Atteint par la limite d'âge, un neurologue hospitalier veut prolonger son activité, sa direction refuse, les patients pétitionnent

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Publié le 21/12/2021
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Crédit photo : DR

Neurologue au sein du Groupe hospitalier de la Haute-Saône (GH70), le Dr François Ziegler souhaite prolonger son exercice au-delà de 67 ans – qu'il aura en mars 2022 – pour « continuer à faire vivre » son activité de consultations et d’hôpital de jour (HDJ) de neurologie sur le site de Lure, en lien avec le CHU de Besançon. 

Atteint par la limite d'âge, il espérait bénéficier de la dérogation légale autorisant les praticiens hospitaliers à cumuler leur activité avec leur retraite jusqu’à 72 ans, « sous réserve de l’aptitude physique et mentale des praticiens et après avis du président de CME, du chef de pôle et du chef de service concernés ». Mais sa requête de prolongation d'activité a été jusque-là refusée.

Que s’est-il passé ? Le médecin a fait sa demande de prolongation d’activité auprès du Centre national de gestion (CNG, gestionnaire des carrières) et au directeur de l’établissement. Pour que celle-ci soit acceptée, « il fallait l’aval de la direction, du chef de pôle et du président de CME, mais tous l’ont refusé », enrage le Dr Ziegler qui juge cette décision « absurde » et risquant de mettre en péril l’activité de l'hôpital de jour de Lure. Pour le neurologue, ce refus de sa hiérarchie est d’autant plus incompréhensible que « la prolongation d’activité est fortement recommandée par le ministère de la Santé, en raison de la crise sanitaire et de la pénurie de médecins ».

Soutien massif des patients

Le spécialiste est soutenu par ses patients qui ont lancé une pétition pour que leur neurologue puisse « continuer de travailler » (plus de 3 700 signatures à ce jour), mais aussi par de nombreux médecins de l’établissement – dont une quinzaine de messages de soutien que « Le Quotidien » a pu consulter. Début décembre, certains d'entre eux ont même manifesté aux côtés des patients devant l'hôpital, afin de contester le départ contraint de leur confrère neurologue.

Pour comprendre la colère du Dr Ziegler et de ses patients, il faut remonter à 2016, lorsque le neurologue a cofondé la Clifransep (CLINique FRANComtoise de la SEP), établissement associatif adossé au GH70 (HDJ de Lure et de Vesoul). Cinq ans plus tard, l'hôpital de jour de Lure « marche du feu de Dieu », assure au « Quotidien » le praticien de 66 ans. « On fait 5 000 passages par an avec sept lits d’hôpital de jour, c’est énorme ! », avance le Dr Ziegler qui affirme prendre en charge en suivi sur ce site « 400 scléroses en plaques et plus de 100 neuropathies auto-immunes ».

À l’approche de son départ, le neurologue a bien cherché un remplaçant pour assurer la pérennité de sa structure. Las, « aucun médecin du territoire n’avait envie de venir à Lure car c’est trop loin ». C’est la raison pour laquelle il espérait prolonger son activité : « Je pensais faire un ou deux ans à temps partiel, le temps de former un jeune que j’avais trouvé, mais cela tombe à l’eau… », se désole-t-il. 

Postes pourvus et continuité des soins assurée

Du côté de la direction du Groupe hospitalier de la Haute-Saône, on explique que cette prolongation d’activité « ne peut pas être accordée dans la mesure où les postes sont pourvus et la continuité des soins assurée ». Et d’ajouter que des recrutements de neurologues sont « en cours » – en lien avec le CHU de Besançon mais également de manière directe au sein du GH70 – et devraient être « rendus effectifs entre novembre 2021 et début 2022 ».

Sans nier que le départ d'un praticien expérimenté « peut être source d'angoisses et d'inquiétudes pour les patients », la direction se veut très rassurante quant au nouveau projet médical de neurologie. Selon elle, à partir de mars 2022, l’activité de neurologie et la prise en charge des patients concernés seront assurées au sein du GH70 (à la fois sur le site de Vesoul et sur celui de Lure) par d’autres praticiens dont certains sont « également spécialisés dans la prise en charge des pathologies inflammatoires chroniques telles que la sclérose en plaques ».

Et d’affirmer qu’« une réponse adaptée et personnalisée sera apportée à chaque patient nécessitant un rendez-vous et un traitement ». Une information sera transmise aux libéraux qui orientent les patients vers les consultations et l'hôpital de jour de neurologie de Lure, plaide le GH70. Enfin, la direction évoque un renforcement de l'offre de soins sur ce secteur avec d'autres consultations spécialisées à venir. 

« Un débutant va s'y casser les dents »

Mais le Dr Ziegler est beaucoup plus sceptique quant à l’avenir de l'unité de Lure. « Je ne vois pas comment la direction pourrait réussir à trouver quelqu’un, à imposer à des internes de venir à Lure, sachant qu’il y a énormément de travail ». Selon lui, les deux praticiens (lui inclus) qui font tourner aujourd'hui la structure « ont l’efficacité de quatre médecins » et sont confrontés au quotidien à des prises en charge complexes. « Ce sont des patients compliqués, il y a des maladies auto-immunes, des migraines, des épilepsies, des crises myasthéniques, des urgences… Un débutant, va s’y casser les dents », alerte le neurologue.

Son inquiétude est d’autant plus vive que l'hôpital de jour est implanté dans un désert médical. « En Haute-Saône, il n’y a qu’un "demi-neurologue" libéral à Lure, plus quelques neurologues hospitaliers à Vesoul (ville située à 30 minutes, NDLR) mais ils consultent très peu ». « J’ai 400 patients qui ont rendez-vous en 2022 qui vont se retrouver sans neurologue, soutient-il. Ils seront obligés d’aller plus loin pour être pris en charge. »

Concurrence ?

Le neurologue, qui n'a pas exclu de s’installer en libéral s'il n'obtient pas de prolongation hospitalière, pourrait ainsi conserver le suivi de certains patients. Mais cela ne sera pas suffisant, précise-t-il, car les malades perfusés seront obligés d’aller dans d'autres hôpitaux du territoire (Besançon, Vesoul, Belfort ou Montbéliard). Il est possible que « certains doivent à l’avenir faire 100 km pour se soigner, cela va être compliqué », avertit le neurologue.

Sur le fond, le Dr Ziegler fait valoir que sa structure spécialisée assume « une activité équivalente au CHU de Besançon dans le domaine de la sclérose en plaques et des neuropathies auto-immunes ». Et pour le neurologue sexagénaire, le CHU pourrait être « jaloux » de cette notoriété. « C’est peut-être pour cela qu’ils veulent se débarrasser de la concurrence. » 


Source : lequotidiendumedecin.fr