Neurochirurgien au CHU de Besançon, membre du collectif inter-hôpitaux (CIH), le Pr Laurent Thines avait démissionné début 2020 de ses fonctions administratives (de chef du service), comme plus de 1 000 praticiens hospitaliers. Un acte symbolique car, dans les faits, il avait continué à assumer les charges de son service. Trois ans plus tard, il adresse un courrier à sa direction pour annoncer sa démission définitive. Il explique au « Quotidien » les raisons de cette décision et sa volonté de mettre en place une organisation horizontale. « Nous n’avons pas besoin de demander de permission à l’administration pour nous organiser au sein des services », plaide le PU-PH.
LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir envoyé ce courrier de démission à votre direction ?
Pr LAURENT THINES : La direction avait accusé réception de ma démission en 2020. Mais elle n’avait pas l’air très concernée par cette décision, alors que les difficultés et les responsabilités n’ont fait que s’accroître sur les épaules des responsables de service. J’ai donc réfléchi à une réorganisation horizontale du service de neurochirurgie.
Dans votre courrier, vous expliquez que personne ne s’est proposé pour votre poste. Avez-vous consulté la direction avant de lancer une réorganisation ?
Non, car j’estime que ce sont les soignants qui font tourner l’hôpital. On l’a bien vu durant la période du Covid. Les administratifs sont venus pleurer auprès des soignants pour qu’on les aide à organiser le chaos. Au final, on s’est rendu compte que c’est bien nous qui organisons et faisons tourner l’hôpital. Au fil des réformes, on a construit une administration hospitalière toute-puissante et on a retiré aux soignants tous les leviers d’organisation et de décision. Or, en pratique, nous sommes la cheville ouvrière et les organisateurs de l’hôpital.
Ma démission définitive est une façon de reprendre en main notre destin ! Nous n’avons pas besoin de demander de permission à l’administration pour nous organiser au sein des services. Sans nous, ils ne peuvent rien faire ! L’idée, c’était aussi de dire « stop » à l’isolement des soignants. Le jeu de l’administration consiste à isoler les membres de l’équipe. Avec cette réorganisation, nous redevenons un collectif qui a du poids face à la direction. J’avais aussi la volonté d'en finir avec cette organisation de mandarinat, où les chefs de service assurent les responsabilités pour, en échange, pouvoir faire ce qu’ils veulent.
Comment comptez-vous mettre fin à cette « organisation de mandarinat » ?
Premièrement, je me suis mis en retrait, en me recentrant sur mes activités de soins, d’enseignement et de recherche. Deuxièmement, j’ai redistribué, poste par poste, des fonctions aux médecins, pour qu’ils assument aussi une part de responsabilité et de décision dans la vie du service. Cela me paraît fondamental car le système est infantilisant. On a un chef de service qui n’a pas les moyens de gérer son service en toute autonomie, et un directeur tout-puissant qui se sert des chefs de pôle et des présidents de CME pour faire régner la discipline. Résultat : les praticiens lambda sont souvent déresponsabilisés et démotivés.
Comment ce nouvel organigramme a-t-il été accueilli par votre équipe et la direction ?
L’équipe l'a accueilli très positivement. Les médecins ont entamé des démarches pour organiser leur périmètre d’action. Quand on responsabilise les gens, ils sont tout à fait capables de prendre des initiatives. Quant au directeur par intérim, il refuse de valider ma démission dans le contexte des difficultés actuelles. Sauf que la précédente directrice m’avait confirmé ma précédente démission en 2020 !
Pourquoi le nouveau directeur a-t-il refusé votre démission ?
Il a peut-être peur que le service aille moins bien sans chef. Je pense aussi qu’il ne souhaite pas que notre exemple fasse des émules. La direction a donc essayé d’annuler mon projet de réorganisation. Ils ont maintenu mon indemnité de chef de service (200 euros par mois) pour m’obliger financièrement à garder mes fonctions.
Mais si nous voulons récupérer du pouvoir auprès de la direction, cela commence par un pouvoir d'organisation à l’échelle même du service. Dans un deuxième temps, on pourra exiger du pouvoir dans les décisions d’organisation et d’investissement de l’hôpital. Ce n’est pas normal qu’un directeur décide de tout, tout seul : des embauches, des licenciements, des projets médicaux, etc.
Le Ségur visait pourtant à redonner un peu de pouvoir aux soignants…
Il y a eu des promesses de modification de la gouvernance mais elles n’ont pas été appliquées. Les réformes n’ont rien changé à cette toute-puissance administrative. Les médecins, les paramédicaux ou les usagers doivent avoir un pouvoir de décision. Aujourd’hui, ils sont simplement consultés.
Votre réorganisation ressemble à un acte de désobéissance civile…
Oui, c’est une forme de désobéissance civile « light ». Si les manifestations ne fonctionnent pas, on doit s’organiser nous-mêmes au niveau du terrain, même si on n’a pas les moyens de notre autonomie, car on n’a pas la main sur les finances. C’est d’ailleurs la limite de notre modèle.
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