Frédéric Valletoux (FHF) : « Les hospitaliers ont l’impression d’être les variables d’ajustement d’un système santé qui prend l’eau »

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Publié le 09/11/2021
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Crédit photo : afp

Alors que se tient le salon Santexpo à Paris, le président de la Fédération hospitalière de France (FHF) alerte sur la « perte de sens » à l'hôpital. « Les difficultés et les lourdeurs de fonctionnement sont plus prégnantes qu’il y a deux ans », analyse Frédéric Valletoux. Le maire de Fontainebleau appelle à redonner des perspectives aux hospitaliers, défend la responsabilité populationnelle et jette une pierre dans le jardin de la médecine de ville. « La régulation budgétaire doit être la même pour tous », plaide-t-il. 

LE QUOTIDIEN : L’hôpital public semble sorti lessivé de la crise sanitaire. Et malgré les revalorisations du Ségur, les tensions sociales restent vives. Comment jugez-vous le moral des troupes ?

FRÉDÉRIC VALLETOUX : Les situations sont très contrastées selon les établissements et les territoires. Les soignants ne sont pas dans un épuisement total, mais les organisations ont été chamboulées par les vagues successives. On observe une perte de sens chez eux, car les difficultés et les lourdeurs de fonctionnement sont toujours là, voire plus prégnantes qu’il y a deux ans. Les agents hospitaliers ont l’impression d’être les variables d’ajustement d’un système santé qui prend l’eau. Certes, il y a eu le Ségur de la santé et un plan d’investissement majeur pour les établissements. Mais les hospitaliers ont aussi besoin de retrouver le sens de leur engagement qui s’est un peu perdu.

Assiste-t-on à un réel mouvement de départs de l’hôpital public ou sont-ce des phénomènes sporadiques ?

Il y a un sentiment de lassitude et de désenchantement mais certainement pas de vague de départs spectaculaire. Ce ne sont pas d'un coup des milliers de personnes qui jettent leurs blouses mais on constate plutôt des départs perlés. C'est pourquoi il faut redonner rapidement des perspectives et de l'espoir aux hospitaliers.

Comment expliquer que les difficultés de recrutement n'ont jamais été aussi importantes ?

Avec le Ségur, jamais un gouvernement n’avait mis autant d’argent sur la table pour permettre des augmentations de rémunération conséquentes, tout le monde le reconnaît. Et pourtant, nous avons toujours des difficultés à recruter. Si ce n'était qu'un problème de pouvoir d'achat, cela se saurait ! Le malaise est plus profond et il est lié à un faisceau de raisons qui dessinent un quotidien parfois compliqué quand il est difficile de prendre ses congés ou qu'on est sous tension.

Cela dit, il faut tout de même considérer les écarts de rémunération. Comment rester attractif lorsqu’un même soignant peut gagner le double ou le triple en traversant la rue ? C’est à la limite du compréhensible et de l’acceptable. Mais il serait aussi illusoire d’imaginer que l’on va aligner par le haut tous les salaires du public.

Le gouvernement a repoussé sine die l’application stricte du plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires. A-t-il eu raison ?

Sur le fond, il n’y a rien à redire sur la réforme qui va dans le bon sens et semble équilibrée. Mais la mettre en œuvre à un moment où l’hôpital faisait face à des difficultés de fonctionnement liées aux ressources humaines, ce n’était pas la meilleure idée.

Repousser le plafonnement des rémunérations des médecins intérimaires revient à reculer pour mieux sauter. Ce report nous laisse du temps pour parer à l'urgence et travailler avec les sociétés d’intérim pour assainir leurs pratiques. Il y a eu clairement des dérives ces dernières années et on a parfois affaire à des comportements de mercenaires.

Un nouveau statut de praticien contractuel va être proposé aux médecins. Qu’en attendez-vous ?

Ce statut de praticien contractuel pourra être un outil d’attractivité supplémentaire pour l’hôpital. Mais, sur le fond, la crise du système de santé est si profonde que les réponses ne peuvent pas être uniquement liées à la grille des rémunérations, au déroulement des carrières ou à l’organisation statutaire.

En lançant le Ségur, Édouard Philippe avait dit en mai 2020 qu’il y avait « un problème de management plutôt que de gouvernance » à l’hôpital. Partagez-vous ce point de vue ?

Oui, l’hôpital public souffre de problèmes de management. Mais j’y intégrerais aussi la gouvernance médicale qui est elle-même assez contrainte par les textes ou les interventions des ARS. Ces dernières, parfois, mettent leur nez là où elles ne devraient pas. Quand vous avez un cadre administratif et réglementaire qui vous dit au quotidien ce qu’il faut faire ou ne pas faire, cela devient infantilisant pour tout le monde ! Car les marges de manœuvre pour innover, s’écarter des règles ou les adapter localement sont quasi nulles.

Pourtant, pendant la crise du Covid, on a vu se mettre en place des réorganisations dans l’urgence, souvent à l’initiative des médecins. Ils ont été très déçus, lors du retour à la normale, de reperdre l’autonomie gagnée. Le comprenez-vous ?

Oui, il faut certainement retrouver l'esprit de souplesse connu pendant la crise parce que sinon les acteurs hospitaliers auront l'impression que l'après ressemble fortement à l'avant. Il y a des règles qui doivent évoluer pour redonner de l’autonomie aux médecins dans les services et de manière générale aux acteurs de terrain. C'est pourquoi, à la FHF, nous défendons le principe de responsabilité populationnelle.

Nous avons par exemple lancé, il y a trois ans, une expérimentation dans cinq territoires (Sud Finistère, l'agglomération de Niort, le département de l'Aube, l'agglomération de Vesoul et Douai) et sur deux pathologies (l'insuffisance cardiaque et le diabète). L'idée est de faire travailler ensemble tous les acteurs locaux — le public comme le privé, la ville comme l'hôpital — pour améliorer les modalités de prise en charge.

Pour la première fois, le budget de la Sécu (PLFSS) ne prévoit aucune mesure d’économies sur l'hôpital. N’est-ce pas un cadeau empoisonné ?

Il aurait été difficile, ne serait-ce qu'en termes de message politique, d'imposer cette année des économies à l'hôpital. On ne peut pas demander à une institution qui a fait face à une crise aussi grave de se restructurer maintenant. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas d'économies à faire : les experts ont démontré qu'il y a des dizaines de milliards d'euros de dépenses qui, mieux régulées, pourraient être réinvesties ailleurs.

Le gouvernement égrène chaque semaine les 19 milliards d'euros investissements hospitaliers en région. Ce rattrapage est-il suffisant ?

Rappelons d'abord que ce plan d'investissement avait été annoncé par Édouard Philippe avant même la crise du Covid. Cette bouffée d'oxygène est positive. Je l'ai constaté dans ma ville de Fontainebleau : quand on peut montrer un bâtiment tout neuf, cela donne davantage envie aux jeunes médecins de venir. Mais en réalité, on évalue les besoins d'investissement de l'hôpital à quatre à cinq milliards d'euros tous les ans, rien que pour le renouvellement de matériel ou la modernisation des locaux. Or, au milieu des années 2010, sous le quinquennat Hollande, les courbes d'investissement ont commencé à baisser dangereusement.

Ces crédits d'investissements ne risquent-ils pas d'être grignotés par le coût des revalorisations salariales du Ségur ?

C'est notre crainte. Les discussions avec le ministère avancent mais, selon une enquête que nous avons réalisée auprès des hôpitaux, le sous-financement de ces revalorisations du Ségur pourrait atteindre 500 millions d'euros. De fait, cela revient à faire autofinancer par l'hôpital une partie des revalorisations, soit par réduction d'autres dépenses de fonctionnement, soit par réduction des dépenses d'investissement, soit par aggravation de la dette.

La FHF demande le gel des évolutions tarifaires en médecine de ville en cas de dépassement de son objectif de dépenses. Pourquoi risquer de vous mettre à dos les médecins libéraux encore une fois ?

Nous sommes les premiers à dire que notre système de santé ne doit pas être hospitalo-centré. Nous plaidons pour un hôpital qui soit à sa juste place mais, pour cela, il faut que le système dans son ensemble fonctionne. Et ce n'est plus le cas. Je m'en rends compte comme maire, le tissu des médecins généralistes qui sont la porte d'entrée dans le système n'est plus assez dense. Pourtant, la régulation budgétaire doit être la même pour tous et ne doit pas peser uniquement sur l'hôpital public. En réalité, 25 ans après sa création, c'est la construction même de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) qui doit être repensée.

Santexpo se tient dans un contexte de précampagne présidentielle. Quelles questions souhaitez-vous porter dans le débat ?

Le système de santé est un des ciments du pacte républicain, à l'intérieur duquel l'hôpital est une institution à laquelle les Français tiennent. Jusqu'à présent, rares étaient les candidats à la présidentielle qui parlaient de santé. Désormais, plus aucun ne pourra faire complètement l'impasse sur ce sujet. Nous avons prévu une journée en mars prochain pour interroger tous les candidats sur leur programme santé.

Propos recueillis par Véronique Hunsinger et Julien Moschetti

Source : lequotidiendumedecin.fr