Un défi pour les établissements de santé

Hôpitaux face au casse-tête des comptes-rendus médicaux

Publié le 21/01/2011
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Crédit photo : S Toubon

« Auparavant, nous avions entre 300 et 400 patients par jour, et un poste de frappe où les fichiers sons s’empilaient. Nous ne frappions pas assez vite et les médecins s’impatientaient. » C’était il y a deux ans. Depuis, Marie-Pierre Pandraud, secrétaire médicale à l’hôpital privé Jean Mermoz, à Lyon, a vu son métier se transformer avec la mise en place d’un système de reconnaissance vocale. Désormais, les radiologues dictent eux-mêmes le compte-rendu d’examen à un logiciel (qui le transcrit en fichier texte) et en assurent la relecture. « C’est très simple et le logiciel atteint 98 % de reconnaissance, à partir d’un dictionnaire français et médical », assure Jean-Louis Poncet, responsable informatique du centre de radiologie. Et avec 12 000 comptes-rendus réalisés chaque année, l’achat d’une licence à quelques milliers d’euros pour chacun des 12 radiologues est rentable. Du coup, Marie-Pierre Pandraud consacre son temps à l’accueil, au planning, à des tâches administratives et constate « moins d’attente pour les patients et moins de stress ».

La reconnaissance vocale est en effet l’un des moyens employés par les établissements médicaux pour pallier la surcharge de travail des secrétaires médicales. Pourtant, les médecins se montrent réticents. Les difficultés sont tout d’abord techniques. « Dans un CHU, les chefs de clinique tournent tous les deux ans, les internes, tous les six mois, or les licences sont personnalisées ! » souligne Vincent Hazebroucq, radiologue à l’AP-HP. L’enjeu est aussi qualitatif. « Un compte-rendu nécessite un savoir faire, et la frappe réalisée par des secrétaires médicales formées possède une véritable valeur ajoutée que ne saurait remplacer la machine », précise le médecin. François Aubart, chef du service de chirurgie orthopédique à l’hôpital d’Eaubonne (Val-d’Oise), ne dit pas autre chose : « Les secrétaires médicales sont incontournables au sein d’une équipe, elles sont garantes de la qualité car elles ont de réelles responsabilités ». Mais dans un contexte de restrictions budgétaires, les hôpitaux tendent à geler les recrutements.

Personnel qualifié.

Autre moyen que la reconnaissance vocale pour alléger le travail des secrétaires médicales : l’externalisation. Elle consiste à confier tout ou partie de la frappe des comptes-rendus à une société extérieure, à qui l’hôpital transmet, via des réseaux cryptés, les fichiers audio des consultations. Utile, estime Philippe Blua, directeur de l’hôpital de Calais, qui travaille avec une société délocalisée au Maroc, lorsque les besoins sont ponctuels. « Nous souhaitions éviter les recrutements et l’externalisation nous permet d’écrêter les pics de travail », explique-t-il. La reconnaissance vocale lui semblait trop compliquée à mettre en place : « Nous avons préféré parier sur l’intelligence humaine. » Les résultats sont là, se réjouit le directeur. Dès lors que les spécialistes livrent des fichiers normalisés, la rédaction du compte-rendu et son réacheminement vers l’hôpital ne prennent qu’un quart d’heure. L’avis des salariés ? « Je n’en entends pas parler, ils doivent être satisfaits », conclut Philippe Blua.

Mais c’est loin d’être le cas partout car l’externalisation peut mettre en péril le travail des secrétaires médicales. C’est du moins ce que craint Michelle Faveur, déléguée syndicale FO et membre du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’hôpital Beaujon (AP-HP) qui se bat depuis le printemps contre un projet d’externalisation menée par sa direction. Là aussi, la société prestataire, MSecure, possède une partie de ses bureaux au Maroc. Joint par le « Quotidien », le directeur Philippe Martraire, reste évasif sur les conditions de travail. Les comptes-rendus sont frappés par « un personnel formé », et « parfois relu par des étudiants en médecine ». Quant au prix ? « Ce n’est pas un critère déterminant pour les établissements qui se déterminent en fonction du service rendu ».

Mais à Calais comme à Beaujon, l’externalisation, surtout vers l’étranger, comporte sa part d’opacité. La société prestataire de l’hôpital de Calais et Msecure affirment avoir les agréments de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Celle-ci affiche aujourd’hui sa vigilance sur ce dossier (lire aussi encadré). « L’établissement doit demander une autorisation et une commission examinera la demande », explique Frédérique Lesaulnier, attachée au service des affaires juridiques.

« Avec l’externalisation, on ne sait plus où on s’arrête », juge le radiologue Vincent Hazebroucq. La distance entre l’hôpital et la société prestataire ne permet aucun contrôle. D’autres solutions existent, selon le médecin, spécialiste de cette question au Syndicat des radiologues hospitaliers. « Plutôt que de multiplier toujours plus les examens, il serait plus censé de ne faire vraiment que ceux qui sont certainement utiles pour dégager du temps de travail ».

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 8890