À Orléans, deux cardiologues du CHR mis sur la touche pour pratique abusive de l'angioplastie

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Publié le 01/10/2020
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Crédit photo : PHANIE

À Orléans, tout le monde s'accorde à le dire : il n'est en aucun cas question d'incompétence professionnelle dans les gestes techniques. Ce sont plutôt des raisons éthiques qui ont poussé l'ARS Centre-Val de Loire et le CHR de la ville à suspendre depuis la rentrée deux cardiologues interventionnels, interdits de pratiquer des angioplasties coronaires et une activité libérale.

En cause : des pratiques médicales jugées abusives entre 2015 et 2018 un dépassement du plafond d'activité libérale autorisé à l'hôpital public (soit 20 % de la durée du service hospitalier hebdomadaire), générant pour l'un des deux médecins des « revenus très atypiques ». 

Pertinence des actes

Les deux spécialistes font partie d'une équipe médicale de 12 praticiens, dont 4 coronarographistes. « Fin 2018, début 2019 », le CHR est alerté en interne des pratiques « stakhanovistes » de ces deux professionnels, qui enregistrent à eux deux un « trop grand nombre d'actes » d'angioplastie coronaire, explique au « Quotidien » le directeur général Olivier Boyer. 

L'hôpital demande dans la foulée à l'ARS de diligenter une enquête. La tutelle sollicite le groupe athérome coronaire et cardiologie interventionnelle (GACI), une communauté de 1 000 spécialistes hospitaliers et libéraux, rattachée à la Société française de cardiologie, qui missionne deux experts se rendant sur place mi-février. 

Absence de concertation médicale  

Pendant une journée, le Pr Pascal Motreff et le Dr Philippe Commeau, cardiologues au CHU de Clermont-Ferrand et en clinique privée à Ollioules (Var), ont étudié les dossiers patients, entendu tous les acteurs de la vie du service, le président de la CME et le directeur général.

Leur conclusion est sans appel. En quatre ans, le nombre d'angioplasties coronaires pratiquées à l'hôpital d'Orléans a été multiplié par quatre, passant de 500 à 600 procédures annuelles en 2015 à plus de 2 200 en 2018, écrivent-ils dans un rapport dévoilé le 21 septembre par France Bleu.

Cette très forte augmentation de l'activité correspond précisément à l'arrivée de l'un des deux médecins aujourd'hui mis sur la touche. De son côté, la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) a enregistré un taux de consommation d'endoprothèses coronaires (stents) multiplié par trois en 18 mois. Les deux experts du GACI constatent « un recours inapproprié à l'angioplastie coronaire ne se justifiant pas » et « l'absence de concertation médicale et de respect des recommandations médicales des sociétés savantes ».

Choqué 

Plus gênant, les experts font état d'une « réalisation de gestes inappropriés chez des patients très âgés, parfois en soins palliatifs mais aussi chez des patients jeunes » (bilan préopératoire à 99 ans, "stenté" de façon non justifiée dans un deuxième temps ; patient de 90 ans "stenté" en cinq temps ; patient de 32 ans "stenté" sans lésion significative)

« Notre vocation n'est pas de faire la police mais nous avons accepté la requête de l'ARS car nous sommes représentatifs de notre spécialité, avons un regard objectif et sommes dépourvus de conflit d'intérêts, n'ayant jamais rencontré les deux médecins en question », confie au « Quotidien » le Pr Motreff. Le cardiologue se dit « choqué par des pratiques qui risquent d'aller jusqu'à la plainte ordinale voire au pénal », mais refuse la critique d'un rapport « à charge ». « La cardiologie interventionnelle est une discipline d'excellence qui n'est pratiquée en France que dans 200 centres, on ne se réjouit jamais de ce genre d'affaire », explique-t-il.

S'il n'a « pas beaucoup de reproche à faire sur le plan technique » aux deux médecins, le Pr Motreff estime que « le choix de la procédure médicale [l'angioplastie coronaire, NDLR] n'est pas justifiable et a donc entraîné une perte de chance et une mise en danger pour le patient ». « Les deux médecins travaillaient correctement, nous n'avons à déplorer aucun mort, ajoute le directeur Olivier Boyer. Plus que leurs compétences, ce sont leurs intentions qui sont remises en question. »

« Acharnement » 

Cette inspection a décidé l'ARS à suspendre fin août les deux cardiologues de leur activité libérale, l'un pour un an et l'autre pour six mois. L'hôpital leur a également interdit l'accès aux salles d'hémodynamique et coronarographie-angioplastie.

« L'affaire commence tout juste, ils sont dans l'œil du cyclone, c'est pourquoi nous préférons qu'ils s'en tiennent à de la consultation, en tout cas dans cette période intermédiaire et pour la sérénité du service », confirme Olivier Boyer, qui espère « repartir sur de bonnes bases ». 

Le CHR peut-il s'attendre à des plaintes de patients ? Le directeur général assure que l'hôpital « n'est pas responsable » des agissements des deux médecins sur leur temps consacré à de l'activité libérale. 

Acharnement

Quel sera l'avenir des deux cardiologues ? En interne, leur statut d'agent public sous statut les protège d'un licenciement. En toute logique et pour éviter la mise au placard, c'est le centre national de gestion (CNG), en charge des carrières hospitalières, qui devrait reprendre la main et jouer la carte de la mobilité. Ce qui s'apparenterait dans la majorité des cas à une exfiltration…

La presse locale mentionne la décision des deux médecins de faire appel de la décision de l'ARS. « Le rapport du GACI, c'est de l'acharnement de A à Z », indiquent-ils dans un entretien à « La République du Centre ». Réuni en urgence le 16 septembre, le conseil départemental de l’Ordre des médecins devrait décider la semaine prochaine d'une éventuelle suite disciplinaire. 


Source : lequotidiendumedecin.fr