Une pratique vivace malgré la politique de Buzyn

A l'hôpital, comment réguler le recours à l'intérim médical ? 

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Publié le 19/07/2019
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Le décret qui plafonne la rémunération des médecins intérimaires depuis 2018 peine à faire ses preuves dans les hôpitaux publics, fragilisés par la pénurie médicale. Le gouvernement cherche de nouvelles solutions pour maîtriser les pratiques les plus déviantes. 

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

« Les intérimaires vivent leurs belles heures. La pénurie de médecins est telle que certains praticiens hospitaliers renoncent à leur poste pour pratiquer uniquement une activité d'intérim : ils gagnent le même salaire en ne travaillant qu'une semaine par mois. Il faut plus de régulation. »

Le 14 mai, Agnès Buzyn réaffirmait devant la commission des Affaires sociales du Sénat sa volonté de lutter contre les dérives de l'intérim médical à l'hôpital public. Pour endiguer le phénomène, la locataire de Ségur a pris un décret qui plafonne la rémunération de ceux qu'elle n'hésite pas à qualifier de « mercenaires », de praticiens « à 2000 euros par jour » qui « profitent des failles du système » en négociant des contrats de gré à gré, sans respect des réglementations. Le texte fixe un plafond maximum dégressif de rémunération pour 24 heures de travail à 1 404,05 euros brut en 2018, 1 287,05 euros en 2019 et 1 170,04 euros à partir de 2020. Mais un an et demi après l'entrée en vigueur du texte réglementaire, la ministre dresse un constat d'échec : « le décret n’a pas suffi à réguler les déserts médicaux ». Et le marché de l'intérim médical est plus vivace que jamais. 

Pénurie de remplaçants

S'attaquer à ce dossier alors que nombre d'hôpitaux ont du mal à faire tourner leurs services faute de praticiens en poste était un pari risqué de la part d'Agnès Buzyn, qui s'est attiré l'inimitié de quelque 6 000 médecins hospitaliers, majoritairement remplaçants en médecine d'urgence, radiologie et anesthésie-réanimation. Pour le Dr Christine Dautheribes, porte-parole du Syndicat national des médecins remplaçant des hôpitaux (SNMRH), c'est autant une erreur politique qu'une « insulte » aux praticiens remplaçants. « Beaucoup de retraités qui pratiquaient l'intérim ont arrêté après avoir appris la parution de ce décret, véritable crachat pour notre profession », vitupère l'anesthésiste de 59 ans qui réclame l'abrogation de la mesure. 

S'il est impossible de connaître l'impact exact du décret ni même le nombre d'établissements qui le mette vraiment en application, la pénurie d'intérimaires semble devenir une réalité dans les territoires les plus fragilisés. À Lens (Pas-de-Calais), le centre hospitalier a été contraint de fermer au 1er juillet une ligne de SMUR, faute d'urgentistes. « Nous avons toujours fait appel à des intérimaires mais cet été, nous ne parvenons pas à recruter car d’autres services d’urgences du territoire, comme Tourcoing et Saint-Omer, sont eux aussi en manque de médecins », explique la direction. Dans ce contexte, les intérimaires sont accusés de profiter de la pénurie médicale pour faire monter les prix sous le manteau. « Certains intérimaires refusent de venir exercer si les directions ne dépassent pas les plafonds autorités par le décret », affirme Marie Houssel, en charge des ressources humaines à la Fédération hospitalière de France (FHF). Les établissements sont soumis à des injonctions contradictoires. Ils n'ont pas la volonté de déroger au texte, mais ils doivent arbitrer entre continuité des soins et respect des plafonds tarifaires. Dans l'absolu, c'est toujours la santé des patients qui prime. »

La fédération des sociétés d'intérim Prism'emploi, de son côté, se défend d'encourager toute forme de dumping. « Ramené au salaire horaire, il n’existe pas d’écart significatif entre la rémunération d’un médecin hospitalier et celle d'un intérimaire », certifie Isabelle Eynaud-Chevalier, déléguée générale de Prism'emploi. Selon le député isérois Olivier Véran, le coût de l'intérim médical à l'hôpital s'élève à 500 millions d'euros par an. Les estimations de la direction générale de l'offre de soins (DGOS, ministère) pour l'année 2017 sont plus basses : 132 millions d'euros…  Si l'on exclut les recrutements de gré à gré. 

Marchés régionaux

Pour tuer définitivement les pratiques financières déviantes des médecins remplaçants, jugés « responsables en partie du déficit des petits hôpitaux périphériques » par la ministre, le gouvernement cherche toujours la panacée. Agnès Buzyn compte sur la facilitation du recours encadré aux praticiens contractuels, mesure prévue dans sa loi de santé en passe d'être votée au Parlement. « Nous proposons que l’ordonnance remplace le recours permanent aux intérimaires par des personnes ayant signé un contrat avec l’hôpital et qui assureront une présence pérenne », a-t-elle argumenté devant l'Assemblée.

À plus long terme, la DGOS voit dans la suppression du numerus clausus et la régulation de la situation des praticiens à diplôme hors union européenne (PADHUE) comme autant de renforts pour damer le pion des intérimaires.

Sur le terrain, la FHF n'a pas attendu la loi pour agir. Celle-ci expérimente le déploiement de « marchés régionaux de l'intérim ». En Bretagne, il s'agit d'un accord-cadre signé entre les huit GHT du territoire pour fixer le prix de l'intérim sur la base du décret de 2018 en plus d'orientations en termes de prise en charge de frais de déplacement, d'hébergement mais également de pénalités en cas de carence. Les Pays de la Loire envisagent de recourir à un dispositif similaire. « Au lieu de faire huit marchés différents qui mettent en concurrence les territoires, on en fait un seul », indique Nathalie Conan-Mathieu, déléguée régionale permanente de la FHF en Bretagne. « Ce n'est qu'en groupe qu'on pourra peser face aux intérimaires », conclut-elle.

 

 

Martin Dumas Primbault

Source : Le Quotidien du médecin