Au-delà de leur mission de suivi et de conseil en prévention, les médecins du travail se retrouvent à gérer des crises internes ou des situations d'épuisement professionnel dans les services hospitaliers. Lors du 36e congrès national de médecine et santé au travail (CNMST, à Strasbourg), plusieurs praticiens ont fait état de retours d'expériences en ce sens.
Médecin du travail au CHU de Lille, la Dr Sophie Miczek a voulu savoir comment les médecins et pharmaciens responsables de structure (service, pôle, unité de formation) appréhendaient leur rôle de manager « dans un hôpital en tension ». 222 responsables (sur 421 ciblés) ont répondu à l'enquête en juillet 2019. Les trois quarts d'entre eux souffraient d'une carence de personnels et de rapports mitigés avec l'administration. Surtout, 70 % avaient déjà pensé à renoncer à leurs missions de manager au cours des 12 derniers mois ; et un tiers avait envisagé de quitter la profession. 68 % n'étaient pas satisfaits de leur rythme de travail, 20 % présentaient un épuisement émotionnel et/ou une dépersonnalisation, 35 % un score d'accomplissement faible (critères du burn-out). Cela « questionne » sur les moyens pour exercer cette mission de chefferie, alerte la Dr Miczek, qui préconise au minimum des formations spécifiques sur le leadership.
Les jeunes anesthésistes très exposés
La santé mentale des internes est un autre sujet de préoccupation. Médecin du travail à l'hôpital de Garches (AP-HP), le Dr Clément Duret a choisi de sonder les futurs anesthésistes-réanimateurs, juste avant la crise Covid. « Ce secteur est particulièrement exposé, insiste-t-il. D'une part, la spécialité est confrontée aux risques vitaux au quotidien, d'autre part il y a un accès facilité aux médicaments. » Le médecin du travail a interrogé les futurs anesthésistes-réanimateurs sur leurs conditions de travail et a reçu 519 réponses. 80 % d'entre eux déclarent travailler plus de 48 heures par semaine, 45 % ont plus de quatre gardes par mois. Dans ce contexte, 20 % présentent de l'anxiété, 8 % une dépression et 15 % utilisent des psychotropes. Enfin, 23 % des internes se situent dans la zone à risque du burn-out et 6 % en burn-out avéré, avance le Dr Duret qui a mis en place une consultation en hôpital de jour à Raymond-Poincaré.
Charge psychique
Parfois aussi, les médecins du travail interviennent dans la gestion de conflits ou de crises internes. À la suite de signaux d'alerte de pédiatres (démissions, courriers), la direction des Hospices civils de Lyon (HCL) a chargé le service de santé au travail d'évaluer les risques psychosociaux et de conduire des actions préventives. L'équipe de la Dr Marie-Agnès Denis a entendu 34 médecins et trois directeurs, volontaires. Il en est ressorti un contexte « particulièrement défavorable » pour le retour au travail après une maladie. La charge de travail, le manque de reconnaissance et un problème de communication ont été pointés. « Nous avons ensuite développé un plan de prévention autour de grands axes comme la carrière, l'absentéisme ou la qualité de vie au travail, indique la Dr Denis. La plupart ont été repris, des équipes ont été renforcées et un gros travail a été fait au niveau des gardes. Il y a moins de démissions brutales et une évaluation est en cours de la charge de travail des pédiatres. »
À Strasbourg enfin, la Dr Laurence Kling-Pillitteri et la psychologue du service de santé au travail ont été mobilisées lors de la crise qui a secoué le Samu en 2018, à la suite de la mort d'une jeune femme de 22 ans, Naomi Musenga, qui avait appelé le 15 et n'avait pas été prise au sérieux. Elles ont réalisé plus de 54 consultations en individuel avec les personnels touchés par cet « événement indésirable grave », les amenant à alerter la direction sur l'ambiance de travail « en très forte dégradation ». Et la médecin du travail de préciser que « nous avons été associés au comité de pilotage de la direction pour accompagner la réorganisation du service ».
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