Gouvernance hospitalière

Médecin, directeur : qui doit être le patron ?

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Publié le 27/01/2023
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Lors de ses vœux aux soignants le 6 janvier, Emmanuel Macron a annoncé une évolution de la gouvernance à la tête des hôpitaux publics. Une réforme qui n'était pas forcément réclamée par les acteurs de terrain.
Le 6 janvier, lors de ses vœux aux soignants, Emmanuel Macron a promis de mettre un "vrai tandem" administratif et médical à la tête des hôpitaux

Le 6 janvier, lors de ses vœux aux soignants, Emmanuel Macron a promis de mettre un "vrai tandem" administratif et médical à la tête des hôpitaux
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

À peine élu Président en 2007, Nicolas Sarkozy, avait réclamé pour l'hôpital que « le directeur soit le patron reconnu, le seul » dans un discours fameux au CHU de Bordeaux annonçant la réforme Bachelot deux ans plus tard et resté en travers de la gorge des PH. Est-ce pour cette raison que, lors de ses vœux aux soignants le 6 janvier, Emmanuel Macron a inopinément remis sur la table la question de la gouvernance hospitalière et souhaité qu'on puisse « mettre à la tête de nos hôpitaux un tandem administratif et médical » ?

Pédaler dans le même sens

Cette volonté affichée de médicalisation a été confirmée par son ministre de la Santé en visite à l'EHESP, l'école des directeurs d'hôpitaux de Rennes, quelques jours plus tard. « Avant l'été, la direction de nos hôpitaux sera rénovée avec la mise en place, dans la loi, de tandems administratifs et médicaux, a précisé François Braun. À nous (...) désormais d'imaginer les déterminants de cette future collaboration ».

L'ouverture de ce chantier – un de plus – a semblé prendre de court le monde hospitalier, d'autant plus que le binôme existe déjà très souvent sous la forme du couple directeur/président de commission médicale d'établissement (PCME). La Fédération hospitalière de France (FHF) n'était pas vraiment demandeuse de réforme supplémentaire. « Ce qui est essentiel dans ce duo médico-administratif est que les deux pédalent dans le même sens, a recadré son président Arnaud Robinet devant l'association des journalistes de l'information sociale (Ajis). N'oublions pas non plus qu’in fine, il faut toujours que quelqu'un tranche, décide et endosse les responsabilités y compris pénales ». Dans « 95 % des hôpitaux », le couple fonctionnerait déjà bien, selon lui. Le chef de l'État aurait-il enfoncé une porte ouverte ?  

Une mission qui réclame du temps et des moyens

Du côté des médecins, le dossier ne semble pas non plus prioritaire, a fortiori depuis que la loi Rist de 2021 – et les ordonnances sur la médicalisation de la gouvernance publiées la même année – ont renforcé le duo de tête. « Le tandem existe ! Nous ne demandons pas à avoir un rôle exécutif mais de participer à la gouvernance et que certaines décisions soient prises de manière partagée, nuance le Pr Rémi Salomon, président de la conférence des présidents de CME de CHU. En revanche, nous aimerions avoir davantage de moyens, de temps et de secrétariat pour remplir notre mission. On constate aussi parfois une asymétrie d'information entre le directeur et le PCME ».

Si la loi Rist a inscrit le principe de codécision dans la nomination des chefs de service et de pôle, le progrès relève davantage du symbole. « Auparavant, les nominations étaient prononcées par le directeur sur avis du président du CME qui était quasiment toujours suivi », constate le Pr Salomon qui rappelle que le rôle du PCME est d'abord de définir le projet médical. En revanche, « le budget est préparé par le directeur mais il est important que les avis de la CME comme de la commission des soins soient entendus ». Chacun son rôle, en somme.

Associer aussi les paramédicaux

Même si le président de la CME peut se retrouver en porte-à-faux par rapport à la direction, « les communautés médicales sont très attachées à avoir un représentant élu », souligne encore le Pr Salomon porte-parole des médecins de l'AP-HP. La conférence des PCME de CHU a fait savoir qu'une « énième réforme ne paraît pas nécessaire dans l’immédiat, si ce n’est pour mieux associer les paramédicaux aux décisions ».

Le sentiment est plus nuancé du côté des centres hospitaliers (CH). « La problématique y est un peu différente, explique le Dr Thierry Godeau, président de la conférence de CME de ces derniers. Il y a encore de trop nombreux établissements où les chartes de gouvernance prévues en 2021 n'ont pas été signées ou les délégations de gestion ne se font pas vraiment ». Mais comme son confrère parisien, le médecin de La Rochelle estime que la mission de patron de CME exige d'abord des moyens. « Si vous n'avez pas le temps dédié pour analyser les dossiers, votre avis relève plus du feeling qu'autre chose », juge-t-il. Pour autant, les représentants des praticiens de CH voudraient aller plus loin. « Nous sommes partants pour que le président de CME ait davantage de responsabilité et de comptes à rendre, avance-t-il. Le problème est que les médecins sont encore trop peu formés au management et au pilotage médico-économique, cela reste un point de faiblesse ».

Du côté des directeurs, on estime que l'attelage de direction dans sa forme actuelle fonctionne plutôt bien. « Nous prônons depuis toujours la coconstruction avec les médecins et le binôme est fondamental, confirme Vincent Prévoteau, président de l'association des directeurs d'hôpital (ADH). Nous ne construisons pas des projets dans nos bureaux derrière nos tableaux Excel. Et la force des présidents de CME, c'est à la fois leur lien avec la communauté médicale et le fait qu'ils soient des cliniciens ». À vrai dire, personne ne semble aujourd'hui souhaiter, à l'hôpital public, la multiplication de postes de directeurs médicaux, coupés de la clinique et non élus par leur communauté. 

Le modèle des CLCC

Comment les choses se passent-elles ailleurs ? Dans le privé non lucratif, les conseils d'administration ont toute latitude pour nommer les profils de leurs choix à la tête des établissements. Pour autant, les médecins ne sont pas légion. Sauf dans les centres de lutte contre le cancer (CLCC) dont l'une des particularités historiques est d'être dirigés par un PU-PH, un mode de gouvernance qui aurait, paraît-il, inspiré le chef de l'État. Les praticiens doivent y faire acte de candidature auprès de leur CME qui classe les postulants et transmet son avis au CA. In fine les nominations sont signées par le ministre de la Santé, sur proposition de la fédération des CLCC (Unicancer).

Le directeur général médecin – formé au management de haut niveau – recrute ensuite son adjoint administratif et lui délègue des directions fonctionnelles. Le DG garde, lui, la main sur la politique scientifique et stratégique. « C'est un binôme qui fonctionne très bien car les deux parties se sont choisies et les rôles sont bien définis, assure Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer. L'autre atout est que le DG est considéré comme légitime par ses pairs et très écouté par la communauté médicale ».

Le modèle est-il transposable à l'hôpital public ? Rien n'est moins évident : les CLCC sont généralement des établissements de taille intermédiaire entre le CHU et le CH et, surtout, ils sont tournés sur la prise en charge d'une seule pathologie pour laquelle la prise en charge pluridisciplinaire est devenu une évidence. La lourdeur de la tâche de direction peut aussi rebuter nombre de praticiens. Unicancer cherche d'ailleurs aujourd'hui à former un vivier de futurs directeurs parmi les médecins pour diversifier les profils. Sur les 18 centres, un seul est aujourd'hui dirigé par une femme.

Véronique Hunsinger

Source : Le Quotidien du médecin