Face aux évolutions de leur spécialité, avec un rôle croissant dans la prise en charge de l’aval des urgences, les internistes sont en quête d’une reconnaissance de leur apport au système de soins et surtout de moyens pour remplir leurs nouvelles missions.
Méconnus du grand public et peu médiatisés, les internistes prendraient bien un peu la lumière. Alors qu’ils assument de plus en plus les hospitalisations non programmées en aval des urgences et des services de réanimation – en plus de la prise en charge des maladies rares et systémiques –, l’évolution de leur rôle dans le système de soins peine à être reconnue, ce qui pèse sur les vocations (lire page 12).
L’épisode du Covid illustre bien leur désarroi. Au plus fort de la pandémie, « deux tiers des lits de nos services étaient occupés par des patients Covid, le tiers restant n’étant pas fermé. On a aussi gardé le lien avec tous nos malades confinés chez eux et terrorisés, pour lesquels il a fallu, entre autres, gérer la pénurie de Plaquenil, raconte le Pr Luc Mouthon, président de la Société nationale française de médecine interne (SNFMI) et interniste à l’hôpital Cochin (AP-HP). Mais peu de monde le sait, même si les directions d’hôpitaux et les collègues des urgences ont tout à fait apprécié notre agilité et notre capacité d’adaptation ».
« Les services de médecine interne ont non seulement beaucoup aidé à la prise en charge des patients mais aussi à l’innovation thérapeutique. L'idée d’administrer des anti-IL-6 est venue des services de médecine interne, pas des infectiologues. Ce rôle n’a pas du tout été mis en avant », a reconnu le Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS-Maladies infectieuses émergentes, devant les internistes réunis pour une journée de concertation de leur société savante organisée à Paris, mi-janvier.
Cette initiative de la SNFMI faisait suite aux états généraux de la discipline de novembre dernier. Les spécialistes de la « non-spécialité d’organe », selon les termes de la Pr Laurence Bouillet, vice-présidente, y ont entamé une réflexion sur leur avenir dans un contexte de surspécialisation des autres disciplines et de virage ambulatoire.
Une spécialité en pleine mutation
Une enquête menée par la SNFMI auprès de ses membres* illustre l’évolution de la patientèle des internistes. Si 44 % des services sont des centres de compétences sur les maladies rares et 24 % des centres de référence, près des deux tiers des répondants (63 %) déclarent que plus de 50 % des patients hospitalisés dans leur service relèvent du post-urgences. Ils sont autant (63 %) à indiquer que les soins non programmés (hors urgences) représentent environ 25 % de leurs patients. Pour la grande majorité (84 %), l’activité programmée concernait moins de 25 % des hospitalisations. Mais parmi les patients suivis en consultation au long cours, « 85 % sont porteurs de maladies systémiques ou immunologiques, et 15 % sont polypathologiques », souligne la Pr Brigitte Ranque, interniste à l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris.
Les internistes se retrouvent à prendre en charge les “laissés-pour-compte” du système de santé
Anne Moyal, sociologue
Une enquête aux Hospices civils de Lyon (HCL) sur les données de 30 000 hospitalisations montre également l’évolution des profils des patients : « la moyenne d’âge, la sévérité, le score de Charlson (indice de comorbidité), la durée de séjour, etc., tout est en hausse », ajoute le Pr Pascal Sève, secrétaire général de la SNFMI. Les internistes « se retrouvent à prendre en charge les “laissés-pour-compte” du système de santé, les cas les plus complexes. Ce qui demande une capacité à prendre en compte une multiplicité d’interlocuteurs », résume la sociologue Anne Moyal, enseignante-chercheuse à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et à Sciences Po.
« Les autres spécialités attendent de nous que l’on fluidifie l’hôpital et qu’elles puissent prendre en charge leurs patients en soins programmés dans un contexte de fermeture de lits non programmés dans leurs services », observe le Pr Mouthon. Cette évolution n’est « pas prise en compte », alors que « les patients sont de plus en plus précaires », relève le Pr Sève.
Nos services ont besoin que soit reconnu leur rôle clé dans l’aval des urgences
Pr Luc Mouthon, président de la Société nationale française de médecine interne
« Nos services ont besoin que soit reconnu leur rôle clé dans l’aval des urgences, avec des moyens aussi importants que ceux débloqués pour ces dernières, tels que des primes d’activité pour les paramédicaux », plaide le Pr Luc Mouthon, insistant sur l’apport crucial des assistantes sociales dans certaines situations. Il arrive que des patients deviennent des « bed blockers » en raison des difficultés à leur trouver des lits d’aval ou de soins de suite et de réadaptation (SSR). Une réflexion est ainsi à mener sur le « renforcement de l’aval », et notamment le développement de SSR polyvalents « pour des patients pas forcément gériatriques », poursuit-il.
Revaloriser les consultations longues
Autre revendication : la revalorisation des consultations longues, propres à cette spécialité où la démarche diagnostique réclame du temps. Cet « acte intellectuel » permet « de limiter le nombre d’explorations complémentaires », coûteuses pour le système de soins et anxiogènes pour les patients, explique le président de la SNFMI.
Une même reconnaissance leur serait utile pour leurs activités de recherche. S’ils sont à la pointe sur les maladies systémiques rares auto-immunes ou auto-inflammatoires, le Pr Yazdanpanah les encourage, au vu de l’évolution de leur patientèle, à orienter leurs sujets d’études vers les maladies fréquentes, le post-urgences ou la santé publique. L’idée fait son chemin chez les internistes. Mais alors que leurs publications sur les malades Covid ont été réalisées sans financement dédié, ils attendent sur ce point aussi un soutien.
*L’enquête a été réalisée du 3 août au 18 septembre 2023 à partir de l’application Eval and Go auprès de 1 035 membres titulaires ou associés de la SNFMI
Lupus : un PNDS mis à jour
La mise à jour du protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) sur le lupus systémique de l’adulte et de l’enfant a été rendue publique le 9 février sur le site de la Haute Autorité de santé. Élaboré sous l’égide des centres de référence et de la filière des maladies auto-immunes et auto-inflammatoires rares (FAI²R), ce document comporte une synthèse à destination du médecin traitant. En parallèle, paraissait début janvier l’ouvrage grand public Le lupus, 100 questions pour mieux gérer la maladie (éditions Katana Santé), rédigé par sept spécialistes en médecine interne, rhumatologie et pédiatrie pour répondre aux besoins d’éducation thérapeutique des patients.