Praticiens à diplôme étranger, toujours le parcours du combattant : confrontés à des rejets jugés illégitimes, des médecins saisissent le tribunal

Par
Publié le 03/02/2023
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : S.Toubon

« Le jour où le Centre national de gestion (CNG) m’a annoncé que je n'étais pas autorisé à exercer sur le territoire français, je me suis demandé ce que j’allais devenir », raconte Sophia*. Âgée de 43 ans, cette praticienne à diplôme hors UE (Padhue) se souvient avoir « pris la nouvelle en pleine figure », « un an après le décès de son mari ».

Puis elle a saisi la justice, « pour ne pas connaître le même sort que les praticiens étrangers qui se sont retrouvés à la rue », à la suite du refus de leurs dossiers. Quelques jours plus tôt, l’anesthésiste-réanimatrice originaire du Burundi (aujourd’hui de nationalité française) était pourtant « hyperconfiante, car la loi "stock" exigeait deux ans d’exercice en France, alors que j’en avais dix », confie-t-elle au « Quotidien ».

Après huit années d’études au Burundi, Sophia a poursuivi son cursus d’anesthésiste en France durant cinq ans, exercé dans plusieurs hôpitaux de l’AP-HP puis « dans un CH de Normandie ». Mais en juillet dernier, le CNG a décidé qu'elle devrait arrêter de pratiquer au 31 décembre 2022 – l’équivalence de son diplôme n’étant pas reconnue.

Passés à la trappe

La procédure dérogatoire transitoire dite « stock » est réservée aux Padhue ayant exercé au moins deux ans à temps plein entre 2015 et 2021. Cette réforme prévoyait que les autorisations temporaires d'exercice devaient prendre fin le 31 décembre dernier. Mais à cause du retard de traitement de nombreux dossiers, la date limite de passage en commission nationale d’autorisation d’exercice (CNAE) a été reportée au 30 avril 2023. 

Au-delà des retards, l'association SOS Padhue déplore le grand nombre de rejets de dossiers : environ 10 % des demandes en novembre dernier, 7 % en janvier…. C’est justement ce qui est arrivé à Sophia qui a finalement eu gain de cause devant le tribunal administratif, fin décembre. Un mois plus tard, Sophia ne comprend d'ailleurs toujours pas pourquoi on lui a refusé son dossier. « Beaucoup ont été traités en même temps, donc certains sont peut-être passés à la trappe », imagine-t-elle. 

Manque de compétences

D'autres médecins, comme Farid*, un Padhue de 34 ans originaire d’Égypte, ont carrément eu l’impression que le CNG n’avait « pas regardé » leur dossier, confie-t-il au « Quotidien ». En novembre dernier, le centre l’informe de son rejet par courrier. La lettre évoque un « manque de prérequis et de compétences », « des lacunes de formation en Égypte et en France », ne permettant pas d'envisager « l'exercice de la spécialité en pleine autonomie, ni d'accorder un parcours de consolidation ».

Incompréhensible pour Farid qui pensait avoir « l’expérience et la formation requises ». De fait, il exerce depuis 6 ans et demi en France, dont « trois ans dans un CHU parisien en hématologie et un semestre dans un CHU de Normandie, aux côtés de grands professeurs ». Il a également travaillé en parallèle comme praticien attaché associé dans un établissement normand… Sur le papier, le parcours de Farid semblait irréprochable. Après trois semestres d’internat en Égypte en hématologie, il arrive en France en 2016 pour achever son cursus. Sur place, il obtient un diplôme de formation médicale spécialisée (DFMS), puis plusieurs DU.

Chômage forcé

Mais la commission qui a examiné son dossier a reproché à Farid de ne pas avoir « le diplôme de base en hématologie ». Le médecin contacte alors l’Ordre des médecins égyptiens qui lui transmet un certificat confirmant qu'il a « bien eu sa spécialité en Égypte ». Farid le transmet au CNG qui ne l'accepte pas. Refus. C'est pour contester cette décision « injuste » que Farid a décidé lui aussi de saisir le tribunal administratif, fin janvier. L’hôpital a depuis mis fin à son contrat. « Je laisse plusieurs patients derrière moi », déplore l'hématologue qui s'est retrouvé au chômage.

En cas de nouveau rejet, il sera contraint d’exercer à l’étranger, ce qui serait « dommage pour la France, car c’est ici que j’ai réalisé une grande partie de ma spé », explique l'hématologue qui a reçu deux propositions « en dehors de l'Europe avec le double du salaire français ».

Contactée par « Le Quotidien », Kahina Ziani, porte-parole de l'association SOS Padhue, assure que ces cas sont loin d'être isolés. Ils montrent à ses yeux que « certains dossiers ne sont pas examinés correctement lors des CNAE ». Preuve en est, après sa plainte, Sophia « est passée de rien à tout », ce qui démontre que « la commission nationale initiale est passée à côté du dossier et que son cas n'est pas exceptionnel ».

Rejets déguisés ?

En dehors de ces rejets « francs », il y aurait des refus « déguisés ». Ils concernent des Padhue ayant plusieurs années d'exercice en France, qui « se voient prescrire un parcours de consolidation des compétences mais ne trouvent pas de stages validants depuis des mois », explique Kahina Ziani. Certains Padhue seraient toujours dans l'attente d'une affectation de leur agence régionale de santé (ARS) qui « ne vient pas, faute de financement des stages Padhue », analyse-t-elle. Pour l’association, il y a urgence à affecter ces praticiens sur des postes, ce qui nécessite des moyens.

Retards, rejets : le parcours vers la régularisation ressemble toujours à un chemin de croix. C'est dans ce contexte que le gouvernement a proposé une carte de séjour pour faciliter l’embauche des médecins étrangers, dans le cadre de son projet de loi sur l'immigration (lire ci-dessous). Si SOS Padhue estime que cette carte de séjour des professions médicales est « une bonne nouvelle » pour « régulariser la situation de droit de séjour de beaucoup de Padhue en exercice », elle refuse que cette évolution aboutisse à reproduire les inégalités salariales entre Padhue et praticiens à diplôme communautaire.

* Les prénoms ont été modifiés 

Carte de séjour des professions médicales : deux cas de figure

Dans le cadre du projet de loi immigration, présenté ce 1er février au conseil des ministres, le gouvernement a créé une carte de séjour pluriannuelle destinée aux professionnels de santé à diplôme hors Union européenne. Baptisée « talent-professions médicales et de la pharmacie », ce titre concerne les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et pharmaciens étrangers. Un des objectifs de ce droit de séjour est de répondre plus facilement au besoin de recrutement de personnels qualifiés dans les hôpitaux (sous réserve d'une autorisation d'exercice, d'un contrat de travail et du respect d'un seuil de rémunération fixé par décret). 

Deux cas de figure sont prévus. Soit le professionnel ayant un contrat de travail d'au moins un an dans un hôpital ou un établissement privé non lucratif n'a pas encore réussi les épreuves de vérification de connaissances (EVC) et – sous réserve de s'engager à les passer – peut bénéficier d'un titre de séjour de 12 mois, renouvelable pour 13 mois en cas d'échec aux examens. Soit le praticien étranger a déjà réussi ces EVC et il obtient le précieux sésame pour une durée de quatre ans maximum. Les intéressés pourront faire bénéficier leur famille du titre de séjour obtenu.


Source : lequotidiendumedecin.fr