La SOFCOT et le BLOC réclament un moratoire sur les expérimentations

Rémunération à l'épisode de soins : ça coince chez les chirurgiens orthopédistes

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Publié le 01/06/2018
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PROTHESE HANCHE

PROTHESE HANCHE
Crédit photo : S. Toubon

La Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique (SOFCOT) et le syndicat Le BLOC (qui représente les chirurgiens, obstétriciens et anesthésistes-réanimateurs) réaffirment leur opposition résolue à l'expérimentation de financement à l'épisode de soins sur la prothèse totale de hanche.

Évoqué dans le rapport charges et produits de la CNAM pour 2018, ce nouveau modèle de financement sur les épisodes de soins a trouvé sa place dans la stratégie gouvernementale de transformation du système de santé. Dans l'exemple de la prothèse de hanche, le principe consiste à rémunérer l'ensemble des acteurs hospitaliers et libéraux impliqués en pré et post-hospitalisation (séjour, consultations, honoraires médicaux, soins infirmiers, kinésithérapie, fabricants de dispositifs médicaux etc.) avec une enveloppe globale unique incluant reprises et complications éventuelles. Un des objectifs affichés est d'inciter aux pratiques vertueuses.   

Posture

Mais nombre de chirurgiens n'y trouvent pas leur compte, au point de réclamer à la CNAM et au ministère de la Santé un moratoire sur cette expérimentation de rémunération forfaitisée. Leurs craintes sont multiples : complexité du dispositif et des circuits financiers, incertitude sur la répartition de l'enveloppe par les directeurs d'établissement, risque de sélection des patients, etc. 

La question du partage du forfait unique entre les acteurs est capitale car « la rémunération globale aura un montant inférieur à la somme des paiements isolés »,  met déjà en garde le Dr Philippe Cuq, coprésident du BLOC. Une épée de Damoclès au-dessus de la tête des praticiens concernés alors que la tarification des actes chirurgicaux pour la prothèse de hanche n'a pas été réévaluée depuis plus de dix ans (hors modificateurs). Cette expérimentation est une « posture politique », juge le Dr Cuq. 

Autre écueil cité : la sélection des patients de façon à « écarter tous ceux qui ont un risque de complications », ajoute le Pr Jean-François Kempf, président de la SOFCOT. « Se pose aussi le problème de la responsabilité médicale puisqu'avec un tel financement, on passe d'une obligation de moyens à une obligation de résultat », analyse-t-il. 

Impact sur le reste à charge 

Afin d'appuyer leur propos critique, la SOFCOT et le BLOC ont mandaté l'économiste de la santé Frédéric Bizard pour réaliser une évaluation médico-économique du paiement à l'épisode de soins, à la lumière des deux expérimentations mises en avant par Ségur – la Suède et les États-Unis.

La Suède a lancé dès 2009 dans le comté de Stockholm un programme de paiement groupé pour la chirurgie de la hanche et du genou (avec un prix forfaitaire pour le continuum de soins et une garantie pour les complications sur deux ans). Sur le plan médical, « le programme a engendré une baisse des complications orthopédiques de 26 % sur deux ans… mais le taux de complication initial était de 6 % en Suède, contre 1,3 % en France », précise Frédéric Bizard. L'impact du forfait global risque donc d'être beaucoup plus faible dans notre pays. Quant aux arrêts maladie, ils ont certes diminué de 17 % à Stockholm, à la faveur du programme, mais de 37 % dans les autres comtés, ce qui prouve que d'autres facteurs entrent en ligne de compte (concurrence accrue, transferts d'activité). Selon l'étude, il est strictement impossible d'affecter les résultats médico-économiques du programme au système de paiement groupé.   

Ce n'est pas tout : l'insuffisance du forfait unique a poussé les offreurs de soins à « réclamer une rémunération supplémentaire directement aux patients », ce qui a dopé le reste à charge. Sans compter que le paiement forfaitaire génère une « surcharge administrative importante »… Bref, pour l'économiste, la duplication du modèle suédois est « contestable ».  

Fardeau et désaccords

L'expérience américaine ne serait guère plus concluante. En 2013, un modèle de paiement groupé (bundled payment) a été lancé sur 48 épisodes de soins sur la base du volontariat. En Californie, comparable à la France par sa population et son PIB, « les bundled payments ont été un échec à cause de leur complexité administrative et des désaccords sur le contenu des soins regroupés »,  assène Frédéric Bizard. Résultat : peu de contrats ont été signés.

Un programme similaire mené auprès de personnes âgées par Medicaid et Medicare a fait ressortir un risque de refus de soins sur les patients les plus fragiles. « Les fournisseurs peuvent refuser ou retarder les services au-delà de la période de paiement groupé, et réaliser des économies de coûts », décrit l'économiste. À tel point que Medicare a recommandé au Congrès américain de supprimer ce programme « coûteux et inefficace », assure-t-il. Transposer le paiement à l'épisode de soins en France serait « une utopie », conclut l'économiste.

Marie Foult

Source : Le Quotidien du médecin: 9669