnostics positifs erronés ne dépassait pas 10 % et que leur nombre était considérablement plus faible que celui des décès évités, rendant le ratio entre le « surdiagnotic » et la réduction de la mortalité acceptable.
En pratique, cet essai a testé une procédure lourde pour les sujets « dans la vraie vie » et onéreuse pour les systèmes de santé : coût de quatre densitométries x taille de la population éligible. Comme il démontre un bénéfice modeste mais tangible sur la mortalité liée au CBP, Nelson devrait inciter la Haute Autorité de santé à mettre à jour (ou pas) sa recommandation (7) publiée en 2016. La question n’est plus de savoir si le dépistage du CBP par densitométrie itérative est cliniquement efficace, il l’est ! Le problème est maintenant d’évaluer la taille de la population française qui serait éligible à ce dépistage et la dépense qu’il induirait. Le ratio coût/efficacité du programme de dépistage en trois vagues de scanner à faible dose aux États-Unis est estimé à 52 000 dollars par année de vie gagnée (4).
Bibliographie
1 - Bray F, Ferlay J, Soerjomataram I, Siegel RL, Torre LA, Jemal A. Global cancer statistics 2018: GLOBOCAN estimates of incidence and mortality worldwide for 36 cancers in 185 countries. CA Cancer J Clin 2018;68:394-424.
2 - Siegel RL, Miller KD, Jemal A. Cancer statistics, 2018. CA Cancer J Clin 2018;68:7-30.
3 -The National Lung Screening Trial Research Team. Reduced lung-cancer mortality with low-dose computed tomographic screening. N Engl J Med 2011;365:395-409.
4 - The National Lung Screening Trial Research Team. Lung cancer incidence and mortality with extended follow-up in the National Lung Screening Trial. J Thorac Oncol 2019;14:1732-42.
5 - de Koning HJ, Meza R, Plevritis SK, & al. Benefits and harms of computed tomography lung cancer screening strategies: a comparative modeling study for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2014;160:311-20.
6 - Humphrey LL, Deffebach M, Pappas & al. Screening for lung cancer with low-dose computed tomography: a systematic revue to update The US Preventive Task Force recommendation. Ann Intern Med 2013;159:411-20.
7 - Haute autorité de santé 2016. Pertinence du dépistage du cancer bronchopulmonaire en France - Point de situation sur les données disponibles - Analyse critique des études contrôlées randomisées. Disponible sur : https://www.has-sante.fr/jcms/c_2001613/fr/pertinence-du-depistage-du-c….
8 - Duffy SW, Field JK. Mortality Reduction with Low-Dose CT Screening for Lung Cancer. N Engl J Med 2020;382:572-3. https://doi.org/10.1056/NEJMe1916351.
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