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En Égypte, une première clinique pour « réparer » les femmes victimes d’excision

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Publié le 09/12/2022
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L’Égypte figure parmi les pays du monde qui pratiquent le plus d'excisions. On estime à 40 millions le nombre de femmes ayant subi une forme de mutilation génitale à l’adolescence. En 2020, deux médecins ont créé au Caire la première clinique de reconstruction pour ces victimes. L’établissement promeut une approche basée aussi bien sur la chirurgie que l’accompagnement psychologique des femmes qui souhaitent retrouver le plein usage de leur corps.
La Dr Reham Awwad, chirurgienne, dans son bureau au Caire

La Dr Reham Awwad, chirurgienne, dans son bureau au Caire
Crédit photo : Martin Dumas Primbault

C’est une clinique presque anonyme et pourtant unique en son genre en Égypte.

Depuis l’impressionnant boulevard qui la borde, rien n’indique sa présence. Elle est cachée au rez-de-chaussée d’un immeuble colossal comme la ville du Caire en connaît des milliers. À l’intérieur, on est à portée immédiate des pots d’échappement. Et il suffit d’ouvrir l’unique fenêtre pour entendre s’engouffrer le vacarme des klaxons et le tumulte ordinaire de la capitale égyptienne. Deux pièces exiguës composent les lieux : un bureau et une salle de consultation. « Pour les opérations, on loue les blocs de l’hôpital privé situé à l’étage », précise d’emblée la Dr Reham Awwad dans un anglais impeccable. La chirurgienne esthétique spécialisée dans la reconstruction, tout juste 40 ans, a fondé cette clinique en 2020 avec un collègue uro-gynécologue et l’a baptisée « Restore FGM ». En français : réparer les mutilations génitales féminines.

Tabou 

Ici, l’excision est illégale depuis 1996. Elle reste malgré tout un sujet tabou, pour ne pas dire indicible. Personne n’en parle mais beaucoup la pratiquent toujours. Selon la dernière étude officielle du gouvernement, datée de 2021, plus de 86 % des femmes mariées ont subi des mutilations génitales. Un chiffre très impressionnant qui place l’Égypte parmi les trois pays qui excisent le plus avec l’Éthiopie et l’Indonésie. Réalisée à l’adolescence, généralement avant 15 ans, cette opération – dont on dit qu’elle puise ses origines à l’époque des pharaons – est dans plus de deux tiers des cas pratiquée par un médecin (lire encadré). 

« En Égypte, 40 millions de femmes sont touchées par l’excision soit le plus haut taux de mutilation au monde et pourtant, avant nous, il n’existait pas de centre de reconstruction », explique la Dr Reham Awwad. Depuis l’ouverture, près de 700 femmes venues de toute l’Afrique ont été prises en charge par Restore FGM.

C’est le cas de Nahla, 34 ans, qui a découvert l’existence de la clinique sur les réseaux sociaux. « Cela faisait 10 ans que j’avais pris conscience de ce que j’avais subi et que j’en souffrais sans savoir quoi faire », raconte la jeune femme originaire d’Alexandrie. Il y a un an, elle a sauté le pas. « J’ai voulu penser à moi. Je n’ai rien dit à ma famille. Ce sont des amis qui m’ont accompagnée et accueillie après l’opération. » Aujourd’hui, elle se réjouit des résultats : « J’ai beaucoup plus confiance en moi, désormais je suis libre, je peux faire ce que je veux de mon corps »

Approche holistique

Restore FGM se définit comme un « centre multidisciplinaire de reconstruction esthétique et fonctionnelle ». Elle propose aux femmes à la fois des thérapies chirurgicales consistant à réparer les dégâts causés sur l’appareil génital extérieur et le clitoris mais aussi des traitements non chirurgicaux basés notamment sur l’usage du plasma, du liquide amniotique ou du laser pour améliorer les fonctions sexuelles et corriger l’apparence physique. « La plupart des femmes se plaignent de trois principaux problèmes : la réduction du plaisir et la difficulté à ressentir un orgasme, la gêne liée à l’apparence de leur appareil génital et l’impression d’être incomplète qui, à terme, peut avoir des conséquences psychologiques importantes », résume la chirurgienne qui défend « une approche holistique » de la prise en charge. 

Convaincue par ce discours, Yasmine Madkour a rejoint le projet. « Quand j’ai rencontré Reham je n’ai pas hésité une seconde car cela faisait déjà des années que je travaillais avec des femmes victimes d’excision », se souvient la jeune psychologue. Spécialisée dans le traitement des traumas liés aux mutilations, elle accompagne désormais les patientes avant et après leur passage par Restore FGM. « Un gros travail est nécessaire sur la gestion des attentes et éventuellement de la déception pour ces femmes qui n’ont pour la plupart jamais connu le plaisir sexuel », relate Yasmine Madkour. En tête à tête avec les patientes ou via son compte Instagram suivi par plus de 80 000 personnes, elle propose des leçons d’éducation sexuelle. « C’est une révolution qui peut faire changer les mentalités », veut croire la psychologue. 

Durcissement du cadre légal 

Mais faire changer les mentalités en Égypte, pays marqué par le poids des traditions culturelles et religieuses, est une mission aux allures de rocher de Sisyphe. Depuis 2014, le centre de recherche Tadwein (de l’arabe « collecte »), installé dans le quartier huppé de Maadi, s’emploie à documenter et sensibiliser sur la question des violences de genre en Égypte. 

Mais sa directrice, Amal Fahmy, déplore l’orientation prise par les politiques publiques pour lutter contre la pratique de l’excision et notamment la stratégie nationale lancée par le gouvernement en 2015. « Celle-ci repose sur un durcissement du cadre légal plutôt que d’essayer de faire évoluer les normes sociales », regrette la chercheuse. Quant à la chirurgie réparatrice, elle n’est toujours pas reconnue ni encouragée par les autorités. « Certains défenseurs de l’excision veulent faire passer cela pour un acte cosmétique et le gouvernement craint que promouvoir la chirurgie réparatrice revienne à légitimer cette position, il est urgent de clarifier la confusion », alerte Amal Fahmy. 

En attendant, le financement de Restore FGM est dépendant des dons privés qui arrivent au compte-goutte. « En ouvrant la clinique on pensait que les financements allaient pleuvoir mais ça n’a pas été le cas », sourit la Dr Reham Awwad qui, avec ses collègues, n’hésite pas à renoncer parfois à ses honoraires pour continuer à soigner les patientes. 

De notre correspondant en Égypte Martin Dumas Primbault

Source : Le Quotidien du médecin