« Si la colère est légitime, la politique du bouc émissaire est une folie », assène d’emblée le Dr Olivier Milleron, cardiologue à l’hôpital Bichat-Claude Bernard et animateur du rassemblement de soignants présents jeudi 27 juin en fin de journée à la faculté de médecine de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP).
Ce soir-là, plusieurs dizaines de soignants sont présents pour alerter sur le danger que représentent les politiques d’extrême droite pour la santé. Réunis en collectif, ils sont 5 000 infirmiers, médecins, sages-femmes, aides-soignants, psychologues, chirurgiennes et chirurgiens, dentistes, et autres professionnels de santé à avoir signé une déclaration pour faire face à la menace que pourrait représenter l’extrême droite si elle arrivait au pouvoir à l’occasion des législatives.
Émotion palpable
En ce moment de gravité politique et sociale, l’émotion était plus que palpable chez les participants, qui avaient les gorges nouées. Plusieurs soignants ont lu une déclaration, devant un public debout sensible à la solennité de l’événement, rappelant leur mission première de soin et d’accompagnement des patients et ayant « pleinement conscience du danger que la situation politique fait peser sur le maintien du droit à la santé pour toutes et tous ». Et de redire « le principe du droit fondamental à la santé, inscrit dans notre Constitution, au cœur de notre pacte républicain, un droit humain fondamental et un pilier de la cohésion sociale ». Selon ces soignants, la politique discriminatoire du Rassemblement national vise à restreindre l’accès aux soins pour certaines populations et représente une attaque contre ces principes. Les deux thèmes sur lesquels sont revenus certains intervenants sont la volonté du RN de supprimer l’aide médicale d’État (AME) et de restreindre l’accès aux politiques sociales des personnes étrangères, dont font partie les Padhue, maillon indispensable des hôpitaux.
S’il supprime l’AME, l’État deviendrait alors un ennemi de la vulnérabilité
Kendrys Legenty, Fabrique des soignants
Kendrys Legenty, fondateur de la Fabrique des soignants, 27 ans, ne cache pas sa peur qui « oscille entre tétanie et révolte » : « Si l’AME est supprimée, l’État deviendrait alors un ennemi de la vulnérabilité. » Et de compléter : « Face à l’extrême droite, nous devons combattre les mots de haine avec ceux de l’inclusion et du care. Nous devons réhabiliter collectivement le terme de solidarité. La santé doit devenir un guide pour notre République. »
Ce sentiment de peur hante Sidi-Mohammed Gadi, vice-président de France assos santé : « Je n’ai jamais reçu autant de mots racistes en face ou au téléphone. Hier encore, on m’a encore demandé si je pensais quitter la France en cas de victoire du RN ». Il mentionne le sentiment de déclassement, le besoin de coconstruire un espace de dialogue et de travailler avec tout le monde. Deux raisons essentielles expliqueraient ce marasme social et politique, « le manque d’effectivité des parcours des patients qui est une des causes du sentiment d’exclusion et le manque de prise en compte de la qualité de vie de nos professionnels de santé ».
Des « politiques xénophobes déconnectés »
La Pr Anne-Laure Feral Pierssens, médecin urgentiste au Samu 93 abonde : « Depuis sa création, l’AME fait l’objet d’attaques incessantes comme on l’a vu en novembre dernier [au moment des débats sur la loi immigration, NDLR]. Elle est suspectée régulièrement à tort d’être un facteur déterminant de l’immigration et de représenter un poste important de dépenses alors qu’elle constitue 0,5 % du budget de l’Assurance-maladie. » L’urgentiste craint que la suppression de ce dispositif ne mette en danger les patients vulnérables qui risquent de renoncer aux soins et donc de développer des maladies graves et de devoir être hospitalisées. Elle dénonce la déconnexion de ces décideurs politiques « xénophobes, à mille lieues de la réalité du terrain ».
Yasmina Kettal, infirmière au centre hospitalier de Saint-Denis, évoque le déficit à hauteur de 20 millions d’euros de son établissement : si, sous le « règne de la préférence nationale », « l’extrême droite arrête de financer l’AME, cela nous plongera dans une perte d’au moins 35 millions d’euros », la Sécurité sociale versant aux établissements une enveloppe pour prendre en charge ses patients précaires.
Selon la Dr Julie Chastang, représentante des médecins des centres de santé (USMCS) et généraliste dans le Val-de-Marne, « aujourd’hui un patient sur deux qui pourrait avoir droit à l’AME n’en bénéficie déjà pas et renonce à des soins de proximité en raison d’obstacles administratifs multiples ». Elle cite trois de ses patients qui bénéficient de ce dispositif et alerte sur leur situation.
Nous nous opposerons à toute forme de criminalisation des soignants
Dr Jean-François Corty, président de Médecins du monde
« Nous n’accepterons pas de choisir entre les bons et les mauvais malades. Nous nous opposerons à toute forme de criminalisation des soignants et des aidants », conclut le Dr Jean-François Corty, président de Médecins du monde, qui appelle clairement à voter contre l’extrême droite, malgré le caractère de neutralité politique des associations humanitaires.
Samedi à 11 heures, une chaîne humaine se rassemblera devant l’hôpital Robert-Debré (AP-HP) pour demander l’égalité d’accès aux soins. Une nouvelle manifestation aura lieu après le premier tour des élections législatives. Le combat se poursuivra même après le second tour.
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