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Dossier

Jalousés, traqués, attaqués...

Qui sont vraiment les médecins intérimaires ?

Publié le 09/12/2019
Qui sont vraiment les médecins intérimaires ?

Plus qu'une vocation, c'est un choix de vie pour un bon nombre de praticiens
VOISIN/PHANIE

Les intérimaires sont devenus les boucs émissaires de l’hôpital, et la ministre de la Santé a juré de les contrôler de près. Mais derrière les polémiques, ce sont des hommes et des femmes qui comblent chaque jour les trous dans les plannings hospitaliers. Comment travaillent-ils, quelles sont leurs aspirations ? La parole à la défense.

« J’en ai assez de l’intérim mercenaire », clamait il y a quelques jours Agnès Buzyn dans nos colonnes. La ministre de la Santé dénonçait des praticiens « qui aspirent les dernières réserves financières des établissements qui ont du mal à survivre », et allait jusqu’à parler de « cannibalisme ». Des mots peu amènes, qui n’ont d’égal que ceux que les médecins intérimaires eux-mêmes utilisent quand ils veulent parler du système hospitalier. Car si dans toute leur diversité, ces praticiens remplaçants ont un point commun, c’est bien leur déception vis-à-vis de l’hôpital public.

« J’ai plusieurs fois tenté de prendre des postes fixes, mais à chaque fois j’ai perdu mes illusions en cours de route », témoigne par exemple le Dr Mathieu Verschave, urgentiste de 34 ans qui a enchaîné les missions d’intérim avant de poser tout récemment ses valises, cette fois définitivement, espère-t-il, à Caen. « Si je suis intérimaire, ce n’est pas un choix », explique de son côté le Dr Christine Pascal, radiologue savoyarde de 61 ans. « Pendant cinq ans, on m’a promis un poste dans l’hôpital dans lequel je travaillais en enchaînant les CDD, et il y a quelques mois on m’a convoquée pour me dire que finalement, on ne me gardait pas. Je me suis donc tournée vers les boîtes d’intérim. »

Le burn-out en partage

Ces deux trajectoires individuelles sont loin d’être des cas isolés, du moins si l’on en croit le Dr Christine Dautheribes, porte-parole du Syndicat national des médecins remplaçants des hôpitaux (SNMRH). « La pénibilité au travail n’est pas reconnue, les carrières hospitalières ne sont absolument pas attractives, les gens sont fatigués, le burn-out est massif… », énumère cette radiologue. « Comme tout le monde ne veut pas partir dans le privé, il ne faut pas s’étonner que les gens aient envie de récupérer leur vie, de souffler. »

Au-delà de ce commun désenchantement face à l’hôpital public, les médecins intérimaires sont loin d’être un corps homogène. La plupart des observateurs distinguent trois profils : le jeune qui attend pour se fixer, le praticien qui a un poste fixe à temps plein ou partiel et qui complète ses revenus, et enfin le médecin retraité ou proche de la retraite. « Le premier considère que les conditions de début de carrière à l’hôpital ne sont pas satisfaisantes ou n’a pas encore choisi son mode d’exercice, le second met "du beurre dans les épinards", comme dirait la ministre, et le troisième préfère démissionner face au manque d’attractivité des derniers échelons de la carrière de PH », décrypte le Dr Emmanuel Loeb, président du syndicat Jeunes médecins.

« Intérim fixe » vs. « mode caravane »

En réalité, il semble bien qu’il y ait autant de manières de faire de l’intérim que d’intérimaires. Christine Pascal, par exemple, après avoir tourné dans quelques établissements lors de ses débuts dans l’intérim, ne va plus que dans un seul hôpital, situé à quatre heures de route de chez elle. C’est ce qu’elle appelle « l’intérim fixe ». « Je m’y rends un peu moins d’une semaine sur deux, je pars le dimanche soir et je reviens le vendredi soir, rincée », raconte-t-elle. « C’est assez agréable de revenir au même endroit, je connais les équipes, je commence à avoir des correspondants… »

Quand il faisait de l’intérim, Mathieu Verschave a au contraire écumé la France, « en mode caravane », selon ses termes. « J’ai dû travailler dans 53 ou 54 services en tout », se souvient-il. « Si on lisse mon temps de travail sur l’année, cela revient environ à une garde par semaine, ce qui me laissait beaucoup de temps libre. » Un temps que l’urgentiste consacrait à ses passions, et notamment au parapente, mais aussi à des projets de recherche, par exemple.

L’argent ? Pas si important…

Quand on leur demande ce qui leur plaît dans ce mode d’exercice, les deux praticiens ne citent pas l’argent en premier… ce qui ne surprendra personne. « Bien sûr que si on travaille le même nombre d’heure qu’un PH, on gagne plus d’argent », reconnaît Mathieu Verschave. « Mais ce qui m’intéressait avant tout, c’était la découverte : j’ai vraiment appris plein de pratiques en faisant de l’intérim. » Même son de cloche du côté de Christine Pascal. « C’est intéressant de voir comment les autres équipes travaillent », estime la radiologue. « C’est aussi un challenge : il faut s’adapter à de nouveaux logiciels, à un matériel différent… »

Ce discours sur les attraits non-financiers de l’intérim ne convainc pas le Dr Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH). « C’est de la rationalisation après-coup », juge-t-elle. « Ce sont simplement des gens qui saisissent une opportunité, et je les comprends. Cela continuera tant qu’on ne revalorisera pas les carrières pour donner envie aux médecins d’être en poste. »

Faites de l’intérim si vous êtes cap’ !

Pour les intérimaires en revanche, cette manière de voir est un peu simpliste : effectuer des remplacements est pour eux bien plus qu’une simple opportunité, et ils pointent les difficultés de leur mode d’exercice. « Les gens qui nous critiquent n’ont qu’à se mettre en disponibilité et faire de l’intérim », lance Christine Dautheribes. « Il y a un effort d’adaptabilité à faire, des temps de transport importants… Et si nous n’étions pas là, bien des hôpitaux auraient du mal à tourner. »

Mathieu Verschave remarque que si un établissement fait appel à des intérimaires, c’est souvent parce que la situation y est assez dégradée. « Les gens sont en général épuisés, ils n’ont pas le temps ou plus la volonté de vous expliquer comment les choses marchent… », détaille-t-il. « Les choses se passent souvent très bien, mais nous devons faire nos preuves, notre travail est souvent remis en question. » Christine Pascal, elle, pointe les difficultés de logement. « Lorsque je vais travailler, je suis dans un logement situé dans l’enceinte de l’hôpital qui a le mérite d’exister, mais qui est vraiment très vétuste », explique-t-elle. Et la vie sociale ? « Là, quel que soit l’hôpital, il n’y a rien, c’est clair. » Pas tout à fait la vie de château que certains dépeignent…

 

Adrien Renaud

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