Selon le think tank Shift Project, le secteur de la santé représente 8 % des émissions françaises de gaz à effet de serre et les établissements de santé sont à l’origine de 38 % d’entre elles (1). Soucieux de leur écoresponsabilité, de plus en plus d’hôpitaux mettent en place des stratégies ambitieuses.
Face à un système de soins français qui génère entre 40 et 61 millions de tonnes équivalent CO2, soit entre 6,6 % et 10 % de l’empreinte carbone de la France, il est urgent d’agir. « Il existe des marges de progrès majeures à la condition de changer de paradigme et d’avoir pour objectifs le juste soin, la juste prescription ou encore le développement d’actions de prévention, exprime Caroline Besson, Pr d'hématologie clinique et membre du Shift Project Santé. Les soignants, les pouvoirs publics, les patients, les citoyens doivent aussi agir de concert. Une meilleure coordination entre la ville et l’hôpital permettrait par exemple de limiter les examens complémentaires superflus ou encore de promouvoir un meilleur usage du médicament. De nombreux hôpitaux mettent en place de belles dynamiques mais à la multiplication d’initiatives individuelles doivent désormais succéder un mouvement général et une prise de conscience de la société. Ce n’est pas encore le cas ».
À la multiplication d’initiatives individuelles doivent désormais succéder un mouvement général et une prise de conscience de la société
Caroline Besson, Pr d'hématologie clinique et membre du Shift Project Santé
Initiatives hospitalières
Parmi les CHU, celui de Rouen fait figure de « précurseur » avec, dès 2009, une chargée de mission « développement durable » qui a impulsé des actions dans différents champs et tout particulièrement la mobilité. L’an dernier, le CHU a décidé d’aller plus loin en élaborant un « Plan de sobriété » coordonné par le directeur des travaux et en lançant le 4e bilan carbone du CHU sur l’ensemble des scopes. « Le bilan carbone a permis d’objectiver les consommations les plus importantes qui, sans surprise, concernent les médicaments et les dispositifs médicaux, explique Laëtitia Mirjol, directrice de la transition écologique au CHU. Nous avons donc lancé différents ateliers, toutes professions confondues, sur l’écoconception du parcours du patient et les achats durables. Parmi les thèmes de travail figurent la pertinence des prescriptions, mais aussi la restauration, le traitement des déchets, le bloc chirurgical vert ou encore les mobilités des professionnels et des patients ». Des actions ont également été menées à l’échelle du groupement hospitalier de territoire Rouen Cœur de Seine avec par exemple l’intégration de l’ensemble des établissements dans le réseau « Mon Restau Responsable ». « L’engagement fort de notre communauté médicale booste les équipes. Notre souhait est maintenant de rendre compte de l’impact de nos actions grâce à la définition d’indicateurs. Nos niveaux de consommation ou encore les insertions de clauses environnementales dans nos marchés publics rendent les évaluations possibles », souligne Laëtitia Mirjol.
Le CHU de Bordeaux a créé un guide des unités durables
Le CHU de Bordeaux fait aussi partie des établissements pilotes en matière de santé environnementale. Yann Bubien, alors directeur général, invité d’une table ronde organisée par l’Inspection générale des affaires sociales dans le cadre d’un colloque sur la santé environnementale le 23 novembre dernier, soulignait toutefois que la prise de conscience est récente. « Il y a cinq ou six ans, quand je dirigeais le CHU d’Angers, on ne parlait pas de santé environnementale et les projets régionaux de santé n’en faisaient pas du tout mention. » Depuis lors, la situation a beaucoup évolué. Le CHU de Bordeaux a ainsi créé un guide des unités durables. « Nombre d’initiatives viennent du terrain. Dans chaque service, un binôme est chargé de faire des propositions de sobriété en matière d’économie de soins, par exemple en réduisant le nombre de dispositifs médicaux ou de médicaments utilisés. » La gouvernance a aussi été remaniée, avec la nomination de deux référents ingénieurs en écologie au sein du CHU et la constitution d’un comité de pilotage de la transformation écologique. Et Yann Bubien d’enfoncer le clou : « 25 % des actes de biologie sont inutiles. La question de la pertinence des soins est un vrai sujet depuis 15 ans. »
La réflexion autour du sujet fait feu de tout bois : les aides-soignantes ont compris que les bassines utilisées pour les toilettes étaient trop grandes, les médecins cardiologues s’interrogent sur l’interdiction de la réutilisation des implants cardiaques en France, alors que les Allemands et les Suisses ont mis en place une filière spécifique… Pour l’instant, cinquante unités de soins sont labellisées « développement durable » au sein du CHU de Bordeaux. « Nous espérons que la totalité le sera en 2024, indiquait celui qui a depuis rejoint le cabinet de la ministre Catherine Vautrin. Depuis trois ans, les soignants recrutés posent fréquemment la question de la transition écologique dans leur fiche de poste. Le sujet est fédérateur. Ce phénomène ne touche pas que les jeunes générations ».
Depuis trois ans, les soignants recrutés posent fréquemment la question de la transition écologique dans leur fiche de poste. Le sujet est fédérateur
Yann Bubien
Outils de pilotage
Lors de la journée nationale 2023 du Syncass-CFDT consacrée aux réponses à apporter à la crise climatique et environnementale le 24 novembre 2023, le directeur de l’hôpital Nord Franche-Comté, Pascal Mathis, a aussi mis en lumière l’importance des outils de pilotage : « Nous avons confié à un secrétariat général, placé aux côtés de la direction générale, l’animation de notre projet de responsabilité populationnelle et environnementale. Nous avons également créé un pôle ville-hôpital pour travailler le sujet en lien avec les cinq CPTS du territoire et mis en œuvre le management participatif. Les professionnels ont énormément d’idées. Ce sujet leur parle ». Pascal Mathis a également veillé à ce que les trois parties qui composent le projet d’établissement 2024-2029 intègrent la protection de la planète, qu’il s’agisse du projet de santé pour le territoire, avec l’écoconception des soins ; des ressources humaines avec une attention particulière portée à l’empreinte environnementale, notamment en termes de mobilité ; ou de la prévention et de la gestion des risques qui englobent les crises climatiques et sanitaires.
Autant d’enjeux qui ont été au cœur du deuxième comité de pilotage de la planification écologique du système de santé le 15 décembre 2023. Avec parmi les annonces ministérielles : le développement d’une méthodologie de calcul du bilan carbone des médicaments et le lancement de travaux sur la dématérialisation de certaines notices ; la mise en place d’un guichet unique pour aider les établissements à bénéficier des dispositifs d’aides au financement de la transition écologique, des efforts accrus en termes de formation ou encore la mise à disposition d’un « observatoire du développement durable », permettant l’accès des managers hospitaliers à un tableau de bord national, régional et par établissement ainsi que l’élaboration d’un nouvel outil de calcul carbone pour mesurer les réductions d’émission de gaz à effet de serre.
(1) Décarboner la santé pour soigner durablement impact climatique du secteur de la Santé en France, The Shift Project, avril 2023.