Témoignages de médecins qui sont partis dans le privé

Pourquoi je me suis résolu à quitter l'hôpital

Publié le 25/11/2019
Article réservé aux abonnés
27,4 % des postes de praticiens hospitaliers sont actuellement vacants. Et la démographie médicale n'est pas seule en cause... Le «Quotidien» est allé à la rencontre de praticiens hospitaliers dont certains ont choisi de quitter l’hôpital pour travailler mieux et préserver leur santé. D'autres ont fait le choix de rester. Tous analysent leurs choix et les conséquences sur leur vie quotidienne.

Crédit photo : GARO/PHANIE

« Je suis l’un des derniers à avoir choisi ma spécialité par passion. Dans les générations qui ont suivi la mienne, j’ai compris que la raison avait pris le dessus. Moi j’ai été anesthésiste. D’abord avec des "patrons" au-dessus de moi. Et, plus j’ai avancé dans ma carrière, plus j’ai senti le poids des gestionnaires s’immiscer dans ma pratique », explique Thierry. Cet anesthésiste-réanimateur qui travaille désormais en intérim a choisi de s'en aller. Sans regret : « Il n’y a pas de possibilité d’évolution dans la carrière, pas de reconnaissance des acquis, pas de possibilité de reconversion ou d’évolution vers un poste managérial, surtout dans un petit hôpital de province. Quel gâchis ! Aujourd’hui, même si mon travail est strictement identique en intérim à celui que j’ai quitté, au moins, je prends soin de moi. J’ai acquis une qualité de vie que je n’aurais jamais eue si j’étais resté à l’hôpital ».

Les PH interrogés sont très nombreux à parler de passion, d’engagement et, corollaire de la dégradation des conditions de travail, ils expriment désormais leur déception, leur colère voire une remise en cause de leur vocation.

« Le jour où j’ai compris qu’on nous faisait travailler sciemment avec du matériel obsolète, je me suis dit qu’il valait mieux que je quitte mon service de réanimation, car, en dépit du discours de mon chef de service, j’ai eu peur des conséquences juridiques en cas de mauvaise prise en charge », analyse Marc qui a rejoint le privé.

Certains semblent avoir pris la fuite à leur corps défendant. « Je voulais faire une carrière de manager, je me suis même payé une formation en ce sens. Mais à l’hôpital public je n’avais aucun moyen de m’épanouir. Alors je me suis dirigé sur le secteur assurantiel, très en demande de médecins avec mon profil », confie Julien.

Impact sur la vie personnelle

Tous les médecins démissionnaires ne mettent pas leur propre carrière ou bien-être en avant. Avant de décider de partir, certains en passent par le burn-out. C'est le cas de cette interniste qui analyse a posteriori ce qui lui est arrivé : « Je crois que je suis trop gentille. J’ai toujours fait passer mon service – "mon devoir", je pensais – avant tout. Avant ma santé : en acceptant de faire des horaires à rallonge, et de travailler les soirs et les week-ends… Avant ma famille : c’est peut-être pour ça que mon copain avec qui j’étais depuis le lycée m’a quitté… Avant mes amies, qui me proposaient de boire des apéros à une heure où j’étais toujours dans le service… Julie n'a pas tenu si longtemps à ce compte-là : « Jusqu’à ce burn-out que tout le monde me prédisait et auquel je ne voulais pas croire. Aujourd’hui, je me reconstruis difficilement dans un poste plus tranquille à l’EFS ».

L’impact de la vie hospitalière sur la structure familiale est souvent un facteur de renoncement. Témoin, le parcours de ce médecin urgentiste : « Dans mon service à gardes, il n’est pas possible de laisser une ligne de planning libre. Depuis quelques années, il est de plus en plus difficile de remplir le planning. Même les intérimaires rechignent en raison de la charge de travail. Alors, moi comme les autres, j’ai accepté de « faire du sup' ». Mais à la maison, ma femme a eu du mal à gérer son travail hospitalier (elle est IDE) et nos jumeaux de 14 mois. Aujourd’hui, je quitte l’hôpital pour ne pas que ma femme me quitte », avoue Franck.

Les quinquas, génération sacrifiée

Enfin, quelques-uns abordent aussi la question des rémunérations. « Commencer à 2 300 euros comme PHC, puis devenir PH premier échelon et attendre 2 ans avant de monter chaque échelon, c’est ça qui m’a fait craquer. Je ne veux pas attendre 42 ans pour bien gagner ma vie et 55 pour avoir fini de me payer mon appartement », analyse Charlotte qui travaille désormais en ESPIC, où la grille salariale est plus favorable.

Cette médecin évoque aussi certains particularismes générationnels.« Je sais que peu de confrères osent en parler, mais la question financière est cruciale, d’ailleurs, parmi les revendications du 14 novembre, la revalorisation des carrières hospitalières était mise en avant. L’attractivité est aussi quelque chose d’important; il faut non seulement que des jeunes veuillent venir à l’hôpital, mais il faut aussi que des quadras comme moi veuillent y rester. La génération des quinquas a été sacrifiée. Mon frère, dont je voulais suivre le chemin, est rentré à l’hôpital quand aucun poste de PH n’était vacant. Ses conditions de travail se sont dégradées, mais il est resté. Aujourd’hui, en fin de carrière, il ne partira plus et quand il entend que les PH devront travailler plus longtemps, il se demande si ce ne sera pas au prix de sa santé ». 

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin